La guerre de Sept ans: 1754-1763

L’alliance militaire franco-amérindienne en Nouvelle-France

Un pilier essentiel du dispositif de défense de la colonie

Tribune libre

En Nouvelle-France, le dispositif de défense de la colonie repose essentiellement sur l’alliance franco-amérindienne. En effet, en raison d’une géographie hostile au peuplement humain, les Français sont peu nombreux à tenter l’aventure de la colonisation dans l’espace canadien. De ce fait, pour compenser l’infériorité numérique des colons face aux Britanniques de Nouvelle-Angleterre, la France est la seule puissance européenne à s’appuyer largement sur les Autochtones pour assurer la protection de son empire. Ainsi, en 1701, elle signe la Grande paix de Montréal avec 39 nations amérindiennes qui représentent plus de population que les habitants de Nouvelle-France.

Grâce à cet accord, les colons français et les Autochtones développent des liens personnels, politiques, économiques et militaires très étroits. En Nouvelle-Angleterre, les Britanniques sont terrorisés par l’alliance franco-amérindienne qui pratique une « guerre à la sauvage », notamment avec les scalps. De petites unités extrêmement mobiles, mêlant des combattants Canadiens francophones et des Autochtones, harcèlent les colons anglais afin d’empêcher l’expansion territoriale des treize colonies britanniques vers les possessions françaises. Les amérindiens profitent des attaques contre les Britanniques pour faire des prisonniers qui sont vendus, échangés ou adoptés. Ils sont alliés aux Français et non pas subordonnés à ces derniers.

C’est pourquoi, ils conservent leur indépendance quant à leurs objectifs militaires, leur engagement et leur manière de se battre. La maîtrise des combats asymétriques par l’alliance franco-amérindienne permet à la Nouvelle-France de compenser son rapport de force défavorable face à la Nouvelle-Angleterre.

En Amérique du Nord, la guerre de Sept ans débute dans la vallée de l’Ohio. Ainsi, le 28 mai 1754, les troupes du colonel George Washington, appartenant à la milice de la colonie britannique de Virginie, attaquent par surprise un détachement français commandé par Joseph Coulon de Villiers de Jumonville. Les Anglais tuent neuf canadiens francophones. Washington laisse les corps des colons français après les avoir scalpés.

En réaction, les autorités de Nouvelle-France organisent une riposte militaire. Ainsi, le 3 juillet 1754, une expédition punitive est dirigée contre Washington qui est contraint de refluer en Virginie. À partir de 1755, la France renforce ses troupes dans la colonie. Alors que les militaires français combattent en rangée ou en colonie, les guerriers autochtones évoluent à couvert et pratiquent l’art de la partie guerre basé sur les combats asymétriques.

L’utilisation de la tactique française couplée à la tactique autochtone donne des résultats extrêmement efficaces. Ainsi, le 9 juillet 1755, une force franco-amérindienne de 900 hommes parvient à écraser une troupe anglaise de 1 500 soldats à la Monongahela. Le bilan est très lourd pour les Britanniques avec 456 morts et 520 blessés. Pour tenter de contrer la redoutable efficacité de l’alliance entre les Autochtones et les Français, l’Angleterre s’appuie sur les Highlanders écossais qui sont eux aussi habitués à la petite guerre.

En mai 1756, la France envoi un corps expéditionnaire de 8 000 hommes, commandé par Louis Joseph de Montcalm qui est secondé par François-Gaston de Lévis et Louis-Antoine de Bougainville. Les militaires métropolitains prennent conscience des conditions de vie extrêmes en Nouvelle-France qui rebutent tant les candidats français à l’émigration. Ainsi, Bougainville écrit :

« Il faudroit en effet un corps de fer pour ne pas se ressentir de ces fatigues ».

Les officiers français sont également frappés par l’art de la guerre amérindien qui s’avère fortement éloigné de celui pratiqué en Europe. Ils sont choqués par la pratique du scalp et du cannibalisme par les Autochtones. Ainsi, Bougainville écrit :

« Les cruautés et l’insolence de ces barbares font horreur et répandent du noir dans l’âme. C’est une abominable façon de faire la guerre ».

