En aparté

Gilles Rhéaume et les idées brunes

Vient de paraître, en pleine campagne à la présidence de la SSJB, Gilles Rhéaume baroudeur de l'indépendance, une biographie affligeante

17. Actualité archives 2007


Depuis Ludger Duvernay, cet éclatant et estimable révolutionnaire républicain qui a donné naissance à la Société Saint-Jean-Baptiste, les idées de cette société ont souvent rétréci. Elles se sont même dénaturées, en particulier durant la première moitié du XXe siècle, au point de devenir parfois de tristes caricatures de leur époque. Au nouveau millénaire, on croyait la SSJB en bonne voie de s'affranchir pour de bon d'un lourd passé et de s'adapter à des conditions nouvelles où l'acte militant n'est plus conduit en fonction de perspectives nationalistes trop étroites.
Mais voyez-vous ce qui se passe ces jours-ci à la Société Saint-Jean-Baptiste?
Gilles Rhéaume, qui a dirigé la SSJB de 1981 à 1985, s'est porté candidat à la succession du président actuel, Jean Dorion, qui sollicite pour sa part un troisième mandat. Rhéaume, 56 ans, tente de remplacer ce personnage plutôt sobre, pour ne pas dire terne.
Farouche militant indépendantiste, Rhéaume possède un style bien à lui. Il tient un discours populiste à l'ancienne et se montre toujours capable de fomenter des coups médiatiques de toutes sortes. Personne ne s'étonne de l'entendre, parfaitement à l'aise, en compagnie d'un Gilles Proulx ou d'autres professeurs d'idées brunes qui en mènent large.
Reproches
Gilles Rhéaume a reproché récemment à Jean Dorion de n'avoir pas été assez vigilant au sein de la SSJB. Il soutient que le président aurait laissé de la graine de fasciste, genre skinhead, assister à des soirées publiques de l'organisation...
Où sont ces fascistes? demande un Dorion visiblement surpris. Aucun individu de ce genre n'est membre de la SSJB, affirme-t-il. Chose certaine, de tels individus jureraient vraiment trop avec le vernis des membres et les fauteuils capitonnés de cette vieille société...
Si des individus pareils ont vraiment assisté à une rencontre publique de la SSJB, ce n'est tout de même pas la faute du président, plaide Jean Dorion. Néanmoins, ajoute-t-il, qu'on veuille bien lui montrer du doigt ces personnes et il les expulsera de la SSJB même si elles n'en sont pas membres!
Rhéaume, lui, n'en démord pas: le président manque de vigilance, dit-il! Un point c'est tout.
Y a-t-il encore des gens qui croient vraiment que les idées brunes du fascisme entrent dans les maisons par les soupiraux, vêtues de cuir noir, la tête rasée, des tatouages jusqu'aux oreilles, des bâtons de baseball glissés dans les narines, un couteau à cran d'arrêt entre les dents?
Les spécimens politiques les plus corrosifs de notre société se promènent désormais en grosse berline et portent la cravate et le complet-veston. Ils sont maires de village, animateurs de radio, éditorialistes, présidents d'un conseil d'administration... Ce sont des gens bien. Bien propres. Bien éduqués. Bien habillés. Ils distillent le venin de leurs pensées sans contrainte, sur toutes les tribunes. C'est ce que ne cessait d'ailleurs de rappeler le cinéaste Pier Paolo Pasolini, dont Gallimard vient tout juste de publier une nouvelle édition de Pétrole, un roman inachevé.
Par hasard ?
Est-ce par hasard si les Éditions Quebecor viennent de publier, en pleine course à la présidence de la SSJB, Gilles Rhéaume baroudeur de l'indépendance, une biographie affligeante signée Jean Côté?
Ce Jean Côté fut un ami de Pierre Péladeau, comme il ne cesse de le rappeler dans plusieurs des quelques dizaines de livres qu'il a fait paraître à ce jour.
