L’homme seul

Fa29dfb63aafab634ef308c520c4a654

Ça lui a pris 30 mois pour découvrir que la CAQ n'a aucune légitimité démocratique et que Legault est bien seul. Vous appelez ça un chroniqueur politique, vous ?

Il est bon de savoir conserver son sens de l’humour dans l’adversité. Quand la présidente de la CAQ, Dominique Anglade, a annoncé son départ prochain, François Legault a lancé que son parti avait une telle profondeur qu’il pouvait se permettre de céder des ressources à des organismes comme Montréal international.

Le stoïcisme a néanmoins ses limites. Devant la perspective de perdre son député-vedette, Jacques Duchesneau, qui a clairement laissé entendre qu’il pourrait ne pas se représenter, M. Legault a déclaré : « Il m’a dit qu’il serait dans l’autobus autant de jours que je le lui demanderais. Donc, pas de problème » !

Quoi ? Celui sans lequel la campagne de la CAQ n’aurait jamais décollé à l’été 2012 ne serait pas candidat à la prochaine élection et son chef n’y voit pas de problème ? Pire qu’un problème, ce serait une catastrophe. Les électeurs que M. Duchesneau avait attirés à la CAQ souhaitaient le voir au gouvernement, pas simplement dans un autobus pendant quelques jours.

Personne ne serait surpris de le voir partir. Il n’est certainement pas fait pour s’éterniser sur les banquettes d’un deuxième parti d’opposition et il n’y a aucune raison de croire que la CAQ réussira à inverser la lourde tendance qui semble la vouer à la marginalité. Dans l’état actuel des choses, sa propre réélection dans Saint-Jérôme serait problématique.

À défaut de siéger au Conseil des ministres, M. Duchesneau pourrait certainement trouver un endroit où il pourrait assouvir ses ambitions de justicier d’une façon plus constructive qu’en fouillant les placards d’André Boisclair. On ne peut s’empêcher de penser que le poste d’Inspecteur général, dont Denis Coderre a promis la création s’il est élu maire de Montréal, lui irait comme un gant.

***

Non seulement son départ serait une lourde perte en soi, mais son exemple risque aussi d’être contagieux. En 2012, il était la tête d’affiche d’une brochette de candidats-vedettes qui auraient pu former un Conseil des ministres tout à fait présentable : Gaétan Barrette, Claire Samson, Maud Cohen… Si M. Duchesneau lui-même n’y croit plus, pourquoi ceux qui occupent un emploi intéressant ailleurs lâcheraient-ils la proie pour l’ombre ?

Le solide député de Lévis, Christian Dubé, qui a résisté aux sirènes libérales, assure qu’il sera de nouveau sur les rangs. On évoque aussi la candidature de Jacques Nantel, professeur titulaire à HEC, qui pourra toujours y retourner si l’aventure tourne court. L’équipe économique de la CAQ se compare certainement de façon avantageuse à celle des autres partis. Encore faudrait-il que l’intendance suive.

Les sondages ne sont pas les seuls indicateurs de la vitalité d’un parti politique. Sa capacité de mobiliser doit aussi être prise en compte. À cet égard, les données constamment mises à jour par le Directeur général des élections donnent à réfléchir.

L’augmentation substantielle du financement public assure aux partis les moyens de faire campagne. Si des élections avaient lieu d’ici la fin de 2013, la CAQ pourrait compter sur une subvention de 3,6 millions. La minceur de ses revenus autonomes est cependant révélatrice de son faible pouvoir d’attraction.

Une organisation électorale a non seulement besoin d’argent, mais aussi de bénévoles. Depuis le début de 2013, seulement 1482 personnes ont contribué à la caisse électorale de la CAQ, pour un total de 116 325 $. C’est nettement moins que le PQ (10 704 contributeurs, 715 767 $), que le PLQ (4334 contributeurs, 368 337 $) et même que Québec solidaire (2013 contributeurs, 137 885 $).

***

Près de deux ans après sa fondation, la CAQ donne toujours l’impression d’être d’abord et avant tout la créature de François Legault. Le départ d’une forte personnalité comme M. Duchesneau, qui pouvait faire contrepoids, ne pourra que renforcer cette impression.

À compter du 18 octobre, la commission politique du parti devait entreprendre une consultation auprès des membres en prévision du congrès qui devait avoir lieu du 15 au 17 novembre sur le thème « Cap sur nos familles », mais l’imminence d’un déclenchement hâtif des élections a eu pour effet de court-circuiter l’opération. De toute manière, la plateforme électorale aurait été rédigée au bureau du chef. Il suffit de jeter un coup d’oeil sur la couverture du livre que M. Legault lancera le 21 octobre sous le titre Cap sur un Québec gagnant pour comprendre qu’il n’entend pas partager le crédit du projet Saint-Laurent.

La démocratie demeure balbutiante à la CAQ. À moins que les élections ne soient reportées au printemps, c’est M. Legault lui-même qui, comme l’an dernier, désignera les candidats dans les 125 circonscriptions, puisque la constitution prévoyant la tenue d’assemblées d’investiture n’aura pas encore été adoptée. Si les choses tournent mal, il va se sentir encore plus seul.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->