OTTAWA | Jagmeet Singh tend la main aux Québécois après sa convaincante victoire à la course à la succession de Thomas Mulcair comme chef du Nouveau Parti démocratique, dimanche.
« Je ne veux pas convaincre quelqu’un d’accepter mon turban ni ma barbe, mais que je partage les mêmes valeurs progressistes du Québec », a lancé M. Singh après le dévoilement des résultats du premier tour de scrutin, dimanche, à Toronto.
L’avocat de 38 ans de confession sikhe a enregistré 35 266 votes, soit plus de la moitié (53,8 %) de toutes les voix exprimées. M. Singh a ainsi été couronné chef du parti sur-le-champ, après être entré tardivement dans la très longue campagne à la direction du parti, à la mi-mai.
Le député provincial de l’Ontario n’est pas élu aux Communes. Il a pourtant largement devancé les députés fédéraux Charlie Angus (12 705 votes), Niki Ashton (11 374 votes) et le Québécois Guy Caron (6164 votes). Comme il a remporté plus de 50 % des voix, aucun autre tour de vote ne sera nécessaire.
Jagmeet Singh était déjà pressenti comme meneur de la course, notamment pour avoir recruté plus de 50 000 nouveaux membres, dont plus de 1500 au Québec.
Le sikh pratiquant affiche des signes religieux ostentatoires comme un turban et un kirpan, couteau symbolique porté sous son veston.
Québec
Selon plusieurs néo-démocrates, le principal défi de leur nouveau chef est maintenant de séduire la province où le débat sur la laïcité est un sujet sensible.
M. Singh a dit comprendre la « nation québécoise » dans son discours de victoire puisque sa famille a elle-même été discriminée en Inde à cause de sa langue.
« Les francophones peuvent compter sur moi ! Je vais lutter avec vous pour la protection de votre langue et de votre culture », a-t-il lancé en français à la foule de Toronto, dimanche.
Il a promis d’être « un allié » pour les Québécois et d’inclure des mesures spécifiques à la province dans sa plateforme.
Peu d’intérêt a été accordé à cette course au Québec, province où le NPD de Jack Layton a connu un immense succès lors de la vague orange de 2011. Parmi les 124 000 membres néo-démocrates qui pouvaient voter pour leur prochain chef, seuls 4900 sont Québécois, soit à peine 4 %.
Rester fort
Cela n’inquiète pas le candidat défait Guy Caron, qui se range derrière son nouveau chef. Le député de Rimouski a terminé au quatrième rang dans la course et il soutient que le NPD pourra rester fort au Québec.
« S’il y a une chose que j’ai remarquée dans les derniers mois, c’est que Jagmeet a une capacité de se connecter avec les gens. Au Québec comme au Canada, aussitôt que les gens vont commencer à le connaître, ils vont l’adopter. »
Le Québec sera un défi pour le nouveau chef
Avant même de songer à remporter les prochaines élections, Jagmeet Singh devra rassembler ses propres troupes au Québec, croit l’ex-directeur national du Nouveau Parti démocratique.
« Au Québec, le NPD a 16 sièges, mais aucune garantie de les garder à l’élection de 2019. Les députés qui sont là aujourd’hui sont inquiets », affirme Karl Bélanger, qui a aussi été le conseiller de Jack Layton.
La première chose à faire pour le nouveau chef, beaucoup mieux connu en Ontario, est de « remettre sur pied l’organisation du parti au Québec », tranche M. Bélanger, selon qui le parti a maintenant plusieurs plaies à panser.
« La course à la direction laisse des traces et en ce qui concerne le Québec, les traces sont plus profondes. »
Signes religieux
La question des signes religieux est susceptible d’être une question épineuse pour le nouveau chef de religion sikhe.
Des députés québécois du NPD réunis en congrès en juillet avaient par exemple avancé que l’électorat n’était « pas prêt » pour un chef portant de tels symboles de sa religion.
Dans une lettre ouverte envoyée au quotidien Le Devoir en septembre, le député de Longueuil–Saint-Hubert, Pierre Nantel, a demandé aux candidats qui briguent la chefferie de ne pas se mêler du débat sur la laïcité qui a cours au Québec.
Jagmeet Singh a pourtant promis de contester l’éventuelle loi de l’Assemblée nationale sur cette question, avant de préciser qu’il n’utiliserait pas de fonds publics pour le faire.
« Il va se cogner le nez sur la question de la laïcité au Québec. Nous sommes une société laïque dans son fonctionnement depuis 60 ans et ce sera extrêmement ardu pour lui », analyse André Lamoureux, politologue à l’UQAM et expert du NPD.
Incompréhension
La candidate du NPD défaite dans la circonscription d’Ottawa-Vanier Émilie Taman croit pour sa part que M. Singh aura plus de facilité à rassembler ses troupes que de convaincre l’électorat.
Elle est sûre que son nouveau chef s’éloignera des villes, d’où provient la majorité de ses appuis, pour se faire connaître où beaucoup « ne comprennent pas d’où il vient. »
« Il va rapidement démontrer que la laïcité et la séparation de l’État et de la religion sont importantes pour lui, comme pour tous les néo-démocrates », avance la professeure de droit qui a appuyé Guy Caron dans la course.