C’est l’exemple parfait d’un débat bien mal engagé. Alors que nous devrions être en train de nous interroger sur l’intérêt de développer la filière du gaz naturel à partir des gaz de schistes, nous voilà à nous demander si nous ne sommes pas encore en train de nous en faire passer une « p’tite vite » par une bande de filous pressés d’exploiter à leur profit un nouveau filon d’enrichissement personnel taillé sur mesure pour eux par le gouvernement Charest.
Je ne suis pas de ceux qui rejettent a priori toute occasion de développement industriel et économique (http://www.vigile.net/Un-carcan-et-des-oeilleres-qui ) même s’il s’agit d’exploiter des hydrocarbures, car il y a hydrocarbures et hydrocarbures. À une extrémité du spectre, vous avez les sables bitumineux et l’huile lourde dont les répercussions néfastes sur l’environnement sont bien documentées et que l’on exploite malgré tout en Alberta, et à l’autre extrémité de ce spectre, vous avez le gaz naturel que l’on exploite un peu partout dans le monde dans des conditions relativement sûres pour l’environnement.
Ainsi la France a exploité pendant plusieurs années un important gisement de gaz naturel situé à Lacq dans les Pyrénées-Atlantiques sans conséquences dommageables pour l’environnement immédiat, et pour son plus grand bénéfice économique même si ce gaz avait une teneur assez élevée en soufre, ce qui n’est pas le cas pour le gaz qu’on a découvert au Québec.
La présence de gaz au Québec est connue depuis la fin des années 1960 alors que des premiers forages menés par Shell principalement dans les Basses-Terres du St-Laurent, en piémont des Appalaches, avaient permis d’identifier une formation offrant un potentiel que la multinationale avait vite jugé insuffisant.
Les travaux de Shell avaient été repris par SOQUIP, la Société québécoise d’initiatives pétrolières mise sur pied par le Gouvernement du Québec pour le doter de ce qu’on appelait à l’époque « une fenêtre sur l’industrie ». Il s’agissait d’une petite équipe d’une centaine de personnes dirigée par Bernard Cloutier, Jean-Baptiste Bergevin et Jacques Plante, un trio de personnages truculents, rabelaisiens même, avec lesquels j’ai eu le plaisir de travailler pendant un peu plus d’un an vers la fin des années 70. Cloutier et Plante connaissaient bien l’industrie pétrolière pour y avoir travaillé au sein des grandes multinationales Esso et Shell.
Le président Bernard Cloutier et le vice-président à l’exploration Jacques Plante, habitués à la grande industrie et à la valse des milliards, furent reçus comme des chiens dans un jeu de quille par le Conseil du Trésor qui fonctionnait au goutte à goutte, et ne purent jamais prendre l’essor qui aurait été nécessaire pour établir avec précision le potentiel du Québec en hydrocarbures, malgré toute la bonne volonté de Jean-Baptiste Bergevin, un haut fonctionnaire de carrière envoyé chez Soquip pour veiller au grain, mais qui comprenait parfaitement que la dynamique de l’industrie pétrolière et gazière avait des exigences différentes de celles d’un gouvernement. Malgré tout, ils parvinrent à localiser un gisement à Saint-Flavien qui put être exploité sans incident pendant une dizaine d’années grâce à la technique du gaz porté.
Cette dernière information est utile pour démontrer que l’exploration et l’exploitation du gaz naturel ne sont pas des activités très lourdes pour l’environnement. Les emprises au sol sont assez restreintes et les infrastructures d’extraction ne sont guère imposantes. Rien à voir avec une usine ou une mine, encore moins une mine à ciel ouvert comme le sont les bassins d’extraction des sables bitumineux ou les anciennes mines d’amiante.
***
Le cas des gaz de schistes est un peu différent dans la mesure où le forage n’est pas vertical, mais horizontal et qu’il existe un risque encore insuffisamment documenté de contamination de la nappe phréatique. L’utilisation de la technologie du forage horizontal avec fracturation hydraulique est encore assez récente bien qu’elle ait révélée jusqu’ici un potentiel très intéressant. Il y a donc du travail qui reste à faire pour en établir l’innocuité.
