Joyeux anniversaire!

Connaissez-vous bien des endroits dans le monde où un peuple célèbre dans l'allégresse la pire défaite de son histoire?

1759-2009 : la résistance

À Québec, on n'en finit plus de se féliciter de la réussite des fêtes du 400e anniversaire de la fondation de la cité de Champlain. Lors de l'édition spéciale de fin d'année de Tout le monde en parle, il fallait voir le maire Régis Labeaume faire le paon aux côtés de Gérald Tremblay.
Le premier ministre Charest n'a pas été en reste. Après avoir laissé le gouvernement Harper transformer la fondation de la Nouvelle-France en acte de naissance du Canada, M. Charest n'a pas cessé de répéter à quel point il était fier du résultat.
Maintenant que le rideau est tombé, il faut se préparer à célébrer l'anniversaire d'un autre événement tout aussi marquant de notre histoire: la Conquête. Le 13 septembre 2009, il y aura
250 ans que les troupes françaises menées par Montcalm ont été défaites en vingt petites minutes sur les plaines d'Abraham.
La Commission des champs de bataille nationaux a organisé toute une série d'activités, dont le clou sera une imposante reconstitution de la bataille, du 6 au 9 août prochain. L'événement a déjà été classé dans le top 100 de l'année 2009 par l'American Bus Association.
Sur le site que le gouvernement fédéral avait ouvert à l'occasion du 400e, on attribuait la déclaration suivante au premier ministre Harper: «On dit chez nous que chaque être doit avoir deux villes dans son coeur, la sienne et Québec.» Ses compatriotes albertains apprécieront sûrement que la prise de cette ville qui leur est devenue si chère soit soulignée avec le faste approprié.
Au Québec, ces célébrations risquent toutefois de laisser un goût amer à plusieurs. Dans un communiqué diffusé le 20 mai 2007, le président de la Commission des champs de bataille nationaux, André Juneau, déclarait: «Le public est derrière nous, plus qu'enthousiaste à l'idée de retrouver l'effervescence des campements et des affrontements décisifs.» Sans parler des restaurateurs et des hôteliers, qui doivent se frotter les mains. Connaissez-vous bien des endroits dans le monde où un peuple célèbre dans l'allégresse la pire défaite de son histoire?
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Les historiens débattent des effets de la Conquête sur la société québécoise depuis des décennies. Pour l'école dite de Montréal, animée par les disciples de Lionel Groulx, notamment Maurice Séguin et Michel Brunet, elle a constitué une véritable cassure dans le développement de la nation canadienne-française en provoquant la ruine de sa bourgeoisie.
À l'Université Laval, Jean Hamelin et Fernand Ouellet étaient plutôt d'avis qu'il ne fallait pas y accorder autant d'importance, dans la mesure où la structure économique de type colonial qui caractérisait la Nouvelle-France est demeurée essentiellement la même sous le Régime anglais.
Bien entendu, le Canada anglais a aussi son opinion sur la question. Voici comment la résumait Michael Ignatieff dans son livre La Révolution des droits, publié en 2001: «La conquête britannique de 1763 [traité de Paris], loin d'étouffer le fait français en Amérique du Nord, a apporté l'autonomie aux Canadiens français pour la première fois.» Mieux encore, elle «a assuré la survie d'un Québec démocratique en Amérique du Nord».
Au moment où le nouveau chef du PLC s'apprête à lancer une opération de charme auprès des Québécois, des propos comme ceux-là pourront sembler imprudents, mais ce brillant intellectuel de Harvard ne s'embarrassait pas de rectitude politique: «Le vrai problème est que nous n'avons pas la même vision de l'Histoire. Ce n'est pas une question de pouvoirs ou de droits, mais de vérité.»
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Il serait intéressant de savoir ce qu'en pense le premier ministre Charest, qui sera certainement invité à participer aux festivités du 250e. Du haut des remparts, il pourra assister en reprise au spectacle de l'effondrement de la présence française en Amérique.
En mai 1998, peu après avoir pris la direction du PLQ, il avait tenu des propos assez étonnants sur la suite des événements devant une assemblée de militants libéraux à Châteauguay. «Nous avons réussi à préserver cette langue et cette culture parce que nos voisins des autres provinces canadiennes étaient des alliés, des amis, et non pas des étrangers», avait-il déclaré.
À ceux qui s'étaient étonnés de le voir faire si bon marché du rapport Durham, sans parler du Public School Act à l'Île-du-Prince Édouard, de la suppression des écoles françaises au Manitoba, du règlement 17 en Ontario, etc., M. Charest avait répliqué de la façon suivante dans son autobiographie intitulée J'ai choisi le Québec:
«Trop souvent chez nous, on fait l'erreur de penser que s'il y a eu par le passé des conflits, des erreurs, des désaccords, c'est que c'est la règle et non l'exception. L'Acte d'Union, c'est évident, ce n'était pas la trouvaille du siècle pour les francophones, mais l'Acte d'Union, ça n'a pas marché! C'est le genre d'erreurs de parcours qu'il faudrait peut-être cesser de monter en épingle comme si elles avaient vraiment eu des répercussions concrètes.»
C'est comme pour la Conquête: pourquoi monter en épingle cette erreur de parcours? Mieux vaut profiter de l'occasion pour faire la fête.
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mdavid@ledevoir.com


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