Le 9 juin 2010, le vérificateur général du Québec a déposé un rapport à l'Assemblée nationale sur les PPP démontrant sans équivoque que les justifications économiques du gouvernement Charest n'étaient le résultat que d'une comptabilité «créative». Il s'agit d'une pratique courante. Et pour cause. Dans le cadre du feu projet de PPP-Turcot, lors de l'annonce officielle de l'abandon du PPP, «la ministre Boulet avouait candidement que le rapport "avait été fait au départ pour démontrer que le PPP avait une plus-value de 100 millions de dollars"» (État du Québec, 2010).
Déjà à l'automne 2009, le vérificateur général — dans un rapport qui a participé au changement de nom de l'Agence des PPP pour Infrastructure Québec — affirmait qu'en encaissant des millions pour leurs services, ces firmes «n'ont pas agi comme des experts indépendants ayant pour objectif de critiquer et de remettre en question les hypothèses posées par PPP Québec, qui les recrutait».
Mais de quelles firmes parlent la ministre Boulet et le vérificateur général? Qu'est-ce qui cause ces malversations comptables? Quelle est la conséquence de cette décentralisation administrative (Infrastructure Québec) pour la gestion des deniers publics?
Qui tripote les chiffres?
Le 22 octobre 2009, le gouvernement Charest a dû abandonner le «fer de lance de sa réingénierie de l'État québécois»; l'Agence des PPP fut mise au rancart en raison de son discrédit et Infrastructure Québec fut créée pour coordonner les futurs projets publics. Sur le terrain, il s'agit d'un changement cosmétique visant à améliorer l'aspect «marketing public» des PPP, et encore, le site Web de l'Agence des PPP n'a toujours pas été mis à jour. Infrastructure Québec a droit simplement à ceci: «Dorénavant, les responsabilités de l'Agence des PPP du Québec seront assumées par Infrastructure Québec» (ppp.gouv.qc.ca).
Ce maquillage est survenu dans une réaction anticipée au dépôt du rapport du vérificateur général du Québec «sur les manipulations comptables dans les études commandées à des firmes de comptable en management par l'Agence pour favoriser le choix du mode PPP pour la construction du CHUM» (État du Québec, 2010); le rapport accablant a eu pour effet de «brûler» symboliquement l'Agence, et le nom devait être changé d'un point de vue de communication stratégique de base. Encore aujourd'hui, le vérificateur écrit dans son Rapport spécial que «les nouvelles analyses de la valeur ajoutée pour ces projets sont basées sur plusieurs des mêmes hypothèses que nous avions jugées inappropriées ou non fondées dans le passé». Simplement dit, les firmes sont très créatives avec les taux actuariels utilisés de façon à «générer des économies» imaginaires pour stimuler l'enthousiasme politique de la formule PPP, même si cela est littéralement douteux intellectuellement et financièrement.
Analyse objective?
Dans certains milieux, il serait convenu de viser Infrastructure Québec pour ces mauvaises analyses; le problème est qu'Infrastructure Québec est une coquille vide d'expertise visant uniquement à donner un visage public à des analyses réalisées à forts coûts par des intérêts privés. Il est vrai qu'il y a bien un comité de vérification, mais il ne «challenge» rien du tout. Cela est si vrai que dans sa réponse au Rapport spécial 2010, Infrastructure Québec se défend d'avoir effectué un «choix aléatoire et non fondé», car les hypothèses utilisées ont été «réalisées par des firmes de comptables de renom, dont notamment PriceWaterhouse Coopers, Raymond Chabot Grant Thornton» —, c'est tout dire.
