L'indépendance larvée

Chronique de Raymond Poulin

Le dernier sondage CROP nous apprend que la fibre souverainiste a rétréci
au lavage, du moins en apparence: 37%, soit une baisse de 19% depuis juin
2005, et des variations incessantes depuis et avant. On serait porté à
croire que plus ils se sentent menacés, moins les Québécois optent pour
l'indépendance. On peut tirer deux conclusions de ces variations: les
véritables indépendantistes sont moins nombreux qu'on s'est plu à le
croire, et plusieurs Québécois oscillent, selon une conjoncture à très
court terme, entre le coup de sang et le coup de pompe depuis très
longtemps puisqu'en 1978, 54% prétendaient favoriser la
souveraineté-association alors qu'en 1980, seulement 40% avaient voté oui,
même si la question portait sur un simple mandat de négocier avec le
fédéral — on prétend parfois que beaucoup d'indépendantistes auraient alors
voté non justement parce que ça n'allait pas assez loin: que quelques-uns
aient agi de la sorte, c'est certain, mais à ce point, j'ai toujours pensé
qu'il s'agit d'un argument purement rhétorique servi, bien après les
événements, par ceux qui voulaient détruire l'influence néfaste de la
stratégie étapiste.
Quoi qu'il en soit des causes réelles, il faut bien constater que la cause
de l'indépendance est loin d'être gagnée; elle n'obtient même pas, sur le
long terme, la faveur de la moitié des Québécois d'ascendance
canadienne-française, soit l'assise de la nation, sauf lorsque la
conjoncture leur permet de s'opposer directement à Ottawa: presque
toujours, le pourcentage d'opinions indépendantistes augmente sensiblement
lorsque le fédéral pose un geste interprété comme un sale coup ou comme le
résultat d'un complot anti-québécois, ce qui conforte ma conviction de
longtemps: un peuple, quel qu'il soit, n'agit massivement que très rarement
en vue d'un objectif positif en soi mais réagit plutôt devant ce qu'il
perçoit comme une menace externe: il lui faut identifier un ennemi
dangereux, pas seulement une nécessité logique; bref, le bon vieux réflexe
du mammifère, qui ne devient agressif que lorsqu'il se sent, à tort ou à
raison, attaqué ou menacé: son imagination passe alors au régime polémique
de la représentation.
Cela explique sans doute pourquoi tout le brouhaha actuel sur l'identité,
la langue et l'immigration, qui dure tout de même depuis plusieurs mois, ne
semble avoir aucune incidence sur le choix ou non de l'indépendance. La
seule relation entre les débats actuels et l'appui à l'indépendance se
trouve là où l'on peut démontrer, et surtout faire ressentir, une relation
de cause à effet entre le système fédéral unitaire et multiculturaliste et
ce qui est considéré problématique dans le composé
immigration-langue-identité. C'est justement, il me semble, ce que
visaient les propositions de Pauline Marois, dont l'importance a peu à voir
avec leur possibilité de mener ou non à des changements réels mais beaucoup
à voir avec la démonstration qu'elles permettent de faire quant au piège
mortel que constituent la nature du régime canadien et la constitution de
1982. Voilà donc un objet qui, même s'il se présente en principe comme une
contestation dans le régime, pourrait contribuer à augmenter la
contestation sur le régime. Cela explique peut-être pourquoi les
fédéralistes s'acharnent à ce point sur cet objet: les prédateurs détestent
que leur proie lance un leurre susceptible de révéler leur piège.
Bien sûr, une seule action de ce genre ne suffit pas à modifier
substantiellement la donne, et il n'est pas du tout évident que l'affaire
ait été menée habilement, d'autant plus que beaucoup de ceux qui, chez les
commentateurs québécois en principe favorables à l'indépendance, auraient
pu en profiter pour "embarquer" dans cette tactique, se sont contentés
naïvement d'interpréter ces propositions au premier degré, comme si leur
expérience des dessous de l'action politique ne leur avait pas appris
grand-chose... ou comme si le clou colonialiste et annexionniste canadien
était durablement enfoncé dans leur cerveau.
Certains s'élèvent contre toute "pédagogie" de l'indépendance qui ne se
limiterait pas à convaincre rationnellement les Québécois, par le discours
argumentatif et la connaissance de l'Histoire, de la nécessité de
l'indépendance, seule manière, prétend-on, de les rendre conscients de leur
annexion et de leur colonisation. Ces moyens ne sont certes pas à négliger
mais ne constitueront jamais un arsenal décisif à eux seuls, ce n'est pas
ainsi que les populations fonctionnent. Il leur faut un ennemi, des gestes
motivateurs, des leaders crédibles et une organisation stable tout aussi
crédible dotée de moyens de communication efficaces dans les deux sens.
Tant que ces conditions ne seront pas réunies, je demeure convaincu qu'on
pataugera dans les mêmes eaux, entre bouffées d'espoir et résignation. Et
ce n'est pas la multiplication des organisations et des partis, chacun
tirant à hue et à dia, qui créera un climat favorable.
Raymond Poulin
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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    3 novembre 2007

    Entièrement d'accord avec vous M. Poulin.
    Je crois aussi que si nous avions été assimilés, disons, il y a 100 ans, et que nous, pures-laines, serions, aujourd'hui, anglicisés comme nos cousins de Nouvelle-Angleterre, nous ne penserions pas du tout à nous séparer du ROC. Notre langue est donc le motif numéro 1 de l'affaire.
    En attendant des changements sur le sort constitutionnel du Québec qui peut prendre un certain temps, pourquoi est-ce que nos gouvernements Québécois qui veulent protéger et même, faire prospérer ici la langue française, ne prennent pas les actions requises à cet effet ? Ça pourrait être comme le CEGEP francophone pour les immigrés, l'amélioration de l'enseignement du français à tous les niveaux, le français comme langue de travail partout etc...(On n'a pas besoin du fédéral pour faire ça...me semble).
    On n'a pas le vocabulaire limité parce que nous sommes une partie du Canada. On fait dur en français parce que nos gouvernements provinciaux incluant le PQ n'ont pas pris, sauf pour la loi 101, les actions requises, principalement au niveau scolaire qui produit de plus en plus des presque illétrés...genre