L’impasse Legault-Sirois ou le déni du coût de la dépendance politique

Chronique de Gilbert Paquette

Texte publié dans Le Devoir du mardi 1er mars 2011 "Coalition pour l'avenir du Québec - L'impasse Legault-Sirois"

La coalition pour l’avenir du Québec lancée cette semaine par François Legault et Charles Sirois nous mène à une impasse en niant la nécessité et l’urgence de nous libérer de la dépendance politique actuelle du Québec.
Autrement dit, régler la question nationale est trop difficile, oublions cela et attaquons-nous à nos problèmes de société avec les moyens réduits et dans le cadre que nous laisse le régime canadien. Voilà une attitude qui fait penser à des dirigeants de succursale dont la maison-mère a d’autres priorités (le pétrole, l’armement, la loi et l’ordre,…) mais qui nous laisse un peu d’argent de poche pour autre chose.
Les cofondateurs de la coalition évaluent que « la société québécoise a perdu ses repères et la confiance en elle-même ». Ils attribuent cette situation à « notre incapacité à trouver une solution rassembleuse à la question nationale, (…) notre société demeurant marquée par cette fracture qui nous affaiblit collectivement ». Constatant l’impasse dans laquelle se trouve la question nationale - « ni un renouvellement constitutionnel qui satisferait une majorité de Québécois, ni la souveraineté n’adviendront dans une avenir prévisible » - les cofondateurs décident d’ignorer la question comme si elle n’avait pas d’impact sur le progrès de notre société, notamment sur la qualité des services d’éducation et de santé.
Cette cécité face à l’urgence de régler la question nationale n’étonne pas de la part de fédéralistes comme Charles Sirois qui répètent depuis des années, à défaut d’autres arguments, qu’il faut « s’occuper des vraies affaires », que la « souveraineté est une obsession péquiste », que la « souveraineté nous divise ». Elle étonne davantage d’un François Legault qui, il y a quelques années, dans l’avant-propos de son étude des finances d’un Québec souverain affirmait:
« alors que la situation financière de la province de Québec restera très précaire et forcera les gouvernements qui la dirigent à faire d’importantes compressions budgétaires qui affecteront la qualité des services publics, un Québec souverain disposera au contraire d’une importante marge de manœuvre financière qu’il pourra utiliser notamment pour faire de l’éducation une véritable priorité, maintenir la qualité des soins de santé, mieux protéger son environnement et réduire sa dette ».

