La fiscalité néolibérale

La démythification de Milton Friedman (4-A)

Économistes atterrés

Dans son chapitre sur la politique fiscale, Milton Friedman demeure passablement évasif sur ce qui pourrait constituer le régime fiscal idéal. Il se livre plutôt à ce qui relève d'une entreprise de démolition plus ou moins réussie de la «mythologie» keynésienne qu'il juge inefficace aussi bien au plan stratégique qu'au plan technique. En fait, aux yeux de Friedman, le keynésianisme n'est à peine plus qu'un coupable prétexte pour justifier l'élargissement géométrique des pouvoirs de l'État. Idéalement, donc, il serait préférable que les gouvernements gardent leur place, c'est-à-dire, qu'ils se fassent le plus discrets possible et, surtout, qu'ils ne prétendent pas vouloir essayer de réguler le niveau de l'activité économique. On devine donc qu'il est plutôt favorable à une fiscalité svelte. Mais, il n'aborde véritablement cette question que quelques chapitres plus loin, lorsqu'il traite des questions relatives à la répartition de la richesse et l'aide aux démunis. Nous avons donc encore une fois choisi de suivre le plan de Friedman tel quel plutôt que de réoganiser ses idées par thèmes. Nous nous attarderons donc pour l'instant sur sa charge antikeynésienne.
La théorie du balancier déséquilibré
Si vous laissez un New Dealer mettre le pied dans la porte, donc, vous n'arriverez plus à vous en débarrasser. Dans les années 1930, ils ont sauté sur le prétexte de la Grande Dépression pour s'ingérer dans le domaine économique et ils se sont incrustés, en dépit de leurs promesses de libérer les lieux une fois la machine repartie.
«Depuis Franklin Roosevelt et le New Deal, l'expansion des activités gouvernementales au niveau fédéral trouve une de ses principales excuses dans la nécessité supposée, pour éliminer le chômage, de procéder à des dépenses publiques. Cette excuse a connu plusieurs avatars. Il fut d'abord question d'«amorcer la pompe» par des dépenses temporaires qui mettraient l'économie en marche, étant bien entendu que l'État s'effacerait dès cet objectif atteint.
Cette première intervention se révéla inapte à supprimer le chômage, et elle fut suivie en 1937-1938 d'une forte contraction économique. On avança alorsla théorie de la «stagnation séculaire», qui était censée justifier l'importance et la permanence des dépenses gouvernementales. L'économie, disait-on, est arrivée à maturité; on a largement exploité les occasions d'investir, si bien qu'il est peu probable que de nouvelles occasions se présentent qui soient dignes d'attention; pourtant, les particuliers sont encore désireux d'épargner.
Il est donc essentiel que l'État fasse des dépenses et endosse un déficit perpétuel. Les effets émis pour financer ce déficit alimenteront l'épargne privée, tandis que les dépenses gouvernementales garantiront l'emploi.» (Capitalisme et liberté, Robert Laffont, Paris, 1971, Friedman, M., p., 100)

Même la fumigation n'arriverait pas à nous défaire de ces envahissants New Dealers. Ils arrivent toujours avec une nouvelle théorie, toutes aussi discutables les unes que les autres, afin de justifier leurs funestes interventions:

«Plus récemment, on a voulu voir dans ces dépenses une espèce de «balancier»: que les dépenses privées déclinent pour une raison ou pour une autre, alors les dépenses publiques doivent monter, de manière à maintenir stable le total des dépenses; à l'inverse, quand les dépenses privées augmentent, les dépenses publiques doivent baisser. Malheureusement, le balancier est, si l'on peut dire, déséquilibré. À chaque récession, fût-elle mineure, le délicat sens politique des législateurs et des administrateurs est alerté -- car ils craignent toujours qu'il s'agisse en l'espèce du signe avant-coureur d'un nouveau 1929-1933-- et ils s'empressent de lancer des programmes de dépenses. Au vrai, nombre de ces programmes ne prennent effet qu'après que la récession a disparu, et ils tendent donc, dans la mesure où ils affectent les dépenses totales, à exacerber l'expansion qui suit plutôt qu'à atténuer la récession. En outre, si l'on se hâte d'approuver ces programmes, on met beaucoup moins de zèle à les abroger ou à en supprimer d'autres une fois la récession passée et l'expansion en bonne voie. Au contraire, on soutient alors qu'une expansion «saine» ne doit pas être «compromise» par une réduction des dépenses de l'État. Par conséquent, le mal le plus grand qui résulte de la théorie du «balancier» tient, non pas à son échec patent dans le combat contre la récession, non pas aux penchants inflationnistes qu'elle a indiscutablement introduits dans la politique gouvernementale, mais au fait qu'elle n'a cessé de favoriser l'élargissement du champ d'activité du pouvoir fédéral et qu'elle a interdit toute réduction du fardeau des impôts fédéraux.» (p., 101)

