Gérard et Goliath

Enquête publique - un PM complice?


Au lieu de lui envoyer une mise en demeure, Jean Charest devrait remercier Gérard Deltell. Le mot «parrain» était sans doute blessant, même si le chef adéquiste s'est défendu d'avoir voulu établir un lien avec le crime organisé, mais cette diversion ne pouvait survenir à un meilleur moment.
Il n'est pas exagéré de parler d'omertà pour qualifier la façon dont le conseil général du PLQ a écarté tout débat sur l'opportunité de déclencher une enquête publique sur la corruption dans l'industrie de la construction.
Le premier ministre a plaidé que personne n'était intervenu pour museler ce délégué de Groulx, Martin Drapeau, ni pour empêcher qui que ce soit d'appuyer sa demande enquête. C'est précisément là le problème: les militants libéraux se sont écrasés en toute spontanéité.
La discipline de parti est une chose que Pauline Marois doit envier à M. Charest ces jours-ci, mais lui-même aurait peut-être préféré que les délégués fassent preuve d'un peu moins de servilité. Il aurait été dans l'intérêt du PLQ de faire au moins semblant d'être sensible aux préoccupations de la population.
Même l'Union des municipalités vient de faire une spectaculaire volte-face et réclame maintenant une enquête publique. Il n'y a plus que la FTQ, dont les accointances sont pour le moins troublantes, et le PLQ qui s'y opposent.
Dans le cas de la vente du mont Orford, le conseil général avait appuyé massivement la position du gouvernement, qui a d'ailleurs fini par se raviser, mais on avait au moins pris le temps d'en débattre.
Samedi, les secondes de silence pendant lesquelles M. Drapeau, qui milite au PLQ depuis 30 ans, a vainement attendu que quelqu'un l'appuie étaient terriblement gênantes. Un petit quart d'heure de discussion avant de rejeter sa proposition aurait été d'un bien meilleur effet.
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Il faut reconnaître que M. Charest a été très convaincant dans le rôle de la victime. On peut compter sur lui pour étirer la période de lamentations. À l'entendre, on devrait presque le féliciter de son refus de déclencher une enquête, dans la mesure où elle constitue une démonstration de la pluralité des opinions que l'on doit attendre d'une société démocratique. S'il y a du Robert Bourassa en lui, c'est bien dans cette façon tordue de présenter les choses.
Certes, «le dénigrement n'est pas un projet politique», mais le premier ministre, qui a déjà dû s'excuser d'avoir traité une députée péquiste de «chienne», n'est pas le mieux placé pour donner des leçons de civilité.
M. Charest accuse Pauline Marois d'être à l'origine de la détérioration du climat à l'Assemblée nationale. Là encore, il a la mémoire courte. Quand il est devenu chef du PLQ, certains de ses députés avaient été scandalisés de l'entendre dire qu'il leur fallait apprendre à «haïr» leurs adversaires. Durant la période de questions, il exigeait d'eux qu'ils se livrent à une véritable «vendetta».
Autant M. Charest avait besoin d'une diversion au conseil général, autant un peu de publicité ne ferait pas de tort à l'ADQ. Dans les circonstances, intenter une poursuite contre M. Deltell serait presque un échange de bons services. Compte tenu de la disproportion des moyens, elle pourrait cependant paraître abusive. Gérard contre Goliath...
Si «salir sans retenue ses adversaires politiques» est devenu la nouvelle méthode des partis de l'opposition, comme le prétend le premier ministre, il y a déjà longtemps que la sienne consiste à menacer ses opposants de recours judiciaires.
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Il est vrai que les mises en demeure de M. Charest tombent souvent à plat. Son ancien ministre Marc Bellemare a été poursuivi, mais la députée péquiste de Taschereau, Agnès Maltais, qui l'avait accusé de favoritisme dans la vente du zoo de Québec, n'a jamais été inquiétée.
L'an dernier, c'est la députée adéquiste de Lotbinière, Sylvie Roy, qui avait été sommée de se rétracter après avoir déclaré que trois ministres avaient séjourné sur le bateau de Tony Accurso. Là encore, l'affaire n'a pas eu de suite.
Les ex-députés péquistes de Joliette et de Drummond, Jonathan Valois et Normand Jutras, ont été mis en demeure sans plus de conséquences par la ministre Julie Boulet, dont ils critiquaient les méthodes de financement.
M. Charest a également eu recours à l'intimidation contre des journalistes. En 2006, il avait exigé une rétractation du directeur du journal indépendantiste Le Québécois, Patrick Bourgeois, qui avait mis en doute sa capacité de mener un train de vie aussi coûteux avec les revenus dont il disposait. M. Bourgeois n'avait pas été impressionné, mais Quebecor avait présenté des excuses et congédié un chef de pupitre, de même qu'un journaliste du Journal de Sherbrooke, qui avait repris à son compte l'histoire du Québécois.
Après avoir maintenu ses propos, M. Deltell peut difficilement se rétracter sans perdre la face. Même dans une position aussi précaire que celle de l'ADQ, c'est un luxe qu'un chef de parti ne peut pas se permettre.
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mdavid@ledevoir.com


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