La chèvre et le chou

Dans le dossier de la langue, Charest gouverne comme le chef des libéraux, premier ministre virtuel du Canada, et non comme premier ministre du Québec. Un plan de carrière suppose des compromis-sions...



Jean Charest a beau répéter qu'il occupe «le meilleur emploi au monde», bien des gens demeurent convaincus qu'il est simplement de passage à Québec. Même au sein de son propre caucus, certains croient qu'il n'a pas renoncé à son rêve de devenir premier ministre du Canada, un «plus meilleur» emploi.
Si sa popularité est en chute libre au Québec, un sondage effectué par Léger Marketing entre le 12 et le 19 avril 2010 indique que M. Charest demeure très estimé au Canada anglais, sauf en Alberta, sans doute en raison de ses positions sur les changements climatiques.
Parmi les candidats potentiels à la succession de Stephen Harper, M. Charest arrive bon deuxième avec 13 %, derrière Peter MacKay (17 %), mais devant Stockwell Day (8 %), Jim Flaherty (8 %) ou encore Bernard Lord (6 %). Précisons que le nom de Maxime Bernier, qui semble faire un tabac en traitant le Québec de parasite d'un océan à l'autre, n'apparaissait pas sur le questionnaire.
Da sa chronique d'hier dans Le Journal de Montréal, Jean-Marc Léger imaginait le scénario suivant: élections fédérales, défaite des conservateurs, démission de Stephen Harper, course à la chefferie conservatrice, annonce de la candidature de Jean Charest, course à la chefferie du PLQ, élections fédérales, élections provinciales. «Ce sont les douze prochains mois qui nous attendent. Attachez vos tuques: quand le peuple veut du changement, il en obtient», prophétise M. Léger.
Si fascinant qu'il soit, ce scénario comporte plusieurs «si». Il faudrait d'abord que Michael Ignatieff réussisse à convaincre les Canadiens qu'il a l'étoffe d'un premier ministre. Si les choses ne s'améliorent pas pour le PLQ, M. Charest préférera sans doute partir plutôt que d'aller à l'abattoir, mais le PC a bien changé depuis l'époque où il le dirigeait. Même s'il leur offrait de bonnes chances de victoire, les anciens réformistes qui tiennent maintenant le haut du pavé voudraient-ils d'un red tory comme chef?
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Si l'Alberta était la seule province à ne pas succomber aux charmes de M. Charest, cela ne serait pas très grave. Peu importe qui succédera à M. Harper, les électeurs albertains resteront sans doute fidèles au PC.
En revanche, ce qu'un éventuel candidat au poste de premier ministre du Canada devrait éviter à tout prix, ce sont les initiatives qui risquent d'indisposer la population de toutes les régions du pays.
Robert Bourassa n'a jamais manifesté le moindre intérêt pour la scène fédérale. «Vous savez, moi, l'entente du nid-de-corbeau...», disait-il à la blague. Une chose est cependant certaine: s'il avait eu des ambitions de ce côté, l'adoption de la loi 178 sur l'affichage commercial en 1988 les aurait ruinées d'un coup, comme elle a entraîné la mort de l'accord du Lac-Meech.
Déjà, la Charte canadienne des droits et libertés était devenue un symbole identitaire très fort au Canada anglais. L'utilisation de la clause «nonobstant» pour se soustraire au jugement de la Cour suprême avait eu l'effet d'une gifle.
Le cri lancé par Clifford Lincoln en claquant la porte du cabinet avec deux de ses collègues anglophones, Richard French et Herbert Marx, avait retenti d'un bout à l'autre du pays: «Rights are rights are rights.» Devant la protection des droits individuels, la protection du français ne faisait pas le poids.
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Si M. Charest veut indisposer le ROC, le moyen le plus sûr est d'utiliser à son tour la clause dérogatoire pour se soustraire au jugement de la Cour suprême qui a invalidé la loi 104 interdisant le recours aux écoles-passerelles pour contourner les dispositions de la Charte de la langue française sur l'accès à l'école anglaise.
Hier, à l'Assemblée nationale, la ministre responsable de la Charte, Christine St-Pierre, n'a pas nié les informations de La Presse selon lesquelles le gouvernement Charest avait déjà écarté un recours à la clause dérogatoire. Pourquoi le gouvernement péquiste ne l'avait-il pas fait au moment d'adopter la loi 104? a demandé Mme St-Pierre, disant rechercher «une solution tout à fait durable qui répond à ce que la Cour suprême nous dit dans son jugement».
S'il y a une chose que n'a pas recommandée la Cour, c'est bien d'étendre les dispositions de la Charte aux écoles privées subventionnées, comme le Conseil supérieur de la langue française l'estime nécessaire. Encore moins d'utiliser la clause dérogatoire pour se soustraire à son jugement.
Les députés libéraux anglophones, en particulier la ministre de la Justice, Kathleen Weil, sont certainement soumis à d'intenses pressions, mais la communauté anglophone demeure captive du PLQ. À l'époque de la loi 178, le risque d'une victoire péquiste était nul. Cette fois-ci, la possibilité est bien réelle.
À première vue, la question des écoles-passerelles n'a peut-être pas le même potentiel explosif que celle de l'affichage, mais la méfiance que suscite M. Charest est maintenant telle que n'importe quel dossier pourrait mettre le feu aux poudres. Et puis, Stephen Harper ne partira peut-être pas, du moins pas tout de suite... Comment ménager le chou canadien sans que la chèvre québécoise pique une autre crise?
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mdavid@ledevoir.com


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