Emmanuel Lévy - C'est en toute discrétion que le gouvernement a donné son feu vert à la multiplication des opérations de titrisation. Alors que cette technique financière a été l'un des détonateur de la crise, les banques ont réussi à obtenir la titrisation de leur créances nées des Partenariats public-privé. Un mélange explosif.
Le risque, c’est mieux quand il est ailleurs
Il n’aura pas fallu longtemps à Nicolas Sarkozy pour basculer du côté de la modernité de la finance.
En avril 2009, il lâchait déjà, à propos de la titrisation : «Il y a eu des excès, mais il faut la faire repartir. » A un Henri Emmanuelli, député PS, qui objecte un «ça se discute», le Président répond «Henri, toi qui as été banquier, tu le sais très bien. La titrisation a permis le développement du monde depuis vingt ans». Son « ami » Obama, lui, est loin de penser la même chose : le président américain considère que les innovations financières sont source de « croissance factice »(« paper growth »).
Pour les banques, l'intérêt de la titrisation est évident. Elle permet en effet de contourner les ratios prudentiels, lesquels imposent de posséder des fonds propres à proportion des prêts qu'elles accordent : selon les accords de Bâle, il leur faut posséder 8 euros de fonds propres pour 100 euros de prêt. Ces fonds propres sont en réalité une sorte de garantie, un coussin de sécurité en cas de manque à gagner sur leurs prêts. Faute de quoi la banque irait directement puiser dans les dépôts de ses clients, ce qui ne serait pas du goût de tout le monde (même si en pratique elles seraient déjà nombreuses à le faire). Pour les banques — c'est-à-dire pour leurs actionnaires — le problème est que cette immobilisation de capital diminue la rentabilité. Résultat, la titrisation a été détournée de sa vocation originelle. Si sur le papier, elle est pensée comme un outil pour répartir les risques, elle s’est en fait transformée en une technique d'arbitrage réglementaire. Voilà l’origine de la crise des subprimes.
Mais cela n’a pas servi de leçon, puisque même la BCE invite les acteurs de la finance à retourner sur le marché de la titrisation. A Bercy, il n’a pas fallu se le faire dire deux fois. Même si on argumente sur la leçon de choses retenue après la crise. « Cette fois-ci, chaque opération est individuellement titrisée, on ne mélange pas les risques, c’est ce qui assure aux investisseurs, à la différence des subprimes américaines, une bonne perception de leur exposition.»
Et de fait, le futur FCP, le fonds commun de placement comme l’a baptisé Alain Madelin dans son rapport, le prévoit : à chaque PPP (partenariat public-privé) correspond un refinancement. Sauf que certains membres du groupe de travail pensent déjà au coup d’après « ce n’est qu’un premier pas. On peut tout à fait imaginer qu’à terme, le FCP émette des produits adossés à plusieurs PPP », explique Edouard-François de Lencquesaing, de Paris Europlace, le lobby de la place financière parisienne.
Le plan de relance conjugué à l’espoir de titrisation a déjà largement relancé les PPP. En juillet ce sont plusieurs opérations qui se sont ainsi dénouées.
Bref, les gros PPP, dont rêvent les acteurs du secteur, arrivent. Ainsi celui de RFF (Réseau ferré de France) où sont également mobilisés des fonds issus du livret pour des taux modiques (merci le plan de relance). Soit 7,8 milliards d'euros pour la ligne TGV Tours-Bordeaux attribuée au groupement LISEA piloté par VINCI. Le BTpiste se voit confier la conception, la construction, l'exploitation et la maintenance de la ligne nouvelle et du projet ferroviaire d'une longueur de 340 km. Une partie de ce financement est assuré par des millions d’euros prêtés au taux du livret A plus 1%, soit 2,85% dès août prochain. Devraient suivre d’autres opérations du même ordre: RFF est ainsi dans la dernière ligne droite pour le projet de ligne à grande vitesse Bretagne – Pays de la Loire… Tandis que la coupe d’Europe de football 2016, qui aura lieu en France, devrait contribuer à alimenter le moulin : 1,7 milliard d’euros devrait être consacré à la construction de quatre stades (Lille, Lyon, Nice, Bordeaux) et à la rénovation de huit autres, l’essentiel en PPP. Hier, le 28 juillet 2010, Vinci remportait l'appel d'offre sur l'aéroport Notre-Dame-des-Landes, la plate-forme du Grand Ouest près de Nantes, dont 250 millions d'euros de « contributions » publiques (Etat et collectivités locale). Le contrat qui court sur 55 ans prévoit que ces « contributions » publiques «pourront se voir remboursées sous forme d'un retour à meilleure fortune lié au résultat de l'aéroport». Comme si Vinci était décidé à organiser son propre malheur, en rendant une partie de ces sommes! Le BTpiste possède en réalité toutes sortes de filiales, sous-traitants et autres prestataires de services qui sauront parfaitement bien capter les résultats de l'aéroport avant que ceux-ci n'apparaissent dans son bilan...