Les militaires français doivent également composer avec les conditions imposées par les amérindiens pendant les manœuvres. Ainsi, Bougainville rapporte :

« (les) sauvages décident la marche, les haltes, les découvertes, l’expédition à faire, et dans cette espèce de guerre il faut s’en rapporter à eux ».

Néanmoins, la monarchie française est bien consciente que l’appui des amérindiens s’avère indispensable pour compenser un rapport de force défavorable face à l’Angleterre. En effet, elle sait que les colons français ne sont pas assez nombreux pour mettre seuls en déroute les Britanniques. C’est pourquoi, elle accepte l’art de la guerre des Autochtones bien que les cadres de l’armée française s’en offusquent. Ainsi, grâce à l’alliance franco-amérindienne, la Nouvelle-France remporte deux batailles suite aux sièges des forts de Chouagen (12-14 août 1756) et William Henry (3-6 août 1757). Ces victoires donnent lieu à des exactions de la part des Autochtones sur les Britanniques qui horrifient les officiers français. Ainsi, Bougainville écrit :

« À la pointe du jour, les Anglais, auxquels la vue des Sauvages causait une frayeur inconcevable, voulurent partir avant que notre escorte fût toute rassemblée et disposée. Ils abandonnèrent eux-mêmes leurs malles et autres gros bagages que le défaut de voiture ne leur permettait pas d’emporter et se mirent en marche. Les sauvages avaient déjà massacré quelques malades dans les tentes qui servaient d’hôpital. Les Abénaquis de Panaouamesko, qui prétendent avoir en dernier lieu essuyé de mauvais procédés de la part des Anglais, commencèrent dans le tumulte. Ils firent le cri de mort et se jetèrent sur la queue de la colonne qui commençait à défiler. Les Anglais, au lieu de faire bonne contenance, prirent l’épouvante et s’enfuirent à la débandade jetant armes, bagages et mêmes habits. Leur frayeur enhardit les sauvages de toutes les nations qui se mirent à piller, tuèrent une douzaine de soldat et en emmenèrent 500 ou 600 ».

Face à l’excès de zèle des Autochtones, le gouverneur de Nouvelle-France rachète les prisonniers britanniques pour éviter qu’ils ne finissent torturés. L’Angleterre, quant à elle, met en avant auprès des colons anglais la nécessité de vaincre la cruelle alliance franco-amérindienne.

La guerre prend un nouveau tournant avec la décision de Montcalm de revenir à une guerre plus conventionnelle. En effet, peu adepte des combats asymétriques, il cherche à écraser les Anglais en se battant à l’européenne. Ainsi, le 8 juillet 1858, avec 3 000 combattants français il parvient à vaincre 15 000 soldats anglais à Carillon sans l’appui des Autochtones. Les Britanniques perdent 2 000 hommes contre moins de 400 chez les Français. Cette victoire satisfait pleinement Bougainville qui écrit :

« Partir de Montréal avec un détachement s’en aller à travers le bois, faire quelques chevelures, revenir à toute jambes quand on avoit frappé, voilà ce qu’on appeloit guerre, campagne, succès, victoire. (…) Maintenant, la guerre s’établit ici sur le pied européen. Des projets de campagne, des armées, de l’artillerie, des sièges, des batailles. Il ne s’agit plus ici de faire coup, mais de conquérir ou d’être conquis. Quelle révolution, quel changement ! »

Cependant, ce choix de Montcalm d’un retour à une guerre à l’européenne est fatal à la Nouvelle-France. En effet, ce dernier ne possède pas l’effectif nécessaire lui permettant d’affronter les Britanniques avec un rapport de force favorable. Cette situation aboutit à la défaite des plaines d’Abraham le 13 septembre 1759. Le commerce des fourrures entre les nations amérindiennes et la France est fortement perturbé avec la victoire des Anglais. À partir de ce moment là, plusieurs nations amérindiennes se retirent de la guerre de Sept ans. Seules une minorité de nations, telles que les Abénaquis, continuent de se battre aux côtés des Français notamment lors de la victoire de Sainte-Foy du 28 avril 1760 qui ne permet toutefois pas de reprendre Québec. Montréal finit par capituler le 8 septembre 1760. Désormais, la Nouvelle-France est militairement contrôlée par la monarchie britannique.

