L'arithmétique de la nation

La minorisation politique du Québec au Canada

Le gouvernement Harper veut augmenter le nombre de députés à la Chambre des communes pour corriger la sous-représentation des trois provinces dont la population est en croissance. Le projet de loi C-56 ajouterait ainsi 22 députés aux 308 actuels: 10 pour l'Ontario, 7 pour la Colombie-Britannique et 5 pour l'Alberta.
Dans un monde normal, ce projet de loi ne susciterait pas de remous, parce qu'il est normal que la répartition des députés soit régulièrement remise à jour pour refléter les mouvements de population et pour que le poids de chaque comté soit le plus égal possible à travers le pays.
Mais non. C'est compter sans la mobilisation québécoise. Car dans ce Parlement à 330 députés, le Québec, qui conserverait ses 75 sièges protégés par la Constitution, verrait son poids relatif réduit. Actuellement, le Québec, avec 23,4% de la population, détient 24,35% des sièges. Avec la nouvelle formule, qui s'appliquerait en 2014, cette légère sur-représentation se transformerait en légère sous-représentation, 22,73%.
Et ça, dans la logique du nationalisme québécois traditionnel, c'est inacceptable. Parce que le rapport de force du Québec baisserait à Ottawa. Ou encore, pour les puristes, parce que cette légère érosion trahirait l'esprit du pacte entre les deux nations fondatrices.
Et c'est ainsi que le projet de loi a été dénoncé à Ottawa par le Bloc québécois. Un thème qui a été repris mardi à l'Assemblée nationale par le chef de l'Opposition officielle, Mario Dumont. Les libéraux, dans un premier temps, n'ont pas partagé les inquiétudes du chef adéquiste. Mais le lendemain, quand le PQ, embarquant dans le train, a déposé une motion exigeant le retrait du projet C-56, le parti ministériel a fait volte-face, ce qui a permis l'adoption, dans un bel élan de solidarité, d'une autre de ces motions unanimes.
Cette bataille incarne à merveille le genre de nationalisme dont le Québec devrait s'affranchir, parce qu'on y retrouve tous éléments d'un nationalisme de perdants. Les références au passé et à une situation du dix-neuvième siècle. Les réflexes défensifs qui amènent les Québécois à se mobiliser, lorsqu'ils craignent une agression canadienne; dans ce cas-ci, comme l'a affirmé le bloquiste Pierre Paquette, parce que le gouvernement Harper «veut marginaliser la nation québécoise».
L'espèce de narcissisme qui consiste à tout décoder en termes québécois et à être indifférents aux préoccupations des autres. Et l'immaturité qui consiste à demander au reste du Canada de payer le coût d'une situation dont le Québec est le seul responsable.
Car il n'y a pas de complot. En voulant augmenter le nombres de députés, les conservateurs ne veulent pas marginaliser le Québec, ils veulent donner leur place à des provinces mal représentées. Et ils s'appuient sur un principe fondamental de nos démocraties parlementaires qui consiste à faire en sorte que le vote de chaque citoyen ait la même valeur. C'est ce que le Québec fait en corrigeant sa carte électorale. En s'opposant au projet C-56, l'Assemblée nationale nie un principe qu'elle défend pour elle-même.
Et cela manifeste une indifférence assez légère envers le reste du Canada. Car il y a une réalité mathématique incontournable. Si le Québec se bat pour que son poids relatif ne baisse pas à la Chambre des communes, cela aura pour conséquence que d'autres provinces, par définition, devront accepter d'être sous-représentées.
Bien sur, si le Québec veut un traitement différent, c'est au nom du statut de nation. Mais il faut également se demander pourquoi le Québec voit ainsi fondre son poids. Ce n'est plus, comme il y a cent ans, parce que les politiques d'immigration favorisent l'Ouest. La population du Québec baisse parce que les Québécois se reproduisent moins, parce que l'absence de dynamisme économique encourage une migration interprovinciale négative, et parce que le Québec ne réussit pas autant que d'autres régions du Canada à attirer des immigrants. Est-ce la faute du reste du Canada? Non. Ce sont des éléments dont nous sommes responsables. Au lieu de se mobiliser pour demander un traitement d'exception, le Québec devrait se mobiliser pour inverser la tendance.
D'autant plus que cette bataille pour des sièges à la Chambre des communes est un geste symbolique, un outil parfaitement artificiel qui ne bernera personne et qui ne donnera pas au Québec un rapport de force politique s'il continue à perdre du terrain aux plans économique et démographique.
Les symboles ont leurs limites. Dans la vraie vie, le fait de voter massivement pour le Bloc québécois, en excluant le Québec du pouvoir, fait bien plus pour marginaliser et affaiblir le Québec que quelques sièges de plus ou de moins à la Chambre des communes.


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