Bien sûr, il y a eu depuis la crise financière qui a créé des déficits importants aux deux niveaux de gouvernement, mais il n’en demeure pas moins que les dépenses gouvernementales au Québec, notamment de santé et d’éducation, croissent plus vite que les revenus, alors qu’au palier fédéral, la situation inverse continue à prévaloir. C’est ce qu’on appelle le « déséquilibre fiscal ».
Oublions pour le moment l’argument central de l’élan que donnerait au Québec son accession à la liberté et à la dignité d’un État indépendant complet, pour ne regarder que l’aspect financier de notre dépendance politique et budgétaire actuelle. Selon les études du comité conseil auprès du ministre de Finances Raymond Bachand, un comité « lucide » soit dit en passant, on passerait d’un déficit du Québec de près de 5 milliards en 2009-2010 à plus de 11 milliards en 2013-2014. Le comité postule que les changements démographiques entraineront une baisse des revenus du Gouvernement du Québec, la croissance économique passant de 2,2 % à 1,4 % en fin de période. En conclusion, la trajectoire actuelle des finances publiques nous mènera à une diminution drastique des dépenses gouvernementales et une augmentation des tarifs sans précédents. Que pourrait faire une équipe Legault-Sirois devant cette situation, si ce n’est gérer le budget collectif en mode décroissance sans le moindre projet collectif à l’horizon. Drôle de façon de contrer l’impuissance et la morosité !
Éliminant la souveraineté de l’écran radar, MM. Legault et Sirois, dans l’optique provinciale qui est désormais la leur, écartent toute analyse de l’autre moitié de nos moyens collectifs: le budget fédéral. S’il y a une chose qu’a démontrée la crise budgétaire actuelle, c’est l’importance de l’État. Sans l’État et ses investissements massifs pour renflouer l’économie, nous allions vers la catastrophe. L’unité et la cohérence de l’action de l’État pour catalyser les moyens d’une société sont primordiales. Un État souverain ayant le double du budget de la Province de Québec aurait une marge de manœuvre plus grande pour faire face aux crises budgétaires et aux développements en éducation, en santé et ailleurs.
La duplication des services entre les deux paliers de gouvernements, source de dépenses inutiles et incohérentes, était évaluée à 2,7 milliards $ par an dans le rapport Legault de 2005, sur la base des chiffres de 1994-95. Elle s’élève probablement autour de 4 milliards $ maintenant. Par ailleurs, le comité Léonard du Bloc québécois a identifié quelque 2 milliards de dollars de coupures possibles dans notre part du budget fédéral annuellement. Un Québec souverain pourrait aussi réduire les 490 milliards de dollars projetés dans la défense au cours des 20 prochaines années par le gouvernement Harper, la part du Québec revenant à quelques 5 milliards $ par année. Les avantages accordés aux pétrolières de l’ouest ajouteraient d’autres milliards d’économies dont la liste pourrait s’allonger.
Oui, le rapatriement de nos impôts, de nos ressources financières au Québec est essentiel à la réalisation de tout programme d’avenir. Ce rapatriement est impossible sans la souveraineté. Or, François Legault se définit comme n’étant plus souverainiste, c’est-à-dire « quelqu’un qui travaille à faire arriver la souveraineté du Québec ». Il ne nous offre, avec son nouveau collègue, rien d’autre qu’une impasse, la même où sont bloqués tous ceux qui aspirent à faire progresser le Québec.
Or la solution de la question nationale est à portée de main, contrairement à l’évaluation défaitiste de M. Legault. Elle ne dépend que de notre capacité à faire arriver ce moment majoritaire qui nous donnera un pays. En refusant d’y travailler concrètement, M. Legault se situe à contre-courant de la détermination nouvelle des partis et des mouvements indépendantistes. Là se trouve la véritable coalition pour l’avenir du Québec.

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Gilbert Paquette67 articles

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Ex-ministre du Parti Québécois
_ Président des Intellectuels pour la souveraineté (IPSO)

Gilbert Paquette est un chercheur au Centre interuniversitaire de recherche sur le téléapprentissage (CIRTA-LICEF), qu’il a fondé en 1992. Élu député de Rosemont à l’Assemblée nationale du Québec le 15 novembre 1976, réélu en 1981, Gilbert Paquette a occupé les fonctions de ministre de la Science et de la Technologie du Québec dans le gouvernement de René Lévesque. Il démissionne de son poste en compagnie de six autres ministres, le 26 novembre 1984, pour protester contre la stratégie du « beau risque » proposée par le premier ministre. Il quitte le caucus péquiste et complète son mandat comme député indépendant. Le 18 août 2005, Gilbert Paquette se porte candidat à la direction du Parti québécois. Il abandonne la course le 10 novembre, quelques jours à peine avant le vote et demande à ses partisans d’appuyer Pauline Marois. Il est actuellement président du Conseil d’administration des intellectuels pour la souveraineté (IPSO).





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5 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    25 février 2011

    Redevenir colonisé et angliciseur du jour au lendemain dépasse l'entendement
    Est-ce possible ?
    Il propose à la Nation Québecoise de rester bien docilement colonisée, de laisser les canadians dépenser à leurs avantages 50% de nos impôts et fonds consolidés, d'angliciser nos enfants au plus sacrant de leur fermer le monde non anglophone à 90% et d'augmenter nos comptes d'hydro etc...
    Incroyable ce retour à l'ADQ d'extrême droite et qu'un ancien ministre souverainiste puisse s'affilier au service de Charles Sirpois
    Bras droit ultra fédéraliste de John James Charest
    Incroyable

