Lettre ouverte

Il est minuit moins cinq, Monsieur le Ministre

Tribune libre


Monsieur Benoît Pelletier,

ministre responsable de la réforme des institutions démocratiques,

Québec
Le printemps dernier, à l’issue des auditions publiques de la commission parlementaire qui a effectué la consultation sur la réforme du mode de scrutin, vous avez déclaré que vous présenteriez, cet automne, un projet de loi sur ce sujet. Vous ne vous êtes pas dédit depuis. Mais à quelques jours de l’ajournement des travaux parlementaires de l’Assemblée nationale pour la période de relâche hivernale, rien ne s’est encore concrétisé. Pis, une rumeur qui semble de plus en plus plausible, voudrait que vous annonceriez, ces jours-ci, le report indéfini du dossier remettant ainsi à un éventuel nouveau mandat libéral l’engagement de votre gouvernement de «réviser le mode de scrutin actuel en y ajoutant des éléments de représentation proportionnelle». Un renvoi aux calendes grecques quoi…
Tout en sachant bien que ce que je vais vous rappeler ne vous impressionnera probablement pas, car il ne s’agit après tout que d’engagements auxquels hélas trop de politiciens n’accordent cyniquement pas beaucoup d’importance malgré ce qu’il risque de leur en coûter en perte de crédibilité, voici :

- Le 29 septembre 2002, le conseil général de votre parti a promis qu’un gouvernement libéral «procédera dans les deux ans et après consultation à une réforme du mode de scrutin afin d’établir des modalités de représentation proportionnelle».
- Interpellé comme les autres candidats par le Mouvement pour une démocratie nouvelle, en mars 2003 pendant la campagne électorale, le chef Jean Charest a confirmé par écrit l’engagement pris par le conseil général du parti.
- Lors du point de presse qu’il a tenu au lendemain de sa victoire, le premier ministre désigné a confirmé à nouveau l’engagement de son parti notant que les deux premières années du mandat d’un gouvernement lui semblaient particulièrement propices à la réalisation de ce genre de réforme.
- Dans le discours inaugural de la session le 3 juin suivant, le premier ministre a engagé son gouvernement à présenter «au printemps 2004, un projet de réforme global des institutions démocratiques».
- Quelques semaines plus tard, le ministre Jacques Dupuis, responsable de la réforme des institutions démocratiques, effectue un premier recul. Contrairement à ce qu’avait annoncé le discours inaugural, la réforme des institutions démocratiques se limitera à la «révision du mode de scrutin pour assurer une meilleure représentation de la volonté des électeurs». Ainsi, les nombreuses autres recommandations contenues dans le rapport du comité directeur des États généraux sur la réforme des institutions démocratiques, qui se sont tenues à l’automne 2002 et à l’hiver 2003, sont écartées.
- Le 10 septembre 2003, lors d’un colloque de l’Institut de recherche en politiques publiques, le ministre Dupuis modifie substantiellement l’engagement libéral précisant que la réforme devrait se faire «dans les deux premières années du mandat» Il annonce qu’au contraire le nouveau système ne serait pas implanté pour les prochaines élections, mais plutôt pour celles prévues en 2111.
- Après d’interminables consultations privées, le ministre Dupuis prend 16 mois pour accoucher, en décembre 2004 - et non pas au printemps 2004 comme s’y était engagé le discours inaugural - d’un avant-projet de loi et non d’un projet de loi. Ce dernier se réclame d’un mode de scrutin intéressant, le système mixte avec compensation à l’allemande qu’ont aussi adopté la Nouvelle-Zélande et l’Écosse notamment. Mais la proposition Dupuis trafique les principales caractéristiques de ce système de façon à ce qu’il favorise surtout le parti libéral et empêche les nouveaux partis d’être représentés l’Assemblée par l’imposition d’un seuil effectif d’environ 15% des votes provenant du découpage du territoire québécois en quelque 25 districts pour l’attribution des sièges de compensation.
- De janvier à mars 2006, soit plus d’un an après le dépôt de l’avant projet de loi, les consultations publiques sur l’avant projet de loi se déroulent enfin en commission parlementaire. En tant que nouveau titulaire du dossier, vous avez alors consenti à adjoindre aux députés, sous forme consultative, un comité citoyen composé de huit personnes (4 hommes, 4 femmes) représentant toutes les régions du Québec et les différentes strates d’âge.
- La tournée de la commission parlementaire a été un succès au plan de la participation puisque plus de 2 000 citoyenNEs et groupes ont fait connaître leurs opinions; ce qui a marqué un record dans l’histoire du parlementarisme québécois.
- Ces témoignages ont permis aussi de dégager de forts consensus pour rétablir les caractéristiques essentielles du scrutin mixte avec compensation mis de côté pat l’avant-projet de loi, notamment un à plus de 95% des intervenants en faveur du double vote (un au scrutin majoritaire pour les sièges de circonscription et l’autre au scrutin proportionnel de liste pour les sièges compensatoires).
- De façon très décevante, le rapport conjoint des députés libéraux, péquistes et adéquiste, membres de la commission, nettement bâclé, n’a pas tenu compte de ces consensus. Nettement bâclé, il a aussi évité de ses prononcer sur des enjeux aussi cruciaux que le niveau où devrait s’effectuer la compensation (national ou régional), ainsi que sur la question du nombre de votes. Par contre, il a reculé par rapport à l’avant-projet de loi au sujet de la représentation des femmes et des membres des groupes ethno-culturels, Ce rapport parlementaire contraste fort avec celui du comité citoyen qui prend position de façon étayée sur chaque enjeu important. Les députés n’ont évidemment pas tenu compte du rapport de ce comité consultatif.
- Suite à la remise du rapport de la commission, vous avez déclaré que vous entendiez présenter un projet de loi cet automne. Mais depuis on n’a pas eu de vos nouvelles publiquement. Sinon une fois, au début de l’automne, sur la possibilité de la tenue d’un référendum ou plébiscite sur la question en même temps que les prochaines élections générales.
- On a su par la suite, entre les branches, que cette possibilité avait été mal accueillie par les caucus régionaux de députés libéraux auxquels vous aviez tenté de vendre votre projet de loi. Quant au contenu de ce dernier il a filtré deux éléments : une compensation régionale et, peut-être, l’introduction du double vote.

Monsieur le ministre, comme vous le voyez, nous en sommes réduits à des rumeurs et à des spéculations. Ce n’est pas très sain en démocratie. Il est grand temps que vous vous manifestiez publiquement. Nous espérons que ce soit de façon positive par la présentation du projet de loi qui aurait dû se faire au printemps 2004.
Citoyennement vôtre
Paul Cliche,

auteur du livre «Pour réduire le déficit démocratique : le scrutin proportionnel»;

membre fondateur du Mouvement pour une démocratie nouvelle

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Membre fondateur du Mouvement pour une démocratie nouvelle et auteur du livre Pour une réduction du déficit démocratique: le scrutin proportionnel ; membre de Québec Solidaire; membre d’ATTAC Québec; membre à vie de la Société Saint-Jean Baptiste de Montréal.





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