Quand Michael Sabia avait été nommé à la présidence de la Caisse de dépôt en mars 2009, Bernard Landry s'était attiré les habituels reproches d'intolérance et de sectarisme pour lui avoir reproché sa «culture nationale canadian», qui le disqualifiait à ses yeux.
L'ancien premier ministre estimait qu'il fallait avoir passé sa vie dans la culture socioéconomique québécoise pour être en mesure de diriger adéquatement une institution financière aussi chargée de symbole. Finalement, ses inquiétudes étaient fondées.
M. Sabia ne semble pas avoir saisi que le développement économique du Québec, qui était — et demeure — un volet essentiel du mandat de la Caisse, était indissociable de la prise de contrôle des principaux instruments de ce développement par les francophones.
La récente nomination de deux unilingues anglophones à la direction du bras immobilier de la Caisse, Ivanhoé Cambridge, constitue à l'évidence une contravention à l'esprit, sinon à la lettre, de la Charte de la langue française, que le premier ministre Charest ne pouvait cautionner.
Personne au Québec n'avait accepté l'argument de la compétence avancé par Ottawa pour justifier les nominations faites par Stephen Harper à la Cour suprême et au poste de vérificateur général. Il n'est pas davantage recevable dans le cas de la Caisse. Sur la base de quels critères David Smith a-t-il été choisi pour occuper le poste de vice-président aux ressources humaines alors que deux candidats francophones d'expérience étaient également sur les rangs?
La tentative de justification du porte-parole de la Caisse, Maxime Chagnon, était franchement insultante. Ce n'était pas si grave que bwana Smith soit unilingue, puisque ses subalternes étaient en mesure de s'adresser aux indigènes dans leur langue.
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Le tollé soulevé par cette bourde a forcé la Caisse à modifier la description de tâche de M. Smith, qui ne conservera que le volet international de son poste, et à lui imposer une immersion totale de trois mois dans un milieu exclusivement francophone. Le problème culturel révélé par cette affaire ne disparaîtra cependant pas pour autant.
Ne reculant devant aucun effort, la Caisse entreprendra la semaine prochaine une campagne de promotion de l'utilisation du français dans les aires communes du siège social. Un siège social, faut-il le rappeler, qui est situé à Montréal. On croit rêver.
Dans une entrevue qu'elle avait accordée au Devoir en avril 2010, la ministre responsable de la Charte de la langue française, Christine St-Pierre, avait déclaré que l'État devait être exemplaire dans l'utilisation du français dans l'administration. C'est encore loin d'être le cas.
Une étude publiée la semaine dernière démontrait que, dans les services publics québécois, notamment dans les secteurs de la santé et de l'éducation, l'anglais comme langue de travail occupe une place nettement disproportionnée par rapport au poids démographique des anglophones.
Le mois dernier, le président du Mouvement Québec français (MQF), Mario Beaulieu, rappelait également que le gouvernement n'a toujours pas mis en oeuvre une modification que le PQ a apportée à l'article 16 de la loi 101 en 2002 pour obliger le gouvernement à utiliser «uniquement» le français dans ses communications écrites avec les entreprises établies au Québec, plutôt que de le laisser libre de le faire soit en français, soit en français et dans une autre langue.
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Tout le monde sait maintenant qu'en matière de langue, le gouvernement Charest ne dépassera jamais le stade des voeux pieux et des mesures incitatives, qui ont montré leurs limites depuis bientôt 35 ans.
François Legault promet d'être plus ferme dans l'application de la Charte de la langue française. Même s'il refuse de la renforcer, comme le PQ entend le faire, le chef de la CAQ pourrait-il au moins s'engager à promulguer une disposition que le parti auquel il appartenait avait fait adopter? À moins qu'il ne s'agisse d'un autre épisode de sa vie antérieure qu'il a décidé de mettre entre parenthèses?
Tant qu'à y être, le chef de la CAQ, qui se dit disposé à utiliser la clause «nonobstant» pour éliminer les écoles passerelles, ferait-il adopter les mesures que Mme St-Pierre avait incluses dans son projet de loi initial pour mieux faire avaler la pilule, mais qu'elle s'est empressée d'abandonner dès que le dossier des écoles passerelles a été clos?
Il prévoyait notamment une modification de la Charte des droits et libertés de la personne pour consacrer l'importance du français, de même que des dispositions visant à en renforcer l'usage dans les municipalités. Tout cela a été abandonné pour ne pas froisser la clientèle anglophone du PLQ.
Le plan d'action que M. Legault a rendu public lundi repose sur «un principe clair»: le Québec doit être «souverain en matière linguistique» et cette souveraineté «doit être exercée dans toute sa plénitude et de manière résolue». Ce qui est beaucoup moins clair, c'est la façon de concilier cette nécessité avec les dispositions de la Charte canadienne des droits et de la Loi sur les langues officielles. Bien entendu, on verra.
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