Constatant l'agonie de l'ADQ, surtout qu'elle a été, par hasard, drôlement accélérée par sa propre démission-choc, Éric Caire clame sur tous les toits son souhait de voir émerger une nouvelle coalition qu'il qualifie de "centre-droite".
Frottant sa lampe magique en espérant y voir sortir un génie prêt à lui exaucer ses trois vœux, il rêve aussi de voir le Lucide-en-chef lui-même devenir géniteur de ladite coalition: "Oui, ce serait un beau rêve. Mais si on reste dans le domaine du rêve réalisable, une caution morale de Lucien Bouchard serait déjà un engagement très fort de sa part. Pourquoi pas le voir parrainer un mouvement comme celui-là sans y prendre une part plus active?"
Lucien Bouchard comme "parrain" de la droite québécoise? Le rôle lui irait en effet comme un gant.
Comme troisième souhait, M. Caire pense "à des gens comme François Legault, Joseph Facal, Jacques Ménard, André Pratte, pour ne nommer que ceux-là. Et il y en a d'autres."
S'il y en a d'autres? Sans blague! Mais il y en a plein! Surtout si on utilise les bons termes.
Je m'explique. Dans notre spectre idéologique canadien et québécois, le fait est que les idées de M. Caire et des Lucides - pas toutes, mais la plupart -, tiennent plus de la "droite" que du "centre-droit". Par contre, si on leur adjoint les leaders d'opinion et les partis qui campent plus au centre-droit, comme le PLQ sous Jean Charest, ça commence à faire beaucoup de monde à la messe!
Du moins, chez les "élites", puisqu'une majorité de Québécois ne loge pas vraiment dans la niche ultraconservatrice des Lucides. Cette niche où l'on croit dur comme fer que les forces du marché font presque toujours mieux que l'État. Sauf, bien sûr, lorsque ce même marché nous précipite en pleine crise et court au même État pour exiger qu'il presse les contribuables comme des citrons afin qu'ils payent pour les dégâts faits par le même marché...
Donc, chez les élites, ici comme ailleurs, ça ne manque pas de monde du côté de la droite et du centre-droit. On peut trouver ça bon ou mauvais. Mais il est impossible, objectivement, de nier l'évidence. À un point tel qu'on pourrait même dire que cette belle "coalition" de droite souhaitée par Éric Caire existe déjà dans les faits!
Au fédéral, elle s'appelle le Parti conservateur du Canada! Mais au Québec, il est vrai que, n'étant pas unie sous la bannière formelle d'une coalition ou d'un parti comme celui de Stephen Harper, elle demeure plus diffuse. Ce qui, pourtant, n'empêche aucunement cette idéologie d'occuper une place de choix sur la place publique et de jouir d'une pléthore de tribunes.
Pensons, entre autres, à la brochette de "groupes de réflexion" bien nantis et bien branchés comme les CIRANO, Institut économique de Montréal, Institut Fraser et SECOR. Des think tanks ultraconservateurs dont les porte-parole sont invités à "commenter" l'actualité à la télé, à la radio et dans les journaux. Parfois même sans contrepartie. Les médias grand public ne manquent pas non plus d'analystes maison bien connus, de la même école de pensée et faisant la navette régulièrement entre l'écrit et l'électronique.
Et pourtant, ça se plaint souvent de ne PAS avoir suffisamment de place. Bref, comme disait ma grand-mère: ça se plaint le ventre plein!
On passe à autre chose?
Cette grande "coalition", Éric Caire la voudrait aussi pour "passer à autre chose". Pour briser la fameuse polarisation souverainistes-fédéralistes en la remplaçant par une lutte plus franchement gauche-droite.
En d'autres termes, il souhaite une nouvelle coalition ressemblant à l'ADQ que Mario Dumont avait tenté de revamper après le référendum de 1995 et son bref séjour dans le camp du Oui - soit logeant clairement à droite et autonomiste, tout en restant dans le Canada.
Quant à son appel à M. Bouchard, l'ironie est qu'en 1991, soit après l'échec de Meech, c'est plus ou moins ce que M. Bouchard lui-même aurait cherché à faire au provincial. Il aurait alors rencontré Claude Béland et Gérald Larose. Voici comment M. Béland se souvient des paroles de Lucien Bouchard: "Monsieur Béland il faut que vous donniez le grand coup! Il faut fonder un parti. (...) On peut créer une force de gens qui ne veulent pas s'embarquer dans le Parti québécois. Un peu des gens du Bloc, des démissionnaires du Parti libéral, comme Mario Dumont et Jean Allaire (1)." L'objectif aurait alors été de "concurrencer" Jacques Parizeau et le PQ, qu'il aurait vus comme étant trop militants (2).
Une belle ironie, en effet. Comme quoi M. Bouchard demeure, après tout ce temps, LA référence au Québec la plus respectée et la plus souhaitée par la droite québécoise, dont certains, comme Éric Caire, rêvent encore de le voir mettre son charisme exceptionnel au service officiel, et non plus seulement officieux, de cette école de pensée. Eh oui, une "caution morale" pour ceux et celles partageant cette vision. Il est toutefois peu probable qu'il remonte sur les planches de la politique active.
Mais qui sait? Peut-être qu'en bout de piste, un autre "sauveur" se pointera à l'ADQ? Ce qui, on en conviendra, est toutefois une très, très grosse commande pour un parti qui ressemble de plus en plus à un très, très mauvais vaudeville...
(1) & (2) Voir: Pierre Duchesne, Jacques Parizeau 1985-1995. Le Régent, Montréal, Québec Amérique, 2004, chap. 9: "Le deuxième parti", p. 191-198. (Claude Béland a refusé cette "offre".)
La "caution morale"
Lucien Bouchard comme "parrain" de la droite québécoise? Le rôle lui irait en effet comme un gant.
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