Dans les mois qui suivent, la plupart des Autochtones abandonnent les Français pour négocier avec les Anglais un statut de neutralité ou d’alliés. Leur commerce des fourrures reprend alors mais avec l’Angleterre comme partenaire. Les deux menaces qui avaient uni les Français et les Autochtones, l’ennemi iroquois et la peur de l’expansionnisme britannique, ne sont plus d’actualité. Dans ce contexte, l’alliance franco-amérindienne disparaît avant même la fin de la Nouvelle-France.

Les Canadiens francophones, qui résultent d’un métissage ethniques et technique avec les Autochtones, sont les seuls héritiers de ce contact étroit et prolongé avec les nations amérindiennes. Ils partagent notamment avec ces dernières des méthodes de guerre, des armes et des équipements communs : art de la petite guerre, camouflage, raquettes, canot, tipi... Néanmoins, sans l’aide des amérindiens, ils s’avèrent incapables de reprendre seuls les combats contre le conquérant britannique. Ils se trouvent dès lors contraints de s’en remettre aux négociations entre la France et l’Angleterre de 1760 à 1763 pour connaître leur sort.

Pour conclure, l’alliance franco-amérindienne a constitué l’un des piliers essentiels de la défense de la Nouvelle-France pendant la guerre de Sept ans. En effet, dès lors que les amérindiens n’ont plus massivement participé aux combats contre les Britanniques, à partir de 1759, les Canadiens francophones se sont avérés incapables de reprendre seuls le contrôle de la colonie car leur rapport de force était trop défavorable face aux anglophones. L’absence de capacité des colons à exploiter seuls dans la profondeur leur victoire à Sainte-Foy en 1760 le démontre. Consciente de la puissance de l’alliance franco-amérindienne, la monarchie britannique a rapidement engagé des négociations avec les Autochtones pour se garantir leur neutralité dans le cadre de la guerre de Sept ans afin de s’assurer la pleine maîtrise de la Nouvelle-France.

Bibliographie :

Arnaud Balvay, L'épée et la plume: Amérindiens et soldats des troupes de la marine en Louisiane et au Pays d'en haut (1683-1763), Presses Université Laval, 2006, 345 pages.
Laurent Nerich, La petite guerre et la chute de la Nouvelle-France, Athéna éditions, 2009, 243 pages.
Laurent Veyssière, À la rencontre des nations amérindiennes : au service du roi de France, Combats et opérations, n°6, mars-avril-mai 2013, 10 pages.
René Chartrand, Montcalm’s Crushing Blow – French and Indian Raids along New York’s Oswego River 1756, Osprey Publishing, 2014, 80 pages.
Edmond Dziembowski, La guerre de Sept Ans (1756-1763), Perrin, 2015, 670 pages.


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4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    9 juin 2017

    J'ai regroupé mes principaux articles sur le Québec dans un livre intitulé "Chroniques d'Amérique du Nord (Tome 1)". Il est disponible sur Amazon à l'adresse suivante :
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    Cordialement.

  • Archives de Vigile Répondre

    8 avril 2015

    La Grande Alliance date de 1602 JC Pomerleau
    Seulement avec les Amérindiens d'Acadie.
    Champlain a tiré sur des Mohawks pour impressionner les Autochtones locaux.
    En Nouvelle-Angleterre, les Britanniques sont terrorisés par l’alliance franco-amérindienne qui pratique une « guerre à la sauvage », notamment avec les scalps.
    ...
    En Amérique du Nord, la guerre de Sept ans débute dans la vallée de l’Ohio. Ainsi, le 28 mai 1754, les troupes du colonel George Washington, appartenant à la milice de la colonie britannique de Virginie, attaquent par surprise un détachement français commandé par Joseph Coulon de Villiers de Jumonville. Les Anglais tuent neuf canadiens francophones. Washington laisse les corps des colons français après les avoir scalpé.