De plus, au delà de la possibilité qu’elle cause des dommages à la nappe phréatique, il faut souligner qu’elle est très gourmande en eau. Il n’est donc pas question de permettre l’installation de puits là où l’utilisation de quantités industrielles d’eau aurait pour effet de menacer la continuité de l’approvisionnement de la population locale.
Dans ces conditions, il y a lieu d’avancer prudemment, ce qui, selon la suffisance des informations disponibles, peut ou non signifier un moratoire.
***
Une chose est certaine, la situation est encore trop incertaine pour justifier la fébrilité de Klondyke qui semble avoir gagné les officines de lobbying ces jours derniers. D’autant plus que le régime des redevances pour le gaz n’a même pas encore été déterminé. On comprend que l’industrie soit pressée d’aboutir, surtout si en bousculant le tempo elle peut se négocier des conditions plus favorables. Mais son empressement devrait justement constituer pour le gouvernement un signal de se hâter lentement (Σπεύδετε βραδέως , comme le disaient les Anciens).
L’ennui, c’est que Charest a déjà mis en place son réseau « de copains et de coquins » Gal De Gaulle). Ils sont affamés et ils sont prêts à vendre non pas leur mère (quoique...), mais la nôtre. Qui plus est, à moins qu’ils ne vivent sur une autre planète, ils doivent bien sentir que, pour eux, c’est maintenant ou jamais. Le pillage par les domestiques, c’est toujours dans les derniers jours avant une révolution qu’il se produit.
Gaz de schistes
Filières, filons et filous
Le pillage par les domestiques, c’est toujours dans les derniers jours avant une révolution qu’il se produit
Chronique de Richard Le Hir
Richard Le Hir673 articles
Avocat et conseiller en gestion, ministre délégué à la Restructuration dans le cabinet Parizeau (1994-95)
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8 commentaires
Archives de Vigile Répondre
10 septembre 2010Exploitation des hydrocarbures : un autre modèle que celui de la gang libérale à Charest.
[ « Il est maintenant clairement établi qu'au niveau des droits d'exploration, les Québécois se font avoir puisque la Colombie-Britannique a reçu 1000 fois plus d'argent pour les droits (3,5 milliards) que le Québec (3,6 millions) en 2008 et 2009.
Il est faux de dire qu'un moratoire ferait fuir les entreprises. Si on se tient debout face à ces entreprises, nous n'avons pas à craindre leur réaction car le gaz est chez nous. Lorsque Danny Williams, premier ministre de Terre-Neuve, a tenu tête aux entreprises pétrolières, elles sont parties... puis sont revenues en acceptant ses conditions.
Des experts en consultation publique et environnementale ont reconnu que le BAPE n'a ni les moyens, ni le temps, ni le mandat pour considérer de façon scientifiquement sérieuse les enjeux de sécurité et d'environnement, perdant du coup sa crédibilité.
Au sud de la frontière, 62 présidents de sociétés scientifiques américaines viennent de demander au gouvernement Obama de soumettre l'exploitation des gaz de schiste à une évaluation écologique avant d'aller plus loin avec cette filière.
N'ayant pas d'étude scientifique indépendante qui nous permettrait de croire que le gaz naturel issu des schistes est aussi propre que le gaz naturel conventionnel, on ne peut se fier sur la simple parole des promoteurs en ce qui a trait à la sécurité et la protection de l'environnement.
Si Jean Lesage et René Lévesque ont proposé en 1962 la nationalisation de l'électricité, c'était parce que les centrales sur notre territoire appartenaient à des intérêts privés pour la plupart étrangers. Le présent gouvernement libéral Charest est en train de démanteler l'héritage libéral de «Maîtres chez nous» en redonnant pour une bouchée de pain le contrôle de nos ressources énergétiques à des entreprises privées, dont plusieurs étrangères. De plus, ces entreprises peuvent en venir à exproprier des citoyens de leurs propres terres.
Pour ce qui est des quelques compagnies québécoises telles que Junex, rien ne nous garantit qu'elles resteront québécoises.
En réponse à ceux qui prétendent qu'une prise de contrôle publique des ressources est une solution de pays émergents qui ne s'applique pas au Québec, rappelons qu'en Norvège, l'État garde 51% de la propriété des droits d'exploitation des hydrocarbures et est classé comme le meilleur pays au monde quand au niveau de vie selon une analyse de 2010 des Nations unies.