  • Archives de Vigile Répondre

    24 février 2011

    La coalition à Legault devrait être baptisée la COALITION DES AUTRUCHES, non pas qu'ils ne voient pas les problèmes très graves qu'engendre notre dépendance politique et économique, mais ils se mettent délibérément la tête dans le sable pour ne pas les voir. Cette pseudo-coalition n'incarne pas et n'incarnera jamais le courage et la détermination dont le Québec a besoin pour faire face à son avenir. Cette coalition ne sera jamais rien de plus qu'un ramassis de pleutres nous proposant des demi-mesures qui ne nous mèneront nulle part.
    Jacques L. (Trois-Rivières)

  • Georges Le Gal Répondre

    24 février 2011

    Ça ne peut pas être plus clair!

  • François A. Lachapelle Répondre

    24 février 2011

    Pourquoi François Legault oblitère le volet constitutionnel des cartons du Québec face à Ottawa? Plusieurs propositions arrivent à maturité de ce côté comme la rédaction d'une constitution québécoise, comme la création de la nationalité du Québec avec cérémonie obligatoire pour les nouveaux citoyens qui s'établissent au Québec, remplacer la Cour suprême d'Ottawa par notre Cour suprême, etc. Les exemples pullulent.
    L'indépendance souhaitée, recherchée pour l'État du Québec est une idée forte, trop forte pour certains. Abandonner une idée phare ne veut pas uniquement dire que cette idée est impossible ou irréalisable; cela peut vouloir dire que le porteur de cette idée n'a plus l'énergie de la porter.
    Continuant cette réflexion, arrive le pourquoi de cette démission, de ce retrait de la "voie difficile" surtout de la part d'un homme de grande expérience dans les affaires de l'État, d'un homme avec famille et dans la force de l'âge?
    Oui, le projet de l'indépendance de l'État du Québec n'arrive pas à maturité facilement et rapidement. Depuis que ce projet existe de façon formelle, disons depuis la naissance du RIN et du Parti québécois, des millions de québécoises et de québécois y ont réfléchi et y ont adhéré. Les québécois sont souvent qualifiés de brouillons et d'impros, ce qui déroute d'ailleurs nos voisins canadiens-anglais. Nos forces sont leurs faiblesses.
    Dans les faits, le projet de sécession du Québec porte en lui une force qui doit être réelle parce qu'elle a déjà ébranlé la structure "artificielle" du Canada et peut l'ébranler encore. Lorsque la coalition Legault-Sirois (CLS), arrêtons de parler de l'avenir du Québec avec ces 2 personnages de peu d'envergure "politique", donc avec la CLS qui abandonne un pouvoir de négociation face au Canada central, contenu dans le projet de création de l'État du Québec, cela n'augure pas fort pour régler les autres gros dossiers de l'éducation, de la santé et de l'emploi. Incapables de porter les couleurs du Québec, quelles couleurs portent-ils?
    Ce que le politologue Christian Dufour nous apprenait, à savoir que Sirois a gagné son point sur Legault, soit d'exclure du manifeste toute référence à l'intérêt national du Québec, cela nous révèle la faiblesse de la pensée de François Legault. Le contraire est aussi révélateur: le gain du fédéraliste Sirois. Que fait François Legault dans cette galère à part de se faire applaudir par l'éditorialiste André Pratte et par l'équipe de Paul Desmarais dans les bureaux feutrés de Power Corporation?
    Si François Legault part bientôt pour Paris, France, cela rend possible la réception d'une décoration de la Légion d'Honneur des mains de Sarkozy, d'autant plus vraisemblable que la réception sera payée par Power Corp. Quel cirque!

  • Gilles Bousquet Répondre

    23 février 2011

    Selon moi, un souverainiste qui a l'intention de voter quand même, après toutes ces explications, pour un parti. éventuellement dirigé conjointement par Messieurs Legault et Sirois, n'est pas un vrai souverainiste ou en est un très très mou de la constitution. Une sorte de fédéraliste qui s'ignore ou un indifférent ou une simple tête de pioche.