La véritable coalition pour l'avenir du Québec

Entre les deux solitudes, pire que de l'incompréhension, il y a désormais de l'indifférence

Il reste à briser le cycle de défaitisme et d’auto-dénigrement dans lequel nous avons sombré et qui rend mes amis, comme tant d’autres Québécois, si désabusés.

Indépendance - le peuple québécois s'approche toujours davantage du but!

Lorsqu'on leur pose directement la question « voterais-tu pour la souveraineté si un référendum était tenu demain? », la grande majorité de mes amis répondent par l'affirmative. Pourtant, seule une infime minorité d'entre eux se définissent comme souverainistes. Ils ne parlent à toutes fins pratiques jamais de souveraineté, si ce n'est que pour déplorer l'ineptie du PQ et de ses leaders. Lassés d'un débat qui n'avance pas, d'un but qui semble plus inatteignable que jamais, ils préfèrent ne plus y penser. On peut les comprendre : qui a envie de s'intéresser à une cause apparemment perdue d'avance? Les plus militants ont rejoint les rangs des « indignés » ou se sont tournés vers d'autres luttes (justice sociale, environnement, etc.). D'autres se sont réfugiés dans un cynisme et un désabusement qui, à défaut d'être productif, a le mérite d'être de son temps. Le reste d'entre eux préfèrent le déni et vivent leur vie en essayant de ne pas trop y penser, comme la plupart des gens au Québec. Dans un tel contexte, les souverainistes qui persistent à vouloir convaincre les Québécois de la pertinence de leur option sont vus comme de pauvres Don Quichotte obsédés par leur rêve, prêchant dans le désert, incapables de comprendre que le Québec est passé à autre chose...
Cet apparent rejet de l'option souverainiste semble vouloir se confirmer avec la popularité médiatique de la CAQ et la descente aux enfers du PQ. Déjà le Bloc a pratiquement disparu de la Chambre des communes, victime de l'usure du temps et surtout du fait que le Québec n'est toujours pas un pays indépendant. Il a été remplacé par un groupe de députés néophytes, dans certains cas unilingues anglophones, d'un parti historiquement centralisateur, sans véritables racines québécoises... et sans chef. Comble de l'ironie, le principal lieutenant québécois du NPD est un ancien avocat d'Alliance Québec!
Oui, la bataille engagée depuis 40 ans semble terminée et on dirait bien que les fédéralistes l'ont gagnée par défaut, les souverainistes ayant déclaré forfait. Le Canada anglais jubile.
Et pourtant... un profond malaise persiste. S'ils donnent l'impression d'avoir renoncé à leur projet de pays, les Québécois ne se sentent pas plus Canadiens. Ils assistent, éberlués, au nation-building canadien mené par Harper et ses Conservateurs, et ne se reconnaissent pas dans ce projet rétrograde, unilingue anglais et monarchiste, influencé par la droite américaine. Mais la fracture ne se résume pas seulement à un rejet du parti au pouvoir à Ottawa. Sur une foule de questions, le Québec n'a jamais été aussi différent du Canada : armes à feu, vision de la justice, multiculturalisme, appui de l'état aux arts; la liste est longue. De leur côté, les Canadiens du ROC ont carrément rejeté l'illusion d'un pays binational et bilingue. Ils n'hésitent plus à clamer haut et fort que leur pays est un pays anglais, avec sa culture, ses institutions et ses héros (rappelons simplement l'épisode de l'émission de la CBC The Greatest Canadian, où on demandait au public de choisir le plus grand Canadien de l'histoire parmi 10 personnalités, liste qui incluait notamment Don Cherry. Le seul « canadien-français » de la liste était... Pierre-Elliott Trudeau). Entre les deux solitudes, pire que de l'incompréhension, il y a désormais de l'indifférence.
On a pourtant pu croire que les résultats des dernières élections fédérales laissaient entrevoir le début de retrouvailles entre les deux nations du Canada. Au contraire, le dernier scrutin a plutôt démontré que l'on peut désormais élire un gouvernement majoritaire sans l'appui du Québec. Dans ces conditions, pourquoi le Rest of Canada tenterait-il de plaire au Québec qui, de toute façon, n'est jamais satisfait de son sort? A fortiori quand l'image du Québec dans le ROC est celle d'une province opportuniste, corrompue et profiteuse, qui ne voit dans la fédération qu'un vulgaire guichet automatique? La menace souverainiste ayant disparu, le ROC ne ressent plus l'urgence ou même le désir de s'intéresser au Québec.
Le déclin démographique aidant, l'influence du Québec dans les affaires du pays s'étiole donc peu à peu... et, avec elle, le mirage d'une énième tentative de réformer le fédéralisme et de ramener le Québec dans le giron de la constitution. L'ère du French Power est bel et bien révolue, et le bilinguisme officiel étant maintenant ouvertement remis en question, on balaie les derniers restes de l'époque Trudeau.
