L’adoption par le gouvernement conservateur d’un [« projet de loi sur les fœtus »->mot2018], avec l’appui d’une trentaine de libéraux et d’un néo-démocrate, n’a trompé personne. Le texte de la loi, qui décrète qu’un meurtrier qui tuerait une femme enceinte serait coupable d’un meurtre additionnel, celui du fœtus, peut bien affirmer que cela n’a aucun lien avec le droit à l’avortement; c’est bien ce dernier qui est dans la mire de ces alliés idéologiques de George Bush et de son Église. La tactique est d’ailleurs éprouvée chez nos voisins du sud. Nul besoin d’être un penseur de la gauche radicale pour comprendre ce qui se passe. Même les députées du Parti Libéral nous avertissent : « Les gens qui ont voté en faveur de cette loi ne savaient peut-être pas que c’est précisément le mécanisme qu’a utilisé la droite religieuse aux Etats-Unis pour rouvrir le débat sur l’avortement », dixit l’Honorable Bonnie Brown. Inutile de préciser qu’il s’agit là d’un euphémisme de sa part, de cette affectation de tact qui caractérise le langage parlementaire. Après huit ans de règne de l’extrême-droite américaine, et sa propagation un peu partout à travers le monde, même le plus demeuré député d’arrière-banc est au parfum. Il faudrait être journaliste pour prétendre le contraire.
Le même jour qu’est répandue la bonne nouvelle, un hebdomadaire montréalais annonce : « L’écart de salaire entre les hommes et les femmes se rétrécit timidement ». On peut sans doute affirmer la même chose de l’écart commercial entre les Etats-Unis et le Gabon.
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Pendant ce temps, deux articles portant la même date confirment la situation plus que troublante du français à Montréal. Mme Pauline Marois, chef du Parti Québécois, est « préoccupée ». Il est à espérer que ceci va la pousser à exiger des hautes instances de son parti de cesser de traiter de zélotes et de dangereux extrémistes les militants montréalais qui s’évertuent depuis au moins quinze ans à sonner l’alarme. Pendant ce temps, la campagne de Brent Tyler pour permettre à tous les parents francophones d’envoyer leurs enfants à l’école anglaise fait son chemin jusqu’à la Cour suprême. Me Tyler affirme sans rire que cela est bon pour le français au Canada, étant donné que sa victoire (disons-le franchement) assurée « pourrait… s’appliquer aux enfants francophones du reste du Canada, puisqu’on parle d’une disposition de la Charte qui s’applique à toutes les minorités de langues officielles ». C’est ce qu’on appelle, en termes bibliques, prendre les gens pour des imbéciles...
La semaine dernière, deux individus dont j’oublie le nom proposaient carrément, à la page Idées d’un quotidien bien connu, que la voie de l’avenir passait par[ l’anglicisation définitive de l’ensemble des Québécois->12085] (accomplissant ainsi le rêve de George Brown, père de la confédération, que j’ai déjà cité ailleurs). Selon ce couple de futurs intellectuels promis aux plus grands honneurs de l’État, faire disparaître une fois pour toutes le français est 1) bon pour les enfants, 2) le seul choix démocratique, 3) on voit le genre. Tout y passe. Sans oublier que English is good for business. If my children speak english, they will have many more job opportunities. I love french, I really do. But I love little children even more. Now speak white.
J’éprouve parfois quelques difficultés à rester maître de moi-même. Seigneur, prends pitié. Et délivre-nous du mal !
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En guise de conclusion à cette petite revue de presse, je relèverai deux nouvelles économiques datées d’hier (soit le jeudi 6 mars). La première, publiée dans le Times je crois, faisait état d’un bond spectaculaire du prix du blé. Cette hausse participe à l’augmentation effrénée du coût de l’alimentation depuis quelques mois. Un ami qui revient de France me disait d’ailleurs que c’est le grand sujet de conversation là-bas. On se souvient que le président Sarkozy, qui annonçait récemment que la France sera désormais une alliée fidèle des Etats-Unis et son amie la plus dévouée, s’est fait élire en promettant non seulement de taper sur les arabes, mais aussi et surtout d’augmenter un pouvoir d’achat déjà souffrant. Ce miracle économique se ferait en mettant fin à « l’exception française », à sa « lourde bureaucratie qui appartient à une autre époque », bref au « socialisme ». Pour l’instant, le miracle se fait attendre, et ce n’est pas la manne prophétisée qui tombe du ciel mais une moisson de tuiles. En attendant les sauterelles.
