Et si finalement il n'y avait pas d'élections en septembre ? ...

Tribune libre

Par André Parizeau (*)
Plus les semaines passent, et plus les rumeurs pour un déclenchement d'élections d'ici la mi-août, avec tenue du scrutin au plus tard lundi le 17 septembre, se font insistantes. Faut-il pour autant tout mettre nos oeufs dans ce panier, faire comme si c'était sûr et certain et accepter de mettre de côté tous les efforts de mobilisation des derniers mois, en attendant de savoir ce qui se passera des suites de ces élections ? A supposer évidemment, que celles-ci aient bien lieu ?
Bien des gens ont actuellement tendance à penser qu'il y aura des élections. De fait, les possibilités qu'il y aient des élections très bientôt sont réelles. Mais il y a aussi un mais.
En fait, il y en a au moins trois.
Premièrement, personne à part Jean Charest, et son entourage proche, ne peut vraiment savoir ce qui peut actuellement se trâmer dans sa tête. Comme celui-ci a l'habitude de nous dire, c'est lui qui a les deux mains sur le volant. C'est bien malheureux, mais c'est comme cela. On voudrait bien que cela soit différent, mais pour le moment, c'dest encore lui, et son parti, ainsi que ses fameux "amis", qui mènent à Québec.
Plus d'une fois, au cours des douze derniers mois, les libéraux nous ont fait le coup de laisser couler toutes sortes de rumeurs à propos d'élections qui s'en viendraient. Question de mettre tous les partis d'opposition sur le qui vive, et de les forcer en même temps à se mettre en mode pré-électoral, et de leur faire dépenser en même temps des sous inutilement. Il s'agissait aussi de maintenir dans l'opinion publique et dans les médias, une attention vis à vis des libéraux qui pouvait avoir tendance à se lasser. Le résultat: ce n'était à chaque fois que des ballons d'essais; le temps continuait à filer et, pendant ce temps, le niveau d'appuis pour les libéraux se mettait à remonter.
Pourrait-il s'agir une fois encore de la même stratégie ? Chose certaine, s'il n'y a pas d'élections de déclenchées d'ici la mi-août, alors il n'y en aura pas du tout avant le prinptemps 2013, car il serait très surprenant que les libéraux veuillent faire une élection alors que les audiences de la Commission Charbonneau auraient recommencé à se tenir. Soit à partir du 17 septembre.
Ironiquement, les libéraux pourraient bien s'être fait prendre à leur propre jeu. Bien des gens disaient jusqu'à tout récemment que le gouvernement de Jean Charest pourrait profiter de la relance de la grève étudiante à l'automne pour déclencher des élections. Or, à la mi-août, qui sera la date limite pour ce dernier s'il veut déclencher des élections, tout devrait encore être relativement calme sur le front étudiant. Le premier ministre ne pourrait pas non plus prétexter une soit disante "flambée de violence", pour justifier des élections rapides, puisque cela fait déjà un certain temps qu'il n'y a pas eu de réelles confrontations avec l'anti-émeute. Comme on peut le voir, rien n'est vraiment simple, même pour Jean Charest !
Deuxiemement, personne ne peut vraiment prédire ce qui adviendrait au lendemain d'une élection au Québec, advenant bien sûr que de telles élections auraient effectivement lieu.
Un scénario toujours possible serait que Jean Charest réussirait à se faire réélire une fois de plus. Ce serait un scénario catastrophe, mais cela demeure toujours dans les possibilités, si on se fit aux plus récent sondages. Jean Charest, lui-même, n'irait pas en élections de manière précipitée, sans que cette possibilité existe. Ce serait autrement suicidaire et, même si celui-ci a bien des défauts, je ne crois qu'on puisse dire qu'il aurait des tendances suicidaires. Pas plus qu'on devrait penser que ses principaux conseillers, en commencant par les membres de la famille Desmarais, auraient un quelconque intérêt à provoquer une débandade électorale, chez les libéraux. Cela n'aurait aucun sens et cela irait également complètement à l'opposé des intérêts de tous ces néo-libéraux qui, en surplus, ne pourraient supporter de se retrouver, une fois encore, avec des souverainistes au pouvoir à l'Assemblée nationale.
Si les libéraux devaient ultimement conclure, avant la fin de l'été, qu'ils n'ont aucune chance de se faire réélire, alors on peut gager qu'il n'y aura pas d'élections. À l'opposé, et s'ils devaient décider d'aller en élections, alors personne ne devrait exclure la possibilité que les libéraux pourraient à nouveau se faire réélire. Ils briseraient alors un record que seul Duplessis avait lui-même pu brisé avant. La comparaison parle d'elle-même ...
Un autre scénario pourrait être que ce serait plutôt le PQ qui prendrait le pouvoir, mais que ceux-ci n'auraient pas forcément, et pour autant, une majorité de députés pour gouverner. Dépendamment du nombre de députés élus, du côté de Québec solidaire, et d'Option Nationale, le PQ pourrait alors tenter de travailler plus étroitement avec ceux-ci. Encore faudrait-il alors que ces trois partis souverainistes puissent au moins détenir une majorité de sièges à l'Assemblée Nationale. Autrement, tout cela pourrait déboucher sur un scénario tout autant catastrophe, dans la mesure où le PQ aurait alors besoin de l'appui des libéraux ou de la CAQ pour se maintenir au pouvoir.