La ministre des Ressources naturelles et de la Faune a reconnu que la présente loi des mines est totalement désuète. Cela n'a pas empêché son gouvernement d'octroyer des droits sachant les problèmes majeurs auxquels les citoyens feraient face. De plus, la stratégie énergétique datant de 2006 n'a jamais fait mention du gaz de schiste.
Le Québec, comme le reste de la planète, doit absolument diminuer sa consommation d'énergie pour des raisons écologiques et économiques évidentes. Or, ce gouvernement a au contraire adopté une politique d'augmentation constante de notre consommation et production d'énergie et va, contrairement à ce qu'il affirme, rater les objectifs de Kyoto.
Une surabondance de gaz sur le marché nord-américain ,qui est en train de se concrétiser, aura pour effet potentiel de fermer la porte, en abaissant trop les prix de l'énergie, à tout futur projet d'exportation rentable d'électricité d'Hydro-Québec. Or, nous sommes devant des surplus électriques très importants (au moins jusqu'en 2020 selon Hydro-Québec) qui ne tiennent même pas compte des projets La Romaine, Magpie, Petit Mécatina, des petites centrales hydroélectriques privées,[des parcs d’éoliennes ] et du Plan Nord.
La planète fait face à une crise climatique, énergétique et économique sérieuse. S'ajoute au Québec une crise de confiance majeure envers le gouvernement Charest.
Nous sommes d'avis que face aux faits énumérés ici sur le gaz de schiste, le gouvernement Charest n'a d'autre choix que d'imposer un moratoire immédiatement, de nous redonner nos droits d'exploration dès maintenant et d'engager un débat national sur notre avenir énergétique afin que nous puissions repartir du bon pied.
L'avenir énergétique, économique et écologique du Québec en dépend.»]
Source ; Daniel Breton et André Bélisle, Cyberpresse,10 septembre 2010
Les auteurs sont respectivement président de Maîtres chez nous-21e siècle et président de l'Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA).
Archives de Vigile Répondre
10 septembre 2010Gaz de schiste: mission impossible pour le BAPE.
Retraitée depuis 2008, Laurence Hogue a été responsable de toutes les études environnementales à Hydro-Québec pendant 10 ans. Et son pronostic est clair: le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) ne peut faire un travail sérieux sur l'industrie du gaz de schiste.
[« Il va se promener et écouter les gens, il ne va pas pouvoir faire grand-chose d'autre. Quant à moi, il va accoucher d'une souris.Ce sera difficile pour le commun des mortels de se faire une idée.Même pour les commissaires du BAPE, ce ne sera pas facile non plus. Quand un projet arrive, ils sont verts, ils ne connaissent rien. Je ne sais pas de quelles données va partir le BAPE pour tenir ses audiences.C'est la plus grande inquiétude. Normalement, il y a une étude d'impact. Là, on part de quoi? On a mis la charrue devant les bœufs. Il faudrait que quelqu'un commande une étude d'impact à une firme externe. C'est d'autant plus nécessaire que les compétences en hydrocarbures sont relativement rares au Québec, contrairement à l'hydro-électricité.»] par Mme Hogue
Mme Hogue se demande comment le BAPE pourra se passer de la pièce maîtresse de tout mandat «normal»: l'étude d'impact, qui décrit le projet et ses impacts possibles sur l'environnement.
Elle a piloté les études d'impact de tous les grands projets récents d'Hydro-Québec, dont Toulnustouc, Péribonka, Eastmain 1A/Rupert et La Romaine.
Des milliards d'investissements reposaient sur le sérieux des études d'impact et du travail subséquent devant le BAPE.
À Hydro-Québec, les études d'impact sont le fruit du travail de dizaines de spécialistes, aidés de consultants externes.
La production de l'étude d'impact est précédée d'échanges avec les ministères fédéraux et provinciaux. Tout ce processus peut prendre en tout de 18 à 30 mois.
Dans le cas du gaz de schiste, une industrie qui promet de dépenser des milliards par année, le BAPE n'aura pas ce document de référence.