Pourtant les PPP sont une mauvaise affaire pour l’Etat
Dans son rapport annuel 2008, la Cour des comptes jugeait l’opération réalisée en PPP de regroupement des services de renseignements au sein d’un même immeuble à Levallois : « Ce surcoût résulte tant du prix de l’immeuble choisi, nettement plus cher que celui d’autres immeubles susceptibles de répondre au besoin, que des travaux nécessités par son aménagement. Il tient ensuite au mode de financement de l’opération, en l’absence de crédits de paiement pour le payer comptant : en faisant payer l’immeuble par un tiers, c’est une charge supplémentaire d’environ 121,5 M€ que l’Etat devra supporter au titre des intérêts. » Pas vraiment une pub pour ce genre de montage que les magistrats de la Cour des comptes, obsédés par la bonne gestion des deniers publics, goûtent finalement peu. Ils renouvellent d’ailleurs leurs critiques sur un secteur en pointe dans ce type d’opération : les équipements pénitenciers. Là, c’est à boulets rouges que la Cour pilonne.
Médiapart.fr, notre confrère, vient lui aussi de dévoiler les dessous d’une autre opération réalisée en PPP. Vinci est à la tête d’un consortium chargé de la gestion du campus sur lequel s’installera l’Université Paris VII-Diderot. Le contrat de 273 millions d’euros qui court sur 30 ans semble réserver quelques désagréables surprises aux futurs récipiendaires des lieux.
Pourtant, il suffit de regarder ce que donne l'expérience québecoise, dans un pays qui s’est lancé avant le nôtre dans la grande aventure des PPP, pour voir qu'en la matière les déconvenues se succèdent. Dernières en date, celles révélées par le Vérificateur général du Québec. Son audit sur la gestion des hôpitaux est assassin, tant en termes de coût que de qualité des prestations fournies.
Mais qu’importe. Les PPP sont pensés pour permettre à l’Etat de passer sous le radar de Maastricht, en tout cas de minorer comptablement la dette publique maintenant que celle-ci dépasse largement le seuil de 60% prévu dans le traité (on est au-delà des 80% du PIB). Quitte à payer le prix fort, comme le souligne la Cour des comptes.
Il y a pourtant un hic que les acteurs du rapport Madelin ont identifié très rapidement. En fait deux. Le premier, c'est que la titrisation des PPP équivaut à mettre sur le marché la promesse de l’Etat de payer un coupon sur 30 ans. Et ça, ça s’appelle de la dette. D’ailleurs les auteurs du rapport ne s’en cachent pas : « l’Offre Obligataire du Véhicule Emetteur d’Obligations (sont) adossées aux Contrats de PPP et à un risque Etat », en langage financier, cela veut dire que les acteurs du pool PPP revendent la signature de l’Etat pour se refinancer à son niveau, c’est à dire aux meilleurs conditions possibles. Difficile dans ces conditions de maintenir le trompe-l’œil fondateur des PPP.
Le second est plus complexe. L’architecture du nouveau schmilblick que constituerait ce fonds comporte un grave risque juridique : un problème de concurrence. Le Fonds commun de placement est pensé pour être unique, c’est mieux et plus pratique pour vendre la signature de l’Etat. Le problème est que la DGGCRF pourrait avoir quelque chose à y redire. « C’est essentiellement pour cela que le rapport a été remis à Bercy, histoire de recevoir le parrainage du ministère dont l’une des direction sous sa tutelle devra se prononcer sur la compatibilité de ce système avec le droit de la concurrence », explique un avocat spécialiste de la titrisation qui voit d’un bon œil ce nouveau marché s’ouvrir à lui.
« Bref avec la titrisation, les PPP vont apparaître pour ce qu’ils sont : une bien mauvaise affaire pour l’Etat. Il devra à la fois payer plus cher pour les investissements qu’il ne financera qu’indirectement puisqu'il faut bien payer la marge des opérateurs. Mais en plus, il y a de fortes chances pour qu'ils soient in fine comptabilisés comme des dettes à son passif… », poursuit notre avocat.
Où l'on comprend que les règles de Maastricht ne génèrent pas que des vertus dans la gestion des états. Au fait, n'est-ce pas aussi un financier (Goldman Sachs) qui a conseillé la Grèce pour l'aider à contourner les même règles du déficit budgétaire ?
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