Bourassa : 1933-1996
par Corbeil, Michel
Les personnages publics portent en eux leur lot de contradictions. Robert Bourassa, dont c'est le 10e anniversaire de la mort ce matin, en est l'incarnation.
Le plus jeune premier ministre qu'a connu le Québec - à l'âge de 36 ans, en 1970 - a obtenu des succès électoraux inégalés. Le chef du Parti libéral du Québec n'a pourtant pas eu la cote d'amour à laquelle d'autres leaders ont accédé. Paradoxe. Son équipe fracasse la barre des 50 % d'appuis, lors du scrutin de 1973. Il fait élire 102 députés. Cela n'empêche pas les Québécois de le congédier brutalement en 1976.
Et pourtant... À son improbable retour d'exil politique, le PLQ récolte un soutien encore plus large. En 1985, 56 % des électeurs votent pour lui. Ce second règne, qui s'étire jusqu'en 1994, ne sera pas non plus marqué par des débordements d'amour.
Jean-Claude Rivest, le fidèle collaborateur de Robert Bourassa, tient à nuancer. "Il n'a pas été admiré, confesse-t-il. "Aimé", on parle de (Pierre Elliott) Trudeau ou de (René) Lévesque. Mais (ce sont des hommes publics qui ont été) "aimés" et "haïs", analyse-t-il en riant. M. Bourassa bénéficiait d'une espèce de confiance larvée. Quand il est mort, j'ai été surpris par l'ampleur de la sympathie populaire."
D'origine modeste
Robert Bourassa est né le 14 juillet 1933, à Montréal. Il n'a que 16 ans lorsqu'il perd son père, Aubert Bourassa, modeste fonctionnaire municipal.
En 1956, il décroche à Oxford, en Angleterre, une maîtrise en "économie politique". Puis, en 1960 à Harvard, aux États-Unis, en droit des affaires internationales. Durant cette période, il se marie avec Andrée Simard, fille d'une famille d'industriels de Sorel.
Dès l'âge de 11 ans, selon l'anecdote, il prédit qu'il dirigera un jour le Québec. En 1966, il devient député libéral. En avril 1970, quelques mois après avoir pris les rênes du PLQ, il réalise son rêve au moment où la société québécoise s'embrase.
"Crise sociale, linguistique, constitutionnelle, émergence du Parti québécois, durant ce premier mandat, le Québec était en crise d'adolescence", relate Jean-Claude Rivest. Six mois après son élection, éclate la Crise d'octobre. En 1972, c'est l'affrontement avec les employés de l'État. En 1974, la question linguistique enflamme l'opinion publique.
Le premier ministre économiste a bien lancé, en 1971, l'aventure de la baie James. Mais ce grand oeuvre passe au second plan.
Ce Robert Bourassa première façon se brise sur le PQ de René Lévesque, en 1976. Il reconquiert le pouvoir, en 1985.
Il amorce une "réingénierie" avant que le mot ne soit inventé. Elle n'aboutit pratiquement à rien.
La Cour déclare "inconstitutionnelle" la loi obligeant l'affichage en français. Il recourt à la clause dérogatoire pour préserver une législation qu'il modifie pour décréter la place prépondérante du français. Cela compromet les tractations pour que le Québec soit partie d'une Constitution rapatriée unilatéralement en 1982. La tentative de faire ratifier l'accord du lac Meech devient l'échec sur lequel se terminera sa carrière.
mcorbeil@lesoleil.com
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L'ambiguïté par excellence
par Corbeil, Michel
Robert Bourassa a été le politicien de l'ambiguïté par excellence. Lui-même s'amusait de voir les médias déchiffrer ses déclarations parfois floues à souhait.
"Style un peu déconcertant..., réfléchit le sénateur Jean-Claude Rivest. Quand on le décodait, on savait que c'était parce qu'il n'était pas prêt à une annonce. C'est quelqu'un qui fonctionnait avec le temps."
Difficile de cerner une ligne directrice de son credo politique. Sauf une : même au lendemain de l'échec du lac Meech, il est toujours demeuré fédéraliste. "On peut lui reprocher de ne pas avoir accéléré le cours de l'histoire, constate le politologue Guy Lachapelle. Mais ça, c'est sa prudence."
Président des jeunes libéraux, Mario Dumont a claqué la porte du PLQ pour fonder l'Action démocratique du Québec. Robert Bourassa avait accepté le rapport Allaire, préconisant un transfert de pouvoirs d'Ottawa à Québec, pour le renier plus tard. "En tout respect, analyse Mario Dumont, s'il avait eu le même niveau d'audace, en 1992 (que pour la baie James), il avait l'occasion de faire faire un grand pas en avant au Québec."
Ambiguïté sur le personnage. Certains estiment que le jeune Bourassa a été manipulé par son entourage. "Faux", dit M. Rivest. Son patron "écoutait beaucoup", mais "décidait" déjà seul.
Jean-François Lisée salue les réelles "avancées" dans le dossier linguistique. La loi 22, en 1974, a provoqué un tumulte, mais a consacré le français "langue officielle".
L'échec de Meech
Mais deux dossiers ont terni à jamais son bilan, affirme-t-il. La Crise d'octobre où Robert Bourassa permet la suspension des libertés civiles et réclame avec insistance à Ottawa l'envoi de l'armée. Et au lendemain de Meech, "pendant huit mois, il a refusé de répondre à la question "êtes-vous fédéraliste ?". L'absence de sincérité arrive souvent en politique. Mais à ce niveau et à un moment crucial de l'histoire, ce n'est pas un modèle."
"On a souvent oublié le nombre de lois sociales qu'il a adoptées", plaide l'universitaire Lachapelle. Jean-Claude Rivest croit que "le fait qu'il soit issu d'un milieu modeste lui avait donné une grande obsession pour l'accès à l'école et à la santé. "À un point tel que je me demande s'il aurait pu faire la job qu'a faite Lucien Bouchard (premier ministre péquiste qui a lancé l'opération déficit zéro, en 1996). Couper en santé et en éducation, cela aurait été un meurtre pour Bourassa."
Michel Corbeil
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