Le service des communications du BAPE a dit :
[« Le document de base sera celui que le ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF) doit bientôt rendre public.Le ministre de l'Environnement nous demande d'enquêter sur un sujet plutôt que sur un projet.Il n’y aura pas d’étude d'impact parce qu'on n'a pas un projet précis avec un impact sur telle rivière ou tel boisé ou tel champ ou tel village. Le BAPE a 13 analystes qui ont d'autres mandats en cours . L'organisme va embaucher des spécialistes externes. »]
Source ; Charles Côté,La Presse,10 septembre 2010
complément d'information
http://www.vigile.net/La-frenesie-autour-des-gaz-de
Jacques Vaillancourt Répondre
5 septembre 2010En effet l'allégorie des domestiques est splendide!
Un rappel
On dit que l’histoire se répète.
Se souvient-on de la privatisation de la« corporation de gaz naturel du Québec» en 1958, devenu par la suite Gaz Metro.
«Le Scandale du gaz naturel»
Voir le Devoir du 13 juin 1958.
http://vailcourt.com/GAZ1958A.htm
**
@ Richard Le Hir Répondre
5 septembre 2010Réponse @ Gilles
Peut-être avez-vous une vision trop stéréotypée de ce qu'est une révolution. Nous ne sommes plus en 1789. Pensez plutôt à la chute du mur de Berlin, ou à la "révolution de velours" dans l'ancienne Tchécoslovaquie.
Une révolution, c'est le renversement de l'ordre établi. Aujourd'hui, la guillotine est morale, et les têtes roulent.
Richard Le Hir
Archives de Vigile Répondre
5 septembre 2010Bonjour M.Le Hir
Le devin
Clotaire Rapaille avait vu juste finalement, le scandale libéral de gaz de shiste qui pointe à l'horison démontre comment les québécois se comportent en sadomasochiste dans leur relation avec JJ Charest.
http://www.cyberpresse.ca/le-soleil/actualites/societe/201003/10/01-4259335-les-gens-de-quebec-sont-fiers-mais-complexes-dit-rapaille.php
Archives de Vigile Répondre
5 septembre 2010«Le pillage par les domestiques, c’est toujours dans les derniers jours avant une révolution qu’il se produit.» Vous me faites bien rire monsieur Le Hir.
Ce matin j'ai entendu à la radio quelques «gros alimentaires» chefs de village, genre bons toutous de type Labrador, prêts à suivre n'importe qui, du moment qu'il tient un biscuit sec à la main.
Révolution... Quelle révolution?!
Archives de Vigile Répondre
5 septembre 2010Nous devons nationaliser les matières premières car celles ci appartiennent de droit à tous les Québecois . Il faut empécher les commandités à Charest et les Albertains à qui il livrent ces richesses de nous voler si nous décidons de passer des énergies propres aux énergies fossiles sales .
Un Québec propre c'est mieux et à la longue plus rentable
Isabelle Poulin Répondre
5 septembre 2010Merci Monsieur Le Hir, l'allégorie des domestiques est splendides ! en termes de juste rang et en terme de timing(synchronisme ?) ! De plus la réflexion sur la filière et les filous est très coquine ! Ce qui nous amène à nous questionner sur le fil conducteur du pillage de notre demeure. Personnement, je suis de celles qui rêvent en couleur mais qui voit le monde en noir, blanc et GRIS avec joie. Je réserve mes neurones pour voir les liens entre les différents aspects de la vie plutôt que de détailler un seul aspect en douze nuances ! J'ai hâte qu'on parle du pillage qui se passe présentement à tous les jours, celui qui bafoue notre souveraineté À TOUS LES JOURS. Je sais, il faut approfondir les nuances pour pouvoir en parler ouvertement. Mais bon sang que ça prend du temps ! Voici des informations qui pourraient permettre de faire progresser les liens conforméments aux nuances ! Erreur 404 oblige, je ne peux vous l'envoyer en privé. Voici le lien : http://www.dailymotion.com/video/xdeakp_geoingenierie-le-paradoxe-partie-1_tech
http://www.dailymotion.com/video/xdf14y_geoingenierie-le-paradoxe-partie-2_tech