L’islamophobie et le chat d’Amir Khadir

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« Pour échapper à l’islamophobie, qui serait une haine aveugle envers tous les musulmans, ne faudrait-il pas commencer par reconnaître le problème de l’islamisme au sein de l’islam, dire et analyser cette réalité pour la contrer, la circonscrire ? »

Au lendemain des commémorations du massacre de la mosquée de Québec, Amir Khadir appelle la population du Québec à un acte de courage face à l’islamophobie qui gangrénerait leur société (Le Devoir, 30 janvier 2018). « Trouvons le courage d’appeler un chat un chat », dit-il, c’est-à-dire faisons face à la réalité pour nous défaire de la peur fantasmée, irrationnelle, des musulmans. D’accord, allons-y courageusement.



Amir Khadir rappelle d’abord une réalité brutale : le massacre de la mosquée de Québec par Alexandre Bissonnette : 6 morts, 19 blessés, une communauté terrorisée. Une fois évoquée cette réalité, M. Khadir apaise adroitement la douleur causée par ce traumatisme social : « le Québec tout entier a réagi avec justesse et dignité », dit-il, même les animateurs de radio-poubelles, dont la profession est d’alimenter les ressentiments, auraient montré de la solidarité envers les victimes.



Le chat de M. Kadhir est bel et bien sorti du sac affublé du mot « islamophobie » qui, par sa vertu d’anathème, dirait absolument tout des causes de ce massacre, de cette haine, de ce ressentiment délirant. Le ressentiment et la brutalité semblent toutefois ne se trouver que parmi les Québécois dits de souche. Est-ce à dire que la vision du député, pourtant solidaire, est à sens unique ? Il insiste : n’occultons pas ce qui nous arrive, la société québécoise de laquelle nous sommes si fiers mérite mieux que le racisme, la xénophobie, la fermeture à l’autre, l’intolérance, le repli identitaire qui nous viennent bien sûr d’ailleurs, inspirés par les Trump et Le Pen de ce monde — l’ADN québécois est naturellement bienveillant. En effet, que nous arrive-t-il, M. Khadir, la parole publique serait-elle à ce point en crise, ici comme ailleurs ?



Il arrive justement que nous craignons de dire qu’il existe, dans l’histoire et dans le monde d’aujourd’hui, un phénomène religieux violent qui s’appelle l’islamisme : l’islam extrémiste, guerrier, conquérant, celui du djihad armé et de l’entrisme social, c’est-à-dire la revendication sans fin d’accommodements religieux et culturels.



Dire cela, écrire cela, c’est sans doute être islamophobe aux yeux de M. Khadir. Et la plupart des chroniqueurs, contrairement à ce qu’affirme insidieusement le député solidaire, sont payés pour escamoter cette réalité. Il reste à voir jusqu’à quel point elle est exacte, mais la dénégation orchestrée de l’islamisme au coeur de l’islam non seulement empêche la compréhension de la montée aux extrêmes, pour ensuite la désamorcer en faisant les distinctions qui s’imposent, mais il est fort probable qu’en occultant cette réalité, en refusant d’en discuter, on alimente la haine, les ressentiments qu’on prétend combattre. Et les victimes, comme toujours, seront les personnes innocentes, à commencer par la majorité des musulmans qui ne partagent pourtant pas cette vision extrémiste de l’islam, pas plus que la majorité catholique, chrétienne ou juive d’Occident ne partage la vision d’extrêmes droites qui instrumentalisent leur religion à des fins de doctrines mortifères.



En muselant toute tentative de discussion avec l’accusation d’islamophobie, il est normal que celle-ci soit perçue comme un instrument d’intimidation.



Affaissement de l’Europe



Dans un petit livre récent, L’impossible paix en Méditerranée, l’écrivain algérien Boualem Sansal décrit sans ambages la situation d’instabilité chronique en Méditerranée, situation qui concerne la planète entière, dont le Québec, relié au monde rappelons-le : « Plusieurs phénomènes sont aujourd’hui à l’oeuvre, qui vont considérablement accroître la sismicité en Méditerranée dont parle Edgar Morin : c’est l’affaissement assourdissant de l’Europe, c’est la montée en puissance et la radicalisation de la Turquie islamiste, c’est la faillite des pays arabes, c’est la mondialisation, qui fait feu de tout bois et détruit les derniers piliers de solidarité traditionnelle. Le résultat premier de la conjonction de ces phénomènes est l’avancée massive de l’islam radical en Méditerranée et en Europe. C’est un nouveau monde qui se profile dans la violence et la douleur. La transformation sera systémique, et donc la violence atteindra des sommets exceptionnels. Ces choses-là ne peuvent pas se faire dans la douceur et la négociation. »



L’affaissement assourdissant de l’Europe, c’est aussi ce que l’auteur appelle ailleurs « la société qui murmure », cette société impuissante à affirmer ses valeurs de réflexivité, de liberté, de doute, de laïcité face à la volonté de soumettre l’individu inhérente à l’islamisme.



Dans ce dialogue avec le psychiatre Boris Cylrulnik, Sansal affirme que la priorité des priorités politiques devrait être de combattre la nhada, « l’éveil islamique », qui ne sera pas stoppé par un langage de rectitude politique. Boris Cyrulnik affirme même, et il n’est pas le seul intellectuel de renom à le dire, que « l’islam modéré est une stratégie guerrière »…



Ces deux auteurs connus et respectés sont-ils bernés par la peur et le fantasme, d’affreux chroniqueurs islamophobes bornés et racistes ? Comme le seraient l’écrivain algérien Kamel Daoud, le philosophe français Abdennour Bidar, le regretté Abdelwahab Meddeb, tous les libres-penseurs de l’Islam et de l’Occident qui appellent à surmonter les ressentiments religieux et identitaires pour construire une société pluraliste, non réductible au communautarisme ?



Pour échapper à l’islamophobie, qui serait une haine aveugle envers tous les musulmans, ne faudrait-il pas commencer par reconnaître le problème de l’islamisme au sein de l’islam, dire et analyser cette réalité pour la contrer, la circonscrire ? Cesser de galvauder, tout en les amalgamant, des notions aussi différentes que celles de racisme, d’intolérance, d’inquiétude légitime ? Bref, avec Amir Khadir, j’en appelle au courage d’appeler un chat un chat.


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