L'hécatombe

Sans statut ni ressources, le Bloc n'existe tout simplement plus.

Recomposition politique au Québec - 2011



L'élection fédérale de septembre 1984 avait marqué un véritable changement de paradigme au Québec en mettant fin à la domination presque ininterrompue que le Parti libéral du Canada y exerçait depuis l'époque de Wilfrid Laurier.
Les sondages des dernières semaines étaient unanimes à annoncer que le nouveau cycle politique inauguré par Brian Mulroney, quand il avait relevé le défi du «beau risque» lancé par René Lévesque après la double défaite du référendum de 1980 et du rapatriement de la Constitution, arrivait également à son terme, mais la façon dont le Bloc a été pulvérisé laisse sans voix.
Il se peut que le soudain engouement pour le NPD de Jack Layton soit aussi passager que l'a été le flirt avec l'ADQ de Mario Dumont. Certains «poteaux» décevront sans doute, mais le Bloc ne se relèvera pas de cette hécatombe. Non seulement le chef, mais ses deux dauphins, Pierre Paquette et Daniel Paillé, ont été terrassés. Sans statut ni ressources, le Bloc n'existe tout simplement plus.
L'irruption du Bloc dans le paysage politique était survenue à la faveur d'une crise, mais une crise qui s'éternise sans provoquer de rupture du système devient une sorte de normalité. Que le Bloc ait survécu aussi longtemps à la mise en veilleuse de la souveraineté constitue même une sorte d'exploit.
Tous les souverainistes qui se sont tournés vers le NPD ne sont pas devenus soudainement fédéralistes, mais bon nombre de ceux qui avaient boudé le Canada depuis 20 ans sont arrivés à la conclusion qu'en attendant un jour qui n'arrivera peut-être jamais, s'exclure du jeu ne les avance à rien.
Au lendemain de la quasi-victoire du 30 octobre 1995, bon nombre de souverainistes étaient convaincus que ce n'était qu'une question de temps. Le Bloc avait tout naturellement conclu que son rôle était de tenir le fort en attendant l'assaut final. C'était sans compter avec ce qu'engendre souvent le passage du temps: la lassitude, que l'on préfère généralement présenter sous un angle plus positif en parlant de «goût du changement».
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Certes, ce n'est pas à Ottawa que se réglera la question nationale, mais l'approche devra être revue du tout au tout. Pour sauver les meubles, Gilles Duceppe a pris le risque de placer la souveraineté au centre de sa campagne. Elle ne peut qu'être très affaiblie par ce retentissant échec.
Au-delà des excès de langage de Gérald Larose, c'est toute la rhétorique du complot qui a été rejetée. La création du Bloc par Lucien Bouchard et ses victoires répétées depuis 1993 ont été le résultat de la colère. Pour un nombre croissant de Québécois, la trahison de la «nuit des longs couteaux», le coup de force constitutionnel de 1982 ou même l'échec de l'accord du lac Meech ont rejoint la bataille des plaines d'Abraham, la pendaison de Louis Riel et la crise de la conscription au rayon des mauvais souvenirs que l'on préfère oublier.
Depuis 1993, l'occupation du terrain par le Bloc a toujours été au centre de la stratégie souverainiste. Depuis que le PQ est retourné dans l'opposition, avec la précarité de moyens que cela suppose, les abondantes ressources mises à la disposition du Bloc, ont également été un précieux apport. À l'automne 2004, un protocole d'entente prévoyait même l'installation d'un véritable pipeline entre les deux partis.
On a beau savoir que la conjoncture politique est une chose capricieuse, ce revirement tient presque du prodige. Le 15 mai dernier, alors qu'une autre victoire du Bloc semblait encore relever de la formalité, Pauline Marois et Gilles Duceppe invitaient les délégués au congrès national du PQ à préparer la deuxième période, c'est-à-dire l'élection d'un gouvernement péquiste à Québec. «Tout redevient possible», disaient-ils.
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Au congrès, les militants péquistes ont donné à Mme Marois toute la latitude nécessaire pour mettre en oeuvre sa stratégie dite de la «gouvernance souverainiste», mais l'écroulement du Bloc permettra à Ottawa d'en contester la légitimité.
Certes, Jack Layton s'est engagé à réunir les «conditions gagnantes» qui permettront éventuellement de ramener le Québec dans le giron constitutionnel canadien, mais pas à faire le jeu d'un gouvernement souverainiste dont l'objectif avoué serait de le séparer du Canada.
En créant le Bloc après l'échec de Meech, Lucien Bouchard avait voulu éviter la répétition du scénario de 1982, quand Pierre Elliott Trudeau avait pu légitimer le rapatriement de la Constitution en faisant valoir qu'il avait fait élire 74 députés sur 75 au Québec. Il sera maintenant bien difficile de convaincre le Canada anglais que la question constitutionnelle présente encore un quelconque intérêt au Québec même.
Les souverainistes chercheront à se consoler à l'idée que les Québécois ne se reconnaîtront pas dans un gouvernement conservateur majoritaire dont ils seront pratiquement absents. Gilles Duceppe a toujours dit que la politique (du pire) est la pire des politiques, mais encore faut-il qu'il y en ait une autre possible.
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mdavid@ledevoir.com


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