Un héritage colonial britannique embarrassant pour le Québec : le Commonwealth

Tribune libre

Entre 1763 et 1867, le Québec est soumis à la colonisation britannique. Les colons francophones, issus de la période coloniale française, refuse l’assimilation à la culture britannique des colons anglophones qui s’installent dans la colonie canadienne. Cette situation engendre des relations tendues entre les deux communautés dès le début de la colonie britannique.

Sur le plan géopolitique, grâce aux difficultés de l’Espagne et au déclin de la puissance hollandaise, l’Angleterre parvient à exercer sur cette période une hégémonie maritime inédite sur la scène internationale. Elle profite de cette situation pour se construire le plus vaste empire du monde. La prospérité de la Grande-Bretagne est directement liée au commerce avec ses colonies. C’est pourquoi, l’industrie maritime occupe le premier rang des investissements de la Grande-Bretagne.

Ces dépenses conduisent à l’émergence d’immenses arsenaux tels que Portsmouth, Devonport ou encore Plymouth. La Royal Navy est alors chargée d’assurer la protection des intérêts britanniques partout dans le monde. Elle livre avec succès de nombreuses batailles sur les mers face aux puissances qui contestent son autorité comme la France. Les marins britanniques se battent avec d’autant plus d’ardeurs qu’ils savent que l’Angleterre, en tant qu’île, ne peut connaître la prospérité qu’en menant un intense commerce maritime.

L’échec de Napoléon Ier à vaincre l’Angleterre renforce sa position sur la scène internationale. La Grande-Bretagne accède au rang de première puissance de la planète en 1815 et proclame la Pax britannica. Les Anglais deviennent alors les gendarmes du monde. Ils exercent un règne maritime sans partage qui leur assure d’immenses profits pendant des décennies.

Au cours de cette période, le Québec manifeste déjà une vive opposition au colonialisme britannique. Il obtient un statut particulier avec l’acte de Québec de 1774 ou encore la séparation du Bas-Canada (futur Québec) d’avec le Haut-Canada (futur Ontario) en 1791. En 1838, le Bas-Canada proclame même unilatéralement son indépendance. Cependant, la révolte des Patriotes est écrasée par l’intervention militaire des autorités britanniques. Le Québec n’obtient pas son indépendance, mais l’opposition entre les Canadiens français et les colons britanniques demeure.

En parallèle, la concurrence économique croissante de plusieurs pays au cours du XIXe siècle, comme les États-Unis ou la France, oblige les autorités britanniques à adapter leur stratégie de puissance pour tenter de conserver leur leadership mondial.

À partir de 1867, l’Angleterre décide de réorganiser son empire colonial en cherchant à réduire le coût d’administration des territoires qu’elle contrôle tout en accroissant les profits qu’elle tire de leur exploitation. C’est dans ce but qu’elle crée le statut du dominion qu’elle attribue au Canada en 1867.

Les dominions de l’empire britannique sont des États partiellement souverains. Par exemple, au moment de sa création, le Canada n’a aucune compétence en matière diplomatique. L’Angleterre est seule responsable des relations internationales pour l’ensemble de ses dominions.

En tant que membre du Canada, le Québec n’est pas consulté sur son statut au sein de l’empire britannique. La logique impériale de l’Angleterre lui est imposée unilatéralement, ce qui va générer, au cours du temps, des tensions croissantes entre les Canadiens francophones et les représentants de la monarchie anglaise.

Par exemple, en 1899, les Canadiens français s’opposent fermement à l’idée que le Canada participe à la guerre des Boers déclenchée par l’Angleterre alors que la majorité anglophone du pays y adhère. Ils rejettent également l’idée d’une conscription pour permettre au Canada de renforcer sa participation au premier conflit mondial aux côtés de l’Angleterre.

La Première Guerre mondiale affaiblit considérablement la Grande-Bretagne. Le coût humain et financier de ce conflit affecte durablement sa puissance. L’Angleterre continue de dominer les mers en surface, grâce à une stratégie de blocus distant, mais doit être soutenue par des marines alliées pour faire face à l’émergence de la menace des sous-marins.

Par exemple, en 1922, les autorités britanniques signent le traité de Washington qui reconnaît une parité navale entre la Royal Navy et l’US Navy. Pour tenter de maintenir son autorité sur l’empire britannique, qui constitue le plus vaste empire de la planète à cette époque, les autorités anglaises envisagent une nouvelle réorganisation des relations entre l’Angleterre et les dominions.

En 1926, Arthur Balfour introduit le concept du Commonweath of Nations. Il s’agit d’une nouvelle association entre la Grande-Bretagne et ses dominions mêlant des relations politiques, économiques et culturelles sous l’égide de la Couronne britannique. Tous les habitants de l’empire reçoivent le statut de « sujet ». Les relations entre l’Angleterre et les États de l’empire britannique sont assurées par le Foreign and Commonwealth Office et les ministres des Affaires étrangères de chaque pays membres.

