À tête reposée

La cour d'école

2006 textes seuls

Mais que se passe-t-il au Québec ? Qu'est-ce qui pousse nos supposées
« élites » à se comporter de plus en plus souvent comme des enfants qui se chicanent dans une cour d'école ?
Il y a deux semaines, c'était les accusations de propagande et les dissociations successives entourant un pauvre petit livre de 9,95 $ produit par le Conseil de la souveraineté.
Cette semaine, des déclarations de l'auteur Michel Tremblay et du dramaturge Robert Lepage secouaient le Québec et faisaient sortir de leurs gonds d'autres artistes, d'anciens politiciens, des chroniqueurs, et j'en passe.
Un peu de Ritalin les enfants ?

***


Et il est où le dernier drame ? Lundi, La Presse titre à la
une : « Michel Tremblay estime que l'économie prend trop de place dans le projet nationaliste. JE NE CROIS PLUS À LA SOUVERAINETÉ ».
Mardi matin, Le Soleil titre à sa une : « Souveraineté. LE DOUTE S'EST AUSSI EMPARÉ DE LEPAGE ». Grand Dieu ! Le mouvement souverainiste serait-il en phase terminale ?
Dans les faits, Michel Tremblay n'a jamais dit qu'il n'était plus souverainiste. Il s'est plaint que le PQ parle trop d'économie et que « tant et aussi longtemps que l'économie sera placée en première place, on ne fera jamais la souveraineté ».
Cela s'appelle une OPINION. Fondée ou non, c'est tout ce que c'est. À la limite, c'est une critique de la stratégie adoptée par le PQ depuis des années, une critique que Tremblay avait parfaitement le droit d'exprimer sans se faire lapider sur la place publique et sans que ses paroles soient déformées par certains médias.
Mardi, le chef du Bloc, Gilles Duceppe, a pris la peine d'appeler Tremblay, lequel lui a confirmé qu'en effet, il était encore souverainiste.
Ce mercredi matin, sur RDI, Michel Tremblay a été extrêmement clair en entrevue. L'animateur lui demande :
« êtes-vous encore souverainiste ? ». Et Tremblay de répondre : « en fait, je suis SÉPARATISTE. ».
Avez-vous enfin compris les enfants ?
Quant à Robert Lepage, qu'a-t-il dit ? Il a enfilé plein de choses confuses sur les concepts de fédération et de confédération. Mais l'homme est dramaturge, pas politologue.
Ce qu'il a surtout dit est qu'il reste en lui un sentiment souverainiste, mais qu'il aimerait être convaincu à nouveau et que, comment dire, il s'ennuie de Lucien Bouchard - un
« héros idéal » selon lui.
Il n'a pas dit qu'il n'était pas souverainiste. Seulement que comme pour bien d'autres, le syndrome du « sauveur » est tellement puissant chez-lui que Lepage semble déboussolé sans « héros » à se mettre sous la dent.
Sa déclaration manque sûrement de maturité politique. À croire qu'un adulte éduqué et sophistiqué comme il l'est ne peut porter seul ses propres convictions politiques sans qu'un « héros » ne le tienne par la main.
Mais cela ne fait pas de lui un fédéraliste. Ça fait seulement de Lepage quelqu'un qui, comme beaucoup d'autres Québécois, trouve que le leadership du PQ est peu impressionnant.
Et même si Lepage ou Tremblay étaient devenus fédéralistes, ce qui n'est pas le cas, ce serait leur droit le plus fondamental !

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Un grand Loft Story politique
_ Mais dans la grande cour d'école québécoise, les déclarations des deux hommes, déformées plus qu'autre chose, ont mis bien du monde dans tous leurs états et ont monopolisé les tribunes téléphoniques et émissions d'information.
Dans tout ce délire, Marc Cassivi de La Presse se désolait même qu'on ne puisse être artiste au Québec et fédéraliste en même temps par « crainte d'être marginalisé ». Ciel d'Afrique et pattes de gazelle !
C'est une belle ânerie à écrire en plein milieu d'une semaine où toute la télévision d'ici honore un de nos plus grands artistes, un des plus aimés des Québécois, Jean Lapointe, lequel est non seulement fédéraliste, mais également un sénateur.
Toute cette histoire prend des airs d'humour absurde ou d'un grand Loft Story politique. Qui sera exclu, ou qui s'exclura du loft souverainiste ? Même si c'est faux, ce n'est pas grave, ça fait de la bonne copie pour La Presse.
Au-delà d'une tempête médiatique parfaitement artificielle, des souverainistes ne se sont pas fait prier pour sauter dans la cour d'école.
Pierre Falardeau s'est fâché. Évidemment. Victor-Lévy Beaulieu a traité Tremblay de « trou du cul », de
« moumoune » et l'a enjoint à « aller finir ses jours en Floride avec un club de varices ». Claude Jasmin, aussi, l'a insulté.
Bernard Landry, courroucé comme d'habitude, s'est engagé à ne plus contribuer « à la richesse personnelle » de Tremblay, et donc, à ne plus aller voir ses pièces de théâtre. Le même jour, à TQS, il déclarait par contre que Claude Morin, ex-informateur rémunéré de la GRC, lui, n'a rien trahi...
Seuls Gilles Duceppe et André Boisclair ont eu des réactions mesurées, ayant réussi, semble-t-il, à respirer par le nez assez longtemps pour ne pas faire des fous d'eux-mêmes.
Que ce soit dans le cas du petit livre du Conseil de la souveraineté ou de Tremblay & Lepage, pourrait-on arrêter de nous comporter de manière aussi infantile à la moindre secousse dans un journal ou dans une émission de télé ?
Peut-on apprendre à faire la différence entre une opinion - une fois bien comprise, si possible - et un vrai drame ? Et si quelqu'un est en désaccord avec une opinion exprimée clairement, peut-il le signaler sans appeler au boycott du travail de cette personne ou sans sortir le dictionnaire québécois des insultes puériles des petits enfants fâchés, fâchés, fâchés ?
S'il y en a qui ont de l'énergie en trop, qu'ils s'en prennent au journal qui a fait ses choux gras de cette fausse controverse pendant trois jours, à ceux qui s'en sont servi pour crier à la « crise » et à la désaffectation dans le mouvement souverainiste ou, encore, aux « ténors » souverainistes et péquistes qui insultent plutôt que d'argumenter au niveau des idées.

