Les secousses de la guerre au Liban se font sentir dans la sphère politique canadienne. Pour certains commentateurs, le Québec est à nouveau le mouton noir de la politique étrangère canadienne, qui "voudrait punir M. Harper lors des élections pour s'être levé clairement contre un second Holocauste" ([Pellerin, Ottawa Citizen, 20 juillet->1519]) et pour avoir défendu un usage "légitime et mesuré" de la force contre des terroristes. Des politiciens québécois participent à une manifestation de solidarité avec le peuple libanais dans laquelle se sont faufilés des sympathisants du Hezbollah ? "Il est finalement redevenu respectable au Québec d'exprimer un appui aux terroristes", de conclure un chroniqueur ([MacPherson, The Gazette, 8 août->1535]. Voir aussi [Kay, National Post, 9 août->1510]) - comme si l'appui au terrorisme avait déjà été respectable au Québec ! Bref, l'offensive contre le "Québecistan" est lancée.
Le Québec se met donc à se poser des questions sur la sagesse de la position du premier ministre face à ce conflit. Il n'en fallait pas plus pour que ressortent tous les clichés qu'entretient trop souvent le Canada anglais sur l'attitude de la société québécoise face aux questions relatives à la guerre et à la paix.
En fait, ce débat ramène au premier plan une question fondamentale en politique étrangère canadienne : les Québécois sont-ils si différents des autres Canadiens lorsque vient le temps de parler de questions militaires ? Sont-ils des pacifistes naïfs, isolationnistes et antimilitaristes, comme le veut un cliché bien ancré dans l'imaginaire collectif ? Et sont-ils plus susceptibles d'exprimer de la sympathie pour les terroristes ?
Différences ténues
Les recherches que nous menons sur le sujet depuis près de deux ans tendent à démontrer que ces images ne reflètent plus la réalité et que les différences qui séparent, en général, les Québécois francophones des Canadiens anglais sur les questions militaires sont bien plus ténues et bien plus subtiles que les commentateurs aiment le répéter.
L'analyse des sondages sur l'attitude de l'opinion publique canadienne révèle à cet égard un phénomène inattendu. Depuis 1990, l'écart du niveau d'approbation (ou de désapprobation) qui sépare les Québécois francophones des Canadiens anglais se situe presque systématiquement autour de 10 %, même si quelques pointes temporaires peuvent survenir, comme c'est le cas actuellement.
Cette observation se répète, quels que soient les enjeux du conflit ou les belligérants. Plus encore, la courbe d'opinion des francophones et des anglophones évolue de façon parallèle, fluctuant au même rythme et réagissant aux mêmes stimuli.
D'autres recherches, comme celles portant sur le contenu des sections des programmes politiques des partis souverainistes consacrées à la défense et à la sécurité, ou encore sur les articles d'opinion dans les journaux, tendent à démontrer ce phénomène de convergence des "cultures stratégiques".
Bas seuil de tolérance
Il faut néanmoins expliquer cette différence persistante de 10 %. L'une des hypothèses les plus conformes avec ces observations est que le seuil de tolérance à l'égard du recours à la force comme moyen de résoudre des problèmes internationaux est plus faible au Québec, et que les conditions qui rendent cet usage légitime sont différentes. Plusieurs facteurs sociologiques et historiques peuvent expliquer cet écart.
Par exemple, les Québécois n'ont que peu de points de référence historiques pouvant leur démontrer que la guerre peut servir leurs intérêts. Ainsi, ils sont plus circonspects devant l'utilisation de la force, qu'ils perçoivent rarement comme une solution.
Cela ne signifie pas qu'ils la condamnent automatiquement. Ainsi, en 1999, lors de la crise du Kosovo, ils soutenaient majoritairement, comme les autres Canadiens, l'action de l'Alliance atlantique. Toutefois, cela signifie que les critères qui confèrent au recours à la guerre un caractère légitime sont plus difficiles à satisfaire au Québec qu'au Canada anglais.
L'important ici est que cette différence est, en soi, suffisante pour expliquer la perplexité des Québécois devant la solution retenue par Israël, sans avoir besoin de verser dans les propos extrémistes, qui consistent à les associer au terrorisme et à l'antisémitisme simplement parce qu'ils considèrent l'offensive israélienne comme une réponse disproportionnée et inadéquate.
Il n'est visiblement pas venu à l'esprit des commentateurs dénonçant le "Québecistan" que cette société a pu élaborer un discours original et critique face à l'usage de la force militaire.
* Les auteurs travaillent respectivement à la chaire de recherche du Canada en politiques étrangère et de défense canadiennes de l'Université du Québec à Montréal, et au département de science politique de l'Université Laval.
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