Homme de droite, Côté a fait de temps à autre des apparitions sur la place publique. En 1970, il avait ainsi lancé un hebdomadaire indépendantiste, Point de mire, qui se voulait une sorte de Nouvel Observateur québécois. Le rédacteur en chef de la publication, nul autre que Pierre Bourgault, l'ancien président du Rassemblement pour l'indépendance nationale (RIN), avait cependant très vite déchanté et remis sa démission. Son patron, trouvait-il, découvrant que ses idées étaient un peu archaïques, faisait vraiment trop peu de cas des questions sociales et internationales.
Au sujet de Gilles Rhéaume, Côté n'y va pas avec le dos de la cuillère. Rhéaume, qui est selon son biographe un ancien admirateur des bérets blancs et du Crédit social, se voit comparé le plus sérieusement du monde à Pic de la Mirandole, Louis Cyr, Pindare, saint Louis, Du Guesclin. Et puis qui encore?
Côté précise en outre que, dans le théâtre politique québécois, Rhéaume est dans la lignée des Paul Bouchard, Raymond Barbeau et Marcel Chaput. Un des disciples les plus fidèles de ce dernier, Tony Le Sauteur, signe d'ailleurs la préface de cet ouvrage fabriqué à la va comme je te pousse.
Qui connaît aujourd'hui Paul Bouchard? À la fin des années 1930, il fut un des chantres du fascisme au Canada grâce à son petit journal marginal, La Nation, où ses amis et lui proposaient entre autres comme programme politique la création de faisceaux politiques à la Mussolini autant que la haine des étrangers et de toutes formes de pensée de gauche. Paul Bouchard devint plus tard professeur puis diplomate au service de certaines dictatures sud-américaines tout autant que publiciste de l'Union nationale de Duplessis. Jean Côté le connaît bien: il a rédigé, il y a quelques années, une biographie louangeuse de Bouchard où l'homme est présenté comme un modèle intellectuel.
Raymond Barbeau? Héritier de l'esprit qui prévalait dans La Nation de Paul Bouchard, ce catholique fervent lança l'Alliance laurentienne en 1957. Mouvement séparatiste réactionnaire pour une élite pétrifiée, l'Alliance laurentienne inquiéta très vite plusieurs jeunes gens, qui se sentaient plus à l'aise dans le nid d'idées plus à gauche où s'installa le RIN, un groupe de pression fondé en bonne partie grâce à Marcel Chaput. Chimiste rondouillard, Chaput quitta cependant vite le navire du RIN parce que ses principaux piliers - André d'Allemagne, Rodrigue Guitté, Pierre Bourgault - refusaient de dissocier la question nationale de la question sociale. Ces jeunes-là étaient trop à gauche pour ce défenseur de la morale du crucifix.
Dans la biographie de Gilles Rhéaume qu'il vient de publier, Jean Côté revisite la pensée de Bouchard, Barbeau et Chaput, tout en proposant une vive défense du fascisme de Mussolini! Un mal, le fascisme? Allons donc! Voici ce qu'écrit Côté: «Je crois que ce mot, à l'époque du Duce, impliquait la révolte larvée de l'honnête homme contre la dégradation des valeurs, de la spiritualité, du laisser-aller, de la cupidité et de la malhonnêteté des dirigeants, car la population, dans ses règlements de comptes, oublie souvent de placer dans sa cible les vrais responsables du chaos de l'humanité.» Rien de moins.
Comme penseur à la dérive, Côté a produit encore mieux, mais c'était en 1994. Il publiait alors, à compte d'auteur, un livre intitulé Adrien Arcand, une grande figure de notre temps, hagiographie truffée d'erreurs au sujet du principal chef de l'extrême droite canadienne au XXe siècle. Le livre professait tellement de jugements abracadabrants qu'il fut retiré des étagères de certaines librairies devant le tollé qu'il souleva.
Malgré la bêtise croissante des ouvrages de Jean Côté, Gilles Rhéaume a pleinement collaboré avec lui. Le livre qui en résulte a ainsi plus valeur de symptôme que de vérité politique. À le lire, on constate en effet qu'il est bien étrange de voir un Gilles Rhéaume s'inquiéter des dérives supposées à la SSJB alors qu'il apparaît lui-même tout à fait incapable de voir les vers qui grouillent sous le monument que lui élève son biographe.
jfnadeau@ledevoir.com


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