Où est l'analyse scientifique et objective dans ce «boys club» de firmes ayant d'importants intérêts privés dans les schèmes de réalisation en PPP et qui les présentent à l'aide d'acrobaties intellectuelles malhonnêtes? Ce n'est pas pour rien que l'institution du vérificateur général met en garde le Parlement contre l'absence d'analyses «rigoureuses» et le fait que le gouvernement Charest prend une décision «sans avoir une vision des projets dans leur ensemble quant à leurs coûts globaux et aux budgets de fonctionnement qui seront nécessaires pour ces nouveaux établissements» (Rapport spécial). Il est clair que la directive politique visant à utiliser ces firmes comme des extensions bureaucratiques est une pratique de gouvernement ignominieuse.
Pourquoi cette comptabilité créative?
Lorsque la ministre Boulet a candidement avoué que le rapport de PriceWaterhouse Coopers pour le feu projet de PPP-Turcot avait été commandé et réalisé «pour démontrer que le PPP avait une plus-value de 100 millions de dollars», elle a illustré, malgré elle, que les firmes privées sont des «mercenaires». Cela est reconnu dans la littérature scientifique pertinente.
Dans les différents pays anglo-saxons, elles sont décrites comme des «hired-gun» qui produisent des rapports généralement non scientifiques, peu rigoureux et avec une éthique qui est, telle de la pâte à modeler, subordonnée aux besoins du marché. Elles sont utilisées pour justifier des décisions arbitraires ou idéologiques dans un langage technocratique que peu de citoyens sont en mesure de décoder et encore moins de contester. Les firmes sont utilisées comme des boucliers permettant aux décisions idéologiques, et souvent néfastes pour l'intérêt public, d'être protégées contre la contestation citoyenne.
Ce qui se produit peut être résumé simplement: on demande à des firmes de faire des analyses qui justifieront des choix idéologiques et les citoyens paient des millions pour ces services visant à les exclure. Pour des firmes capitalistes, «le client a toujours raison», sans quoi il ira «voir ailleurs»; elles n'ont pas à respecter quelque règle d'éthique publique que ce soit. En fait, leurs intérêts financiers vont directement à l'encontre de l'intérêt des contribuables. Si tel est le cas, pourquoi avoir recours à ces firmes si un organisme public comme le vérificateur général peut le faire à l'interne rapidement et à moindre coût? Poser la question, c'est y répondre.
Diapason idéologique
Renaud Lachance, à titre de vérificateur général du Québec, possède une éthique publique et évolue dans un environnement institutionnel qui lui permet de «dire la vérité au pouvoir», ce qui n'est pas le cas des firmes privées. Lorsqu'un gouvernement idéologique désire réaliser des PPP de sorte à en faire un «bar ouvert» pour les petits amis, il est plus intéressant d'avoir recours à des firmes privées que l'on peut acheter et qui, dans tous les cas, sont au diapason idéologique du gouvernement en raison des contrats de management qu'elles récoltent — et récolteront — au moyen de l'orgie contractuelle engendrée par ces concessions antidémocratiques s'étalant sur des générations.
Le vérificateur a raison de s'inquiéter de la dérive dans la structure de gouvernance et du fait qu'elle «ne favorise pas l'imputabilité» (Rapport spécial); cela concorde avec la littérature scientifique. Si le gouvernement ne fait pas marche arrière, il s'agira ex ante d'une corruption à grande échelle de l'intérêt public par des firmes privées — la plus importante de l'histoire du Québec financièrement —, et les risques théoriques de corruption sectorielle et individuelle ex post sont effarants dans une structure aussi horizontalement décentralisée dans les mains d'intérêts privés.
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Christian Bordeleau - Candidat au doctorat en politiques publiques à la School of Public Policy and Administration de l'Université Carleton et affilié au Center for Governance and Public Management
Rapport du vérificateur général sur les PPP
La corruption de l'intérêt public par le privé
PPP sous surveillance
Christian Bordeleau4 articles
Candidat au doctorat, finissant à la maîtrise en science politique à l'Université de Montréal et affilié au Centre de recherche sur les politiques et le développement social (CPDS), l'auteur a réalisé sa thèse de maîtrise sur l'éthique en politique.
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