En d'autres termes, Jean Charest pourrait encore continuer à tirer les ficelles en sous main et aucun des grands engagements du PQ, de même que de Québec solidaire et d'Option Nationale, en commencant par l'abrogation de la loi 78, ne pourrait alors voir le jour. Il en irait de même en ce qui a trait à l'introduction d'une réforme en profondeur pour tout ce qui a trait aux lois portant sur l'exploitation de nos richesses naturelles et la protection de notre environnement. Même chose pour ce qui est de l'abrogation de la taxe sur la santé, la nécessité d'une réforme du Code du travail, le renforcement de la loi 101, sans oublier non plus, évidemment, de la relance du processus d'accession du Québec à sa pleine indépendance.
On pourrait également vouloir qu'Option Nationale ou Québec solidaire prennent le pouvoir. Sauf que, réalistement, les conditions ne sont pas encore là pour que cela puisse se produire. Aussi bien l'un que l'autre n'ont pas encore suffisamment d'appuis et de forces pour pouvoir à court terme prétendre véritablement prendre le pouvoir, advenant une élection au début de l'automne. Les dernières élections partielles, tenues dans Lafontaine et dans Argenteuil, le démontrent amplement. Au mieux, ils pourraient augmenter de manière significative leur présence à l'Assemblée Nationale, ce qu'on peut et devrait leur souhaiter tous et toutes.
Bien sûr, le PQ pourrait, de son côté, réussir à prendre le pouvoir avec une majorité absolue de députés à l'Assemblée nationale. Compte tenu de l'état actuel des sondages, ainsi que de la division du vote, du côté des forces souverainistes, cela ne sera pas donné d'avance. Admettons quand même, pour les besoins de l'exercice, qu'une telle option se réaliserait. Pouvons-nous pour autant être sûr que Pauline Marois et le PQ respecteraient à la lettre les engagements électoraux qu'ils ont déjà pris ? On pourrait le souhaiter, mais cela ne veut pas dire que cela va se produire de manière assurée.
Pour arriver à prendre ainsi le pouvoir, le PQ devra nécessairement compter sur le fait qu'un grand nombre de gens voteront stratégique. En agissant de la sorte, cela pourra aider le PQ, mais cela affaiblira du même coup Québec solidaire et Option Nationale, à cause de la manière dont fonctionne notre système électoral, ce qui pourrait à la longue désservir aussi bien la cause de tous les progressistes, que la lutte pour la relance du combat pour l'indépendance du Québec, parce que cela laisserait alors toute la place au PQ pour éventuellement ... reléguer aux oubliettes au moins une partie de ses propres engagements électoraux. Souvenons-nous en effet que le PQ a déjà plus d'une fois agi de la sorte. Il pourrait encore le faire, surtout si les autres partis souverainistes, plus à gauche, demeurent faibles. Une fois encore, on pourrait alors se retrouver le bec à l'eau.
Même dans les meilleures années du PQ, lors de son premier mandat, obtenu au lendemain des élections de 1976, il fallut plusieurs fois que les syndicats sortent les pancartes et descendent dans la rue pour convaincre celui-ci d'appliquer ce qu'il avait pourtant déjà promis de faire. À cette époque, le PQ avait pourtant, de manière officielle, un "préjugé favorable aux travailleurs", ce qu'il se défend bien d'avoir encore aujourd'hui. Et pourtant ...
Tout pourrait aussi se passer autrement. Le PQ pourrait se retrouver majoritaire et respecter aussi ses engagements, amorcer une réforme en profondeur des politiques des 30 dernières années et revenir à des pratiques, plus en ligne avec le bien commun. On pourrait tous et toutes le souhaiter, mais , une fois encore, cela ne veut pas dire pour autant que cela va nécessairement se produire.
Dans un tel contexte, chaque militant, chaque militante, où qu'il ou soit, et quelque soit le milieu ou ils oeuvrent, devrait d'abord et avant tout se demander ce qu'il ou elle peut faire, d'ici l'automne, pour maximiser nos chances pour que le mouvement de contestation engendré par ce printemps québécois ne finisse pas en queue de poisson, qu'il y ait ou non une élection en septembre.
À mon point de vue, l'attitude actuelle de bon nombre de gens, consistant à espérer pour le mieux et à se mettre la tête dans le sable face aux nombreux écueils se dressant toujours devant nous, tout en souhaitant des élections le plus vite possible, est la pire des approches à suivre. On peut certes souhaiter que tout finira pas bien se passer, mais on sait que la politique marche rarement comme cela, que cela ne se passe que très peu souvent en ligne droite, sans détour, ni difficultés. L'important, dans un tel contexte, réside alors dans le fait de ne pas mettre tous nos oeufs dans le même panier; cela nous prend aussi des plans "B", au cas où le plan "A" ne marcherait pas.