Marginalisation du Québec au sein du Canada d'un côté, apparent abandon du projet souverainiste de l'autre? On ne s'étonnera pas de la morosité qui règne en ce moment au Québec. Oui, il y a les scandales, la corruption, les infrastructures qui s'écroulent, le recul de la langue française... mais il ne faut pas se leurrer, la vraie cause de cette déprime généralisée est d’abord le fait que les Québécois se sont fait rattraper par la question nationale malgré tout leur désir de « passer à autre chose ».
Une nouvelle approche souverainiste
De quoi le Québec a-t-il besoin? est le titre d'un livre présentement en libraire. À quoi pourrait bien ressembler ce fameux "autre chose"? Certainement pas à la CAQ, nouvelle incarnation de ces partis à la fois nationalistes et fédéralistes du siècle dernier. Qu'on le veuille ou non, le seul véritable "autre chose" qui n'ait pas encore été exploré par les Québécois est la souveraineté.
Il est d'abord nécessaire de convaincre la population de la pertinence du projet, tâche à laquelle le PQ a lamentablement failli depuis quelques années. Est donc proposée ici une approche en cinq points afin de remettre la souveraineté à l'ordre du jour.
1) FINIE, L’IDÉOLOGIE Clarifions d'abord une chose : les souverainistes ayant prouvé hors de tout doute qu'ils pouvaient gouverner adéquatement le Québec, ils doivent se débarrasser de cette idée selon laquelle il faut d'abord bien gouverner la province pour convaincre la population d'adhérer au projet souverainiste. Au contraire, le passage à la souveraineté devrait constituer le seul point au programme de tout parti souverainiste. Le message lancé à la population devrait être limpide : « Nous ne voulons ni gouverner une province, ni gouverner un nouvel état. Nous voulons seulement faire sauter l'obstacle qui bloque la progression du Québec depuis trop longtemps ». De cette façon, le discours du mouvement pro-souveraineté s'adresserait à l'ensemble de la population et non seulement au segment social-démocrate qui lui est traditionnellement favorable.
[Il serait d'ailleurs spécifié que des élections générales seraient tenues dans les mois suivant l'accession du Québec au statut de pays souverain. Après la souveraineté, la question nationale ayant disparu de l'équation, le Québec pourrait voir émerger un nouveau système de partis divisé selon un axe gauche-droite, comme dans tout pays normal]
En d'autres termes, il apparaît contre-productif d'associer le projet souverainiste à toute orientation ou projet économique spécifique : comme on peut déjà le constater, cela a pour effet de pousser une partie de la population vers le maintien du fédéralisme. Pour gagner un référendum, les souverainistes doivent s'affranchir de toute idéologie autre que celle de gagner pour le Québec la liberté de faire ses propres choix. De cette façon, on convaincra les différents segments de la population qu'une fois la souveraineté acquise, ce sera à eux de décider dans quelle direction ira le Québec.
2) FINI LE POUVOIR Compte tenu du désabusement de la population face aux promesses des politiciens, il faudra que les partis souverainistes insistent sur le fait que leur priorité ne sera plus le pouvoir, mais bien la souveraineté. Le PQ, principalement, doit se débarrasser de cette image d'un parti qui passe sous silence le premier point de son programme de peur de repousser les électeurs. Ajuster son discours aux sondages ou à l'air du temps ne fait que renforcer les préjugés de la population envers les politiciens, vus comme étant opportunistes et sans scrupules. La popularité du Maire Labeaume à Québec le démontre : les gens apprécient la franchise et les politiciens qui donnent leur opinion en se fichant du qu'en dira-t-on.
3) FINI LE COMMENT Un autre constat s'impose : les souverainistes doivent revenir à la base, c'est-à-dire à la transmission de leur message. Trop longtemps, on a parlé du comment arriver à la souveraineté; il faut revenir au pourquoi et, par le fait même, renouer avec la pédagogie souverainiste. En l'absence presque complète de journaux ou de réseaux de télévision favorables à la souveraineté, pourquoi ne pas profiter des médias sociaux, des sites de vidéos, des applications portables? On pourrait envisager par exemple une série de courts vidéos, produits sur un ton humoristique, montrant les avantages d'un Québec souverain et l'absurdité de rester dans le Canada. Dieu sait qu'il existe beaucoup de thèmes potentiels pour ces petites capsules... et une pléthore d'humoristes au Québec! Ce discours rafraîchi rejoindrait une bonne partie de la population habituellement réfractaire aux questions identitaires. À quand un Daily Show with Jon Stewart à la sauce souverainiste?