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Peuple à genoux, attends ta délivrance !
_ En fait, ce que Tremblay a exprimé est une critique qu'on entend même chez des militants du PQ depuis qu'il n'a plus que les mots « déséquilibre fiscal » à la bouche.
Si une discussion calme avait suivi les propos de Tremblay, on aurait par contre compris que le PQ, face aux accusations des fédéralistes de porter une option qui « détruirait » l'économie québécoise ou de faire disparaître les pensions de vieillesse, a dû parler beaucoup, beaucoup d'économie.
Mais aussi que oui, comme le dit Tremblay, le temps est peut-être venu de parler ÉGALEMENT d'autre chose que d'argent.
Quant à Lepage, ses remarques sur le « héros idéal » qui lui manque tant devraient pourtant faire réfléchir. Ce côté infantile, style « vite maman, j'ai besoin d'un « sauveur ! » est répandu au Québec. Tel un relent judéo-chrétien, combien de Québécois, comme dans Minuit chrétien, attendent, peuple à genoux, qu'un sauveur vienne les délivrer ?
L'adoration béate envers Bouchard en est un exemple patent. Sa contribution au référendum de 1995 est certes indéniable, mais une fois premier ministre, il s'est empressé de balayer l'option sous le tapis de son déficit-zéro et de ses conditions gagnantes qui, semble-t-il, ne venaient jamais....
On peut avoir été pour, on peut avoir été contre, mais on ne peut nier que l'homme se soit intéressé à tout sauf à l'option de son parti pendant ses années passées à Québec.
À force d'attendre un sauveur charismatique, on fait la démonstration qu'à l'instar de Lepage, on manque de maturité politique. On attend celui qu'on va aimer, qui nous portera, qui fera naître la nation d'un coup de baguette magique...
Le mouvement souverainiste québécois est peut-être encore trop jeune - 40 ans, c'est court dans la vie d'une nation - pour que l'on comprenne ce que des peuples plus anciens ont compris. À savoir : que des leaders déterminés sont cruciaux, mais que chaque individu est aussi responsable de son propre cheminement politique et intellectuel.
Lepage, et beaucoup d'autres comme lui, attendent qu'un leader « incarne » le projet d'indépendance. Mais la vérité est que là où l'indépendance s'est faite, c'est le peuple qui l'a « incarnée » avant toute chose.
C'est le peuple, et ses élites, qui l'a portée. Mais cela étant dit, Lepage soulève néanmoins, même s'il le fait maladroitement, l'absence actuelle d'un leadership souverainiste inspirant.

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La tête dans le sable
_ Sur le fond des choses, il reste que les remarques de Tremblay et de Lepage soulèvent une question importante pour le PQ.
Comment se fait-il que depuis des années, et ce bien avant l'arrivée de Boisclair comme chef, le PQ demeure systématiquement moins populaire que son option ?
À la dernière élection générale, le PQ a eu son pire score électoral en 30 ans - à peine 33 % des voix - alors que la souveraineté oscillait dans les sondages entre 45 et 49 %.
Pourquoi y a-t-il eu tant de Québécois qui appuient le Oui, mais qui ont refusé de voter pour le PQ ?
Ce lundi, dans le comté de Sainte-Marie-Saint-Jacques, le PQ a récolté 41 % des votes, mais 22 % des électeurs ont voté pour un AUTRE parti souverainiste que le PQ : Québec solidaire.
Qu'est-ce qui explique cet écart entre les appuis à la souveraineté et ceux du PQ ? Avec l'arrivée sur scène d'un nouveau parti de gauche et souverainiste, le PQ ne peut plus faire l'économie de ce questionnement.
Si des souverainistes choisissent de s'abstenir de voter, ou, maintenant, de voter pour Québec solidaire, c'est le PQ que cela interpelle. Face à la création de la première alternative souverainiste potentielle au PQ, ce dernier ne peut plus se cacher la tête dans le sable.
Mais depuis lundi, une chose semble certaine : il existe maintenant non pas un, mais DEUX partis souverainistes dans l'arène politique dite provinciale.
Face à cette alternative possible, une certaine difficulté à s'identifier à ce qu'est devenu le PQ et à son discours est ce qui semble avoir provoqué les réflexions de Lepage et de Tremblay bien plus qu'un quelconque abandon de leurs convictions.
Plutôt que de les invectiver, certains ténors péquistes devraient les remercier.


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