Dans ce sens, il demeure toujours aussi important de faire pression, partout, et dans chaque syndicat, pour que les différentes centrales syndicales conviennent de la nécessité de réunir leurs instances respectives afin de discuter du fameux projet de grève sociale. Je sais. On me rétorquera que la plupart des hauts dirigeants syndicaux n'appuient pas un tel projet de grève. Et puis, diront les autres, peut-être que cela ne sera même pas nécessaire, si jamais le PQ devait effectivement prendre le pouvoir. Sauf que cela pourrait tout aussi bien s'avérer bien au contraire très utile. Surtout, s'il n'y a pas d'élections, si les libéraux se font finalement réélire, ou si le PQ devait ultimement décider de ne plus respecter ses engagements, advenant leur élection. En bout de ligne, cela fait pas mal de si qui justifierait qu'on ait justement au moins, dans notre manche, un plan "B".
Quand un groupe de travailleurs et de travailleuses donnent à leurs dirigeants un mandat de faire la grève au besoin, ainsi qu'au moment jugé le plus opportun, cela ne veut pas dire qu'ils mettront obligatoirement en action ce mandat. C'est en même temps un geste qui démontre le sérieux de ces travailleurs et travailleuses, et cela peut aussi servir à augmenter la pression vis-à-vis de leur employeur. La même chose vaut quand les centrales syndicales s'unissent autour d'un mot d'ordre de grève générale.
Et qu'on ne vienne pas non plus me dire que le "timing" ne serait pas là ou que la base ne suivrait pas. Chaque fois qu'il fut question dans le passé de prendre un tel mandat pour une action de grève générale -- ce fut notamment le cas en 1976, puis à nouveau en 2003 --, cet argument fut ramené par ceux qui ne croyaient pas aux vertues de l'unité dans l'action de l'ensemble du mouvement syndical. À chaque fois également, il se trouva bon nombre de hauts dirigeants pour dire que cela n'était pas le meilleur moyen de gagner sa cause et que cela n'était pas le temps. Est-ce que cela découragea les autres de pousser pour un tel mot d'ordre? Pas du tout.
Aussi serait-il important pour tous ceux et celles qui croient déjà à l'idée d'une telle grève sociale, de continuer à pousser dans leurs milieux respectifs, pour que le principe soit entériné par un maximum de forces possible. Historiquement, c'est souvent grace aux militants et militantes plus à gauche que les chemins ont pu être défrichés et que les choses ont pu finalement bouger. Les choses ne sont pas différentes aujourd'hui.
L'autre chose à considérer touche au projet d'alliances entre le PQ, Québec solidaire, et Option Nationale. Depuis près d'un an, les pressions en vue d'une telle alliance se sont faites de plus en plus nombreuses. En même temps, et surtout depuis quelques semaines, il y a comme une sorte de résignation, chez bon nombre de militants et de militantes, pour dire que cela serait certes une bonne idée, mais que cela n'aurait finalement que très peu de chances de réussir d'ici août.
De fait, et dans la perspective où il y aurait effectivement, en août, déclenchement des élections, cela ne laisserait que peu de temps pour qu'une telle alliance se produise. Sauf que personne ne peut dire pour sûr s'il y aura ou non de telles élections, comme nous le disions plus haut. Autre point: si les discussions pour une telle alliance devaient juste commencer à se produire, gageons que cela pourrait influencer les libéraux quant à leur décision finale pour un déclenchement effectif de ces élections. Tout cela pourrait donc aussi contribuer à une sorte d'effet boule de neige.
D'une manière ou d'une autre, et même si des élections devaient effectivement se produire, sans donner assez de temps aux différents partis souverainistes de conclure une telle alliance, ce ne serait alors que partie remise. Il faut en effet se rappeler qu'une telle alliance devra forcément et obligatoirement se réaliser si on veut véritablement faire l'indépendance. Aucun peuple dans le monde n'a jamais réussi à devenir libre sans d'abord réussir à faire l'unité de forces les plus vives de sa société. Le Québec ne pourra faire exception à cette règle. La chose est tout aussi vrai pour l'obtention éventuelle d'un changement en profondeur de toute notre société. Aussi bien, et conséquemment, continuer à défendre le principe de cette unité.
En résumé, et quoiqu'il arrive en septembre, il ne faudrait pas être pris les culottes à terre. C'est pourquoi les pressions en vue d'abord de faire adopter le principe d'une grève sociale à travers tout le Québec, mais aussi de pousser les principaux partis souverainistes à faire une alliance, s'imposent toujours avec autant de force aujourd'hui.
*: André Parizeau est le chef du Parti communiste du Québec (PCQ); ce texte est également accessible sur le site du PCQ au [www.pcq.qc.ca->www.pcq.qc.ca] .