Ce message souverainiste gagnerait aussi en efficacité si l'on parvenait à associer la question nationale à une autre génération que celle du baby-boom. Il est primordial que le mouvement soit vu comme multi-générationnel et que les jeunes, surtout, contribuent à en façonner le message. Certes, cela passera par une rhétorique souverainiste plus décentralisée, moins "contrôlée d'en haut"; mais on réussira ainsi à rendre le projet plus actuel, plus moderne et plus « cool » - bref, à en faire un véritable mouvement social... sur Facebook et ailleurs.
4) LA LANGUE FRANÇAISE Il y a aussi l'incontournable question linguistique. Le mouvement souverainiste n'a pas le choix : il doit moderniser son discours sur la langue et s'éloigner de sa réputation d'intolérance et d'anglophobie. Les Québécois veulent vivre en français, mais comprennent que l'anglais fait partie de leur vie. Ils sont pour la plupart mal à l'aise avec les discours ou les règlements anti-langue anglaise. Ce dont le Québec a besoin au plan linguistique n'est pas de légiférer ou de contraindre, mais plutôt de lancer un message clair en devenant un pays, un pays de la langue française. De fait, il faudra insister sur le fait que la souveraineté permettra de transformer notre rapport à l'anglais : le Québec, enfin libéré de son complexe d'infériorité linguistique, cessera enfin de considérer cette langue comme une menace à sa survie culturelle. À plus long terme, on pourra même voir la communauté anglophone non pas comme un danger, mais plutôt comme un atout pour un Québec indépendant dans le contexte de la mondialisation.
5) LA FIERTÉ Enfin, on devra impérativement renouer avec la part de rêve qu'implique le passage au statut de pays. Pourquoi les publicités souverainistes ne comportent-elles jamais d'images de drapeau du Québec flottant à l'ONU, de casques bleus québécois, de délégations québécoises parlant en notre nom dans les grandes conférences internationales, de produits manufacturés vendus à l'étranger avec l'appellation « Fait au Québec », d'équipe de hockey nationale participant à un tournoi olympique? De plus, la perspective de la création d'une « image de marque » nationale propre au Québec laisse entrevoir une multitude de possibilités, surtout dans un contexte où le Canada perd peu à peu son traditionnel capital de sympathie de par le monde. Au lieu de n'être qu'un coin oublié de l'Amérique du Nord, le Québec s'élèverait au rang de nation moderne, progressiste et respectée, une « Norvège d'Amérique ». (Rappelons à cet effet que la Norvège s'est pacifiquement séparée de la Suède en 1905 pour devenir un état indépendant.)
Enfin, tenter "autre chose"
Il reste à donner l'impulsion à ce mouvement, à briser le cycle de défaitisme et d'auto-dénigrement dans lequel nous avons sombré et qui rend mes amis, comme tant d'autres Québécois, si désabusés. Grosse commande... Mais pourquoi ne pas justement utiliser cette morosité comme levier pour relancer le débat? Pourquoi ne pas mettre le doigt sur le bobo en faisant réaliser à tous les véritables causes de notre malaise collectif? La population veut du changement, veut une autre façon de faire les choses; le défi des souverainistes est de convaincre que nous allons mal parce que nous sommes coincés dans le Canada et que le véritable changement ne pourra se concrétiser qu'avec un nouveau pays.
Le climat actuel ne saurait être plus favorable aux souverainistes. Le principal argument des fédéralistes est de répéter ad nauseam que les gens ne veulent plus entendre parler de souveraineté, mais ils ne proposent aucune alternative. Si les souverainistes pouvaient enfin cesser de jouer le jeu de leurs adversaires et relevaient la tête, ils pourraient à nouveau rendre leur projet attrayant pour la population. Cela commence par le fait d'être fier d'être souverainiste et de le clamer haut et fort, au lieu de le dissimuler ou d’en sous-estimer l’importance pour ne brusquer personne. Et lorsqu'on nous accusera de revenir encore sur une question dont personne ne veut entendre parler, on rétorquera que contrairement à leurs adversaires, les souverainistes proposent de faire quelque chose de concret pour que les Québécois soient guéris de ce malaise et puissent enfin « passer à autre chose ».
Pour en finir avec les "ce n'est pas dans l'air" et autres "le fruit n'est pas mûr", il faut donc reconstituer la véritable coalition pour l'avenir du Québec, c'est-à-dire la coalition de tous les Québécois, de gauche comme de droite, souverainistes durs et mous, des villes et des régions, qui pensent que l'immobilisme n'est plus acceptable. Ouvrons la porte à tous, ceux du PQ, de Québec solidaire, d'Option nationale, de la CAQ et même ceux qui ont répondu aux sirènes du NPD. Appelons-en à tous les Québécois : laissons nos divisions politiques de côté pour un temps. Le temps de devenir souverains.