Enfin, sur une note plus optimiste, nos amis de la presse écrite nous apprenaient que « le marché du travail est en pleine mutation », et notamment que « Les personnes de 55 ans et plus trouvent plus facilement du boulot qu’avant ». Bien sûr, 24 heures plus tard, on nous mentionnerait dans un autre article que « Les femmes sont plus soumises à des postes précaires et au chômage ». Honni soit qui mal y pense. Je peux moi-même observer à tous les jours la santé extraordinaire du marché de l’emploi et la vivifiante contribution de nos aînés à la création de la richesse générale. Je le constate à toutes les fois qu’un retraité vient me porter mon publi-sac à moins 35 degrés d’un matin d’hiver, que je croise cette vieille dame qui reste debout pendant des heures à distribuer tous les jours un journal gratuit de l’empire Quebecor, vêtue d’un dossard en plastique jaune fluo, à deux pas de mon ami qui vend le journal des itinérants. Lequel a doublé de prix il y a quelques années suite à la hausse vertigineuse des frais d’impression. Et à qui doivent-ils payer ces frais ? Un indice : ils impriment un journal gratuit distribué par les vieilles dames en dossard jaune, conçu pour être lu d’un couvert à l’autre pendant les dix ou douze minutes que dure le trajet moyen en métro. Puis jeté aux ordures.
Toutes ces choses parlent d’elles-mêmes, et peuvent très bien se passer de mon lyrisme indigné. Ainsi mon commentaire sera-t-il bref.
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Le mouvement national québécois a été à son plus fort à deux reprises :
1) dans les années 1830, quand notre analyse reconnaissait la solidarité avec la question nationale d’ici et celles d’ailleurs (l’Irlande, entre autres), et n’avait pas peur d’affirmer le lien fondamental entre oppression nationale et exploitation économique.
2) Durant toutes les années 1960 et 1970, alors que l’intelligence de plus d’un siècle de combats à travers le monde (dont nous sommes) nous a permis de comprendre que la libération doit être totale, ce qui inclut celle des femmes autant que celle des peuples colonisés et celles des travailleurs, pour ne nommer que ces trois groupes.
Dans les deux cas, l’État effrayé a envoyé l’armée, tout en redistribuant quelques « programmes sociaux » et autres postes de juge pour calmer le jeu. Carotte, bâton, même combat : ça assomme le « bas peuple ». Et ce qui nous assomme réellement, ce ne sont pas ces outils grossiers, mais bien que dans un moment de doute nous ayons accepté de nous abaisser à les accepter. Celui qui accepte le bâton cède à sa propre peur; celui qui accepte la carotte cède à sa honte. Et ils traînent en eux cette peur, cette honte, jusqu’à ce qu’ils s’en lassent, et qu’ils remarquent autour d’eux -– il y en a toujours -- ceux qui jettent ces bâtons qu’ils traînaient dans leurs têtes, et ces carottes qu’ils avaient dans le…
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Je n’ai pas peur, et je n’ai pas honte. Ni de moi, ni du Québec. Ni de l’humanité. J’aime l’être humain; j’aime même ses erreurs. J’en fais d’ailleurs à tous les jours, et parfois des belles.
Je crois que nous apprenons. Nous savons, et la lecture des journaux de ce matin nous le confirme, que lorsqu’on renie le combat que nous dictent nos meilleurs instincts, qu’on lui préfère la voix melliflue de la compromission, que ce chemin ne fait que repousser l’inévitable écueil au prix de douleurs accumulées, et avec intérêt.
Nous apprenons jour après jour à reconnaître qu’il n’est pas un château que l’on laisse à ces faibles maîtres duquel ils ne tenteront pas de faire renaître leur empire.
Nous apprenons que tous ceux qui vivent de la misère d’autrui, malgré leurs querelles futiles, feront toujours cause commune. Mais relevons les yeux (la tête va suivre): nous ne sommes pas seuls.
Et nous apprenons, peut-être, que le récif que nous avons tant redouté, et auquel nous avons préféré le prix de la plus horrible tempête, que ce roc massif qui annonce notre naufrage n’est que le masque effrayant de la terre promise.
En attendant le déluge
« Pas de libération du Québec sans libération des femmes; pas de libération des femmes sans libération du Québec. »
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1 commentaire
Michel Guay Répondre
21 juillet 2008Il faudrait dire : pas de libération du Québec et même pas de Québec du tout sans le respect de la vie, sans respect pour notre cohésion sociale et morale au sein de notre religion et sans la francisation de tous les emplois .
Privé de l'immigration depuis 1763 ce n'est que les revanches des berceaux et notre religion qui font que nous existons encore en 2008 .
L'avortement de 2 millions de nos enfants depuis 1968 est pour nous un véritable suicide national, un véritable génocide perpétré par les Trudeau et Mortganteller..