Pendant ce temps, au Québec, les Canadiens français refusent toujours que le Canada poursuive une politique loyaliste à l’égard de la Grande-Bretagne. Par exemple, ils refusent massivement la mise en place d’une conscription lors du deuxième conflit mondial pour permettre au Canada d’aider la Grande-Bretagne.

La Seconde Guerre mondiale finit d’accélérer le déclin de l’Angleterre. À la sortie du conflit, elle n’est plus la première puissance économique et militaire du monde. Dans le même temps, elle perd sa place de première puissance maritime de la planète. La flotte des États-Unis surpasse désormais largement la Royal Navy.

Cette situation aurait pu conduire à un éclatement du Commonweath of Nations. Cependant, les États membres de l’empire britannique manifestent leur attachement à cette association. Par exemple, en 1945, le Canada dépose un projet de code de la nationalité. L’obtention de la citoyenneté canadienne confère également ipso facto le statut de « sujet » de l’empire britannique.

Les autorités anglaises reprennent à leur compte cette idée de création d’un statut de sujet britannique dérivé des différentes citoyennetés nationales. En 1946, une conférence des Premiers ministres du Commonwealth avalise ce principe. En 1948, l’Angleterre traduit cette entente par une loi avec le British Nationality Act. En 1949, les États du Commonwealth s’entendent pour que les représentants de la monarchie britannique soient retenus comme symbole de la libre association des nations membres. Avec cet accord, le roi d’Angleterre devient le chef du Commonwealth et le monarque de 17 autres royaumes, dont le Canada, parmi les 54 pays membres.

Aujourd’hui, le Commonwealth comprend :
Afrique du Sud,
Antigua et Barbuda,
Australie,
Bahamas,
Bangladesh,
Barbade,
Bélize,
Botswana,
Cameroun,
Canada,
Chypre,
Dominique,
Fidji,
Gambie,
Ghana,
Grenade,
Inde,
Jamaïque,
Kenya,
Kiribati,
Malawi,
Maldives,
Malte,
Maurice,
Mozambique,
Namibie,
Nauru,
Nigeria,
Nouvelle-Zélande,
Ouganda,
Pakistan,
Papousie-Nouvelle-Guinée,
Royaume-Uni,
Saint-Christophe-et-Niévès,
Sainte-Lucie,
Saint-Vincent et les Grenadines,
Salomon et Tuvalu,
Seychelles,
Sierra Leone,
Singapour,
Sri Lanka,
Trinité et Tobago,
Vanuatu,
Zambie,
Zimbabwe.

Confrontée à son déclin de puissance face aux États-Unis sur la scène diplomatique mondiale, l’Angleterre cherche au cours des années 1960 à s’appuyer sur le Commonwealth pour peser davantage en Europe face aux deux puissances continentales que sont la France et l’Allemagne. Le Canada s’enorgueillit de continuer à faire partie de l’empire britannique.

Cependant, au Québec, les francophones sont profondément marqués par les mouvements de décolonisation qui ont lieu partout dans le monde dans la deuxième moitié du XXe siècle. Ils rejettent la logique impériale à laquelle adhèrent la majorité anglophone du Canada.

Face au refus du pays de se réformer, notamment en abandonnant ses liens particuliers avec l’Angleterre, une part croissante des Québécois aspire à une indépendance de leur province. Les habitants de la Belle Province se sont construits, au fil du temps, une culture stratégique fondée sur l’idée d’une survivance à tout prix du fait francophone en Amérique du Nord. Ils ne se reconnaissent nullement dans la relation spéciale qu’entretient le Canada avec l’Angleterre. À l’inverse, en tant que francophones, les Québécois entretiennent une relation spéciale avec la France.

La culture stratégique du Québec, c’est-à-dire, l’ensemble des pratiques traditionnelles et des habitudes de pensée, qui dans une société, gouverne l’action de ses habitants se construit en opposition avec celle du Canada anglophone. Enracinée dans l’histoire, la géographie, la culture et l’attitude des élites, cette culture incite les Québécois à rejeter le colonialisme britannique.

Cette situation explique la raison pour laquelle le Québec rejette les guerres. Les Québécois ne sont pas un peuple pacifiste opposé aux conflits armés. Sinon, on ne pourrait pas comprendre pourquoi ils ont mené la révolte des Patriotes en 1837-1838 ou encore effectivement connu une période de terrorisme politique avec les attentats du Front de Libération du Québec au cours des années 1960.

Les Québécois sont en réalité opposés à l’idée d’être entraînés dans des guerres où les intérêts directs du Canada ne sont pas menacés. Or, le fait que le Canada soit membre du Commonwealth a conduit le Québec à participer à de nombreux conflits qui étaient rejetés par les francophones.