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Chef du Parti communiste du Québec (PCQ), membre fondateur de Québec solidaire, membre du Bloc québécois, et membre de la Société Saint-Jean Baptiste de Montréal (SSJBM)





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1 commentaire

  • Jean-Claude Pomerleau Répondre

    10 juillet 2012

    Tout tient aux sondages (chez les francophones):
    5) Le vote libéral chez les francophones est passé
    de 19% en janvier à 27% en juin. Cet indicateur est
    le plus important et incitera les libéraux à déclencher
    des élections. (Léger et Léger, 19 Juin)
    http://www.legermarketing.com/admin/upload/publi_pdf/R2012-06-19-JUN-023-.pdf
    ...
    Depuis, il faut croire que l'appui aux libéraux s'est maintenu et que la campagne électorale est déjà en cours. Ce qui me porte à le croire c'est l'appel du ministre Clément Gignac au Le Devoir, pour parler du cas de la mine Stoneway (qui aurait refuser de signer une entente avec Hydro Québec sur une ligne de transport). Ce qui amène le ministre à conclure que les libéraux ne font pas de cadeaux aux minières. (arguments de la campagne électorale).
    On comprend que cette histoire, ainsi qu'une "étude" et un commentaire d'un "expert" (Cyberpresse), démontrant que le Québec n'est pas propice à l'investissement minier, a été scénariser par le bureau de Charest.Chacun joue sa partition.
    On joue pas ces cartes impunément, donc je pense que la campagne électorale est déjà commencé. Et qu'il est trop tard pour le Pacte, qui de toute manière n'avait pratiquement aucune chance de se conclure.
    La raison en est simple Les statut de QS font que les instances décident ;et, qu'une faction d'obédience trotskiste (anti-nationale, fédéraliste),n'en veut pas, donc, opposerait son veto. Françoise David le sait et sa tentative de faire porter l'odieux l'échec de ce Pacte sur le PQ est de l'enfumage de petite politique.
    Face à la gravité de la situation il nous reste peu de choix pour sortir les libéraux du pouvoir :
    Voter stratégique (PQ) ou diviser le vote et devenir des alliés objectifs des libéraux. Bref, voter idiot utile
    JCPomerleau