    Le scalpage est une pratique imposée par la Geoctroyeerde Westindische Compagnie aux Mohawks pour récompenser chaque mort. Ainsi, les Iroquois armés de mousquets par Willem Kieft, le gouverneur de la colonie hollandaise, ont pu procéder au nettoyage ethnique des nations algonquines et Delawares.
    La Vallée de l’Ohio fut dépeuplée par les Iroquois. Les troupes du colonel George Washington incluaient des Autochtones Iroquois et Mingos. Leur chef, Tanaghrisson, serait responsable de l'embuscade de Joseph Coulon de Villiers de Jumonville.
    After a hurried war council, the English and Tanacharison's eight or nine warriors set off to surround and attack the French, who quickly surrendered. The French commander, Ensign Joseph Coulon de Jumonville, was among the wounded. With the French words, "Tu n'es pas encore mort, mon père!" (Thou art not yet dead, my father), Tancharison sank his tomahawk in Jumonville's skull, washed his hands with the brains, "and scalped him" but not before eating a portion of Jumonvilles brain.[3] Only one of the wounded French soldiers was not killed and scalped among a total of ten dead, 21 captured, and one missing, a man named Monceau who had wandered off to relieve himself that morning.
    http://en.wikipedia.org/wiki/Tanacharison
    George Washington manquait trop d’expérience pour commander.
    L’élimination ultérieure du commandant Dumas sur la Monongahela fit adopter la pratique de l'élimination des officiers britanniques en riposte. Wolfe en fut la dernière victime sur les hauteurs d’Abraham. George Washington fut sans commission, mais il fut joint à l'expédition du général Edward Braddock en tant que ressource à l’arrière-garde. Il a retenu la pratique infâme de l'élimination des officiers britanniques dans la Révolution américaine, attribuée à Thimothy Murphy.
    Ainsi, grâce à l’alliance franco-amérindienne, la Nouvelle-France remporte deux batailles suite aux sièges des forts de Chouagen (12-14 août 1756) et William Henry (3-6 août 1757). Ces victoires donnent lieu à des exactions de la part des Autochtones sur les Britanniques qui horrifient les officiers français.
    Fort William Henry : les Autochtones ont subit de grandes pertes, mais ils n'ont pu avoir de butin. Pire, Montcalm accorde un banquet maçonnique aux officiers britanniques qui fit perdre son autorité sur les Sauvages.
    Pour tenter de contrer la redoutable efficacité de l’alliance entre les Autochtones et les Français, l’Angleterre s’appuie sur les Highlanders écossais qui sont eux aussi habitués à la petite guerre.
    Pas du tout. Le Black Watch fut décimé dans un assaut frontal contre des tranchées à Carillon. Ce sont les Rangers américains qui font la guérilla. Le 8 juillet 1858, les Rangers massacraient les Etchemins de Saint-François.
    Le régiment du Fraser fut battu par les troupes de Vaudreuil, le 28 avril 1760, sur les hauteurs d’Abraham.
    Les Highlanders écossais catholiques servaient de chair à canon pour déceltiser l’Écosse.

  • Jean-Claude Pomerleau Répondre

    6 avril 2015

    La Grande Alliance date de 1602
    Éric Thierry (La France d'Henry 1V en Amérique du Nord)
    Henry IV et sa rencontre avec les amérindiens.
    À partir de 13 min 40 ;
    http://www.canalacademie.com/emissions/pag464.mp3
    ...
    JCPomerleau

  • Claude Richard Répondre

    6 avril 2015

    Bonne revue de la stratégie militaire de la France en Amérique du Nord aux XVIIe et XVIIIe siècles et bon rappel des faits de la guerre de Sept-Ans. Ce sont des choses dont nos manuels et nos programmes d'histoire au secondaire et nos programmes ne traitent pas, ou si peu. Malheureusement. Comment être fier de son passé si on ne parle que des défaites, comme celle des hauteurs d'Abraham.
    Une remarque cependant. Cela fait drôle de lire «Canadiens francophones» pour désigner les habitants de la Nouvelle-France. Y avait-il d'autres Canadiens à l'époque? Il faudrait pour le moins mettre «francophones» entre parenthèses si on veut distinguer ces Canadiens de ceux d'aujourd'hui.