Les francophones en veulent à l’Angleterre car ils considèrent qu’ils ont servi de « chaire à canon » au service des intérêts anglais au cours de la guerre des Boers, de la Première Guerre mondiale ou encore de la Seconde Guerre mondiale. C’est pourquoi, la culture stratégique du Québec exclu toute référence au colonialisme britannique.

Contrairement aux Canadiens anglophones, les Québécois ne valorisent pas les symboles de la monarchie britannique. Par exemple, en 2009, la visite du Prince Charles à Montréal se déroule extrêmement mal car de nombreux manifestants francophones rejettent sa venue.

Le Commonwealth constitue donc bien pour les Québécois un héritage colonial britannique embarrassant car le Québec s’est construit en développant une culture stratégique en opposition à l’Angleterre. La Grande-Bretagne est perçue comme la puissance colonisatrice et privatrice de libertés pour les francophones.

Les Canadiens anglophones n’ont pas du tout cette perception du monde. Dans leur culture stratégique, l’Angleterre est valorisée. Elle est considérée comme la puissance ayant apporté la « civilisation » au reste du monde et notamment à l’Amérique du Nord. Dans ce contexte, le Québec et le Canada anglophone ont deux cultures stratégiques distinctes qui ne peut que les conduire à s’opposer durablement.

Bibliographie :


Bulletin d’histoire politique, Le Québec et la Première Guerre mondiale, VLB éditeur, 2009, 296 p.
Marc Durand, Histoire du Québec, Imago, 2011, 236 p.
Jean-Yves Gravel, Le Québec et la guerre, Les éditions Boréal express, 1974, 173 p.
Normand Lester, Le livre noir du Canada anglais, Les intouchables, 2004, 318 p. (cf. tome 1, 2 et 3)
Valérie Lion, Irréductibles québécois, Éditions des Syrtes, 2004, 291 p.
Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs, La coopération franco-québécoise : hier, aujourd’hui, demain, Éditions Privat, 2012, 302 p.
Kim Richard Nossal, Stéphane Roussel, Stéphane Paquin, Politique internationale et défense au Canada et au Québec, Les presses de l’Université de Montréal, 2007, 646 p.
Alain Rabby, En finir avec cette monarchie illégitime, Vigile.quebec, 8 janvier 2014, 1 p.
Jean-François Savard, Alexandre Brassard, Louis Côté, Québec-Ontario : un destin partagé ?, Presses de l’Université du Québec, 2011, 312 p.
Revue internationale d’études canadiennes, Rébellion et résistance, n°20, 1999, 263 p.
Daniel Vernet, Le roman du Québec, Éditions du Rocher, 2008, 193 p.
Vigile.quebec, Le NPD Québec propose de se départir de la reine, 5 septembre 2006, 1 p.
Vigile.quebec, Visite du Prince Charles à Montréal, Documentaire audiovisuel, 12 novembre 2009, (http://vigile.quebec/Visite-du-Prince-Charles-a - consulté le 4 mars 2017).
Vigile.quebec, Le Prince Charles et son escouade anti-émeute, Documentaire audiovisuel, 12 novembre 2009 (http://vigile.quebec/Le-prince-Charles-et-son-anti - consulté le 4 mars 2017).


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4 commentaires

  • Ludovic MARIN Répondre

    24 septembre 2017

    Bonjour à tous, je viens de publier un ouvrage spécifiquement dédié au thème que je développe dans cet article.


    Mon livre s'intitule "Le Québec sous l'occupation britannique (1759-1871)". Il est disponible au Canada sur AMAZON.CA en version électronique ici :


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    Bonne lecture ! 


    Cordialement.


  • Archives de Vigile Répondre

    9 juin 2017

    J'ai regroupé mes principaux articles sur le Québec dans un livre intitulé "Chroniques d'Amérique du Nord (Tome 1)". Il est disponible sur Amazon à l'adresse suivante :
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    Cordialement.

  • Archives de Vigile Répondre

    7 mars 2017

    Il faut comprendre d'ou provient le Canada. Les colons américains on gagné la guerre contre les Britanniques. Les colons français on perdus la guerre face à l'empire Britannique. Les lois qui furent votés durant cette période aux USA ont été conçus pour empêcher toute invasion futur par une puissance étrangère ennemi... ce qui a fonctionner, en quelque sorte, pour un certains temps. Au Canada, les lois on été conçus pour poursuivre la conquête tout en maintenant la dissension au minimum. Ces lois ou leur esprit, sont toujours, dans une grande mesure, en place.

  • Yves Corbeil Répondre

    6 mars 2017

    Notre existence est une suite de colonisateurs, colonisés depuis le début, colonisés Français jusqu'en 1759, colonisés Britannique jusqu'en 1920 et colonisés Canadien du Commonwealth jusqu'à aujourd'hui.
    Un jour nous serons libre, libre de tous colonisateurs et ce sera nous qui républicaniseront le Québec avec la population en place.