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7 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    22 décembre 2011

    @Didier
    «Ce n’est pas ce que je vois monsieur Thomas. Et ce n’est pas ce que voient la plupart des "opportunistes" qui, eux, ont un don pour flairer les tendances.»
    Il ne faut pas chercher loin la cause du désabusement général de la population face aux instances politiques lorsque certains confondent positions politiques et tendances. Imaginer un avenir pour le Québec ne revient pas à faire une étude de marché.
    Et si votre exemple cherchait à nous enlever l'arrière-goût d'opportunisme que nous laissent la CAQ et ses protégés, je le trouve bien mal choisi. Car renier ses convictions pour sauver son siège à l'assemblée nationale, cela évoque à coup sûr des parfums d'opport... ah non pardon, on dit populisme ou mieux, pragamtisme. Ça fait moins mal dans les sondages.

  • Antoine Dubé Répondre

    20 décembre 2011

    Voilà un beau texte. Positif, emballant et convaincant.
    Je ne connais pas votre âge mais votre texte est rafraîchissant au niveau du style et des idées.
    J'ai particulièrement aimé votre dernier paragraphe sur l'importance d'unir nos forces. Une idée pleine de sagesse.
    Bravo et merci!

  • Archives de Vigile Répondre

    20 décembre 2011

    Un texte que je trouve excellent, la première partie reflète ce que je constate depuis trop longtemps, en fait ce que tous constatent...Tous constatent la lassitude devant un débat qui n'avance pas, les controverses n'aidant pas non plus! pourtant restons optimistes...

  • Archives de Vigile Répondre

    19 décembre 2011

    Votre projet ne peut se réaliser que si le PQ disparaît. Et pour cela, il faudra attendre la prochaine élection. Une fois le PQ enterré, une ON élargie et vos idées pourront prendre la place.

  • Archives de Vigile Répondre

    19 décembre 2011

    "Le climat actuel ne saurait être plus favorable aux souverainistes..."
    Ce n'est pas ce que je vois monsieur Thomas. Et ce n'est pas ce que voient la plupart des "opportunistes" qui, eux, ont un don pour flairer les tendances.
    À preuve cet article:
    "Quatre élus indépendants se rallient à la CAQ"
    http://www.radio-canada.ca/nouvelles/Politique/2011/12/19/001-caq-independants-adhesion.shtml

  • Laurent Desbois Répondre

    19 décembre 2011

    Le fossé se creuse entre le Québec et le Canada! Harper représente très bien ce Canada!
    Une Question claire pour Stéphane Dion, lors du prochain référendum!!!
    https://www.facebook.com/media/set/?set=a.232916908139.169388.652793139&type=3#!/photo.php?fbid=10150337864323140&set=a.232916908139.169388.652793139&type=3&theater
    La décanadianisation du Québec s’accélère. L’identité québécoise a atteint, en novembre 2010, un niveau historique de 60% !
    http://www2.lactualite.com/jean-francois-lisee/la-decanadianisation-du-quebec-saccelere/7024/
    Question: Voulez-vous que le Québec soit formellement reconnu comme nation dans la constitution. Je ne vous laisse pas deviner: en noir, c'est non !
    http://www2.lactualite.com/jean-francois-lisee/la-fin-des-deux-solitudes-voir-cest-savoir/9061/

  • Archives de Vigile Répondre

    19 décembre 2011

    Tu sais Mathieu, on est tous d'accord dès que le moindrement on est sensibilisé à la cause...
    C'est même pas une cause... c'est un fait...
    Le problème qu'on a Mathieu est ben simple...
    On a pas de Capitaine...
    Et si oui, nomme-moi en un?
    On est tous d'accord qu'on pourrait sacrer les squatteurs dehors de notre maison...
    Ensuite, ben là on discutera entres-nous des détails relatifs à notre habitation, et le chef de la maison s'arrangera avec les voisins pour les détails extérieurs.
    On peux-tu se côtiser pour donner 2 piasses chaque et offrir 16 millions à celui qui nous donnera notre indépendance?
    Tu sais... engager quelqu'un...
    Le privé... c'est à la mode...
    Ben faisons affaire avec le privé pour y arriver.