Tellement désireux de se mêler de ce qui ne les regardent pas, les New Dealers s'obstinent à ne pas comprendre qu'ils pourraient articuler leurs interventions sur la gestion des impôts plutôt que sur celle des dépenses. Là, au moins, ils ne brimeraient pas la liberté et ils auraient en plus une chance de générer de la richesse:
«Dût-on même accepter l'opinion selon laquelle le budget fédéral doit et peut être utilisé comme un balancier, qu'il ne serait pas nécessaire de se servir pour cela du secteur des «dépenses» de ce budget, car on disposerait également des mécanismes fiscaux. Une baisse du revenu national réduit automatiquement, et cela dans une plus grande proportion, les revenus fiscaux du gouvernement fédéral et fait donc prendre au budget le chemin du déficit; c'est l'inverse qui se produit lors d'un boom. Si l'on veut aller plus loin, il est loisible de diminuer les impôts durant les récessions et les augmenter durant les expansions. Naturellement, la politique peut aussi très bien intervenir ici dans le sens de l'asymétrie, et rendre les diminutions politiquement plus acceptables que les augmentations.» (p., 102)

De cette façon, nous pourrions stopper l'envahissement inexorable des pouvoirs publics. Et, cela serait suivi d'un vent de prospérité fort bienvenu:
«Les choses pourraient être aujourd'hui fort différentes si la théorie du balancier avait été appliquée aux impôts plutôt qu'aux dépenses. Supposons qu'à chaque récession on ait assisté à une réduction des impôts et qu'à chaque expansion l'augmentation des impôts ait été impopulaire au point de susciter la résistance aux nouveaux programmes de dépenses et l'amputation des programmes existants: peut-être serions-nous à présent dans une situation où les dépenses fédérales absorberaient une bien plus petite partie du revenu national qui, de par la réduction des effets déprimants et paralysants des impôts, serait lui-même plus important.» (p., 103)

Alors, si tout cela est si évident, comment se fait-il que nous embrassions aussi aveuglément les théories keynésiennes? Cette question appelle heureusement une réponse simple. Nos malheurs viennent du fait que l'intelligentsia a été pervertie par la sorcellerie du New Deal:
«Si la théorie du balancier a dans la pratique été appliquée aux dépenses, c'est en raison de l'existence d'autres forces qui poussent à l'augmentation des dépenses gouvernementales --en particulier, de l'adoption générale par les intellectuels de la croyance selon laquelle il faut que l'État joue un plus grand rôle dans les affaires économiques et privées. En d'autres termes, c'est en raison du triomphe de la philosophie du Welfare State, philosophie qui a trouvé un allié précieux dans la théorie du balancier. Elle a permis à l'intervention gouvernementale d'avancer d'un pas plus rapide que cela n'aurait été possible autrement.» (pp., 102-103)

Alors, voyons, la théorie du balancier serait donc énormément plus acceptable si on l'appliquait aux impôts plutôt qu'aux dépenses? Oui et non. À défaut du meilleur, il faut bien souvent se contenter du mieux. Et, si les gouvernements ne peuvent s'empêcher de jouer les Jos Touchatout, qu'ils le fassent au moins du côté des impôts...de préférence en les réduisant:
«Je me hâte d'ajouter qu'en formulant ce rêve, mon intention n'est pas de donner mon aval à la théorie du balancier: car en pratique, même si les effets résultant de l'application de cette théorie allaient dans le sens attendu, ils seraient différés dans le temps et insatisfaisants par leur ampleur. Pour en faire un contrepoids efficace aux forces génératrices de fluctuations, il nous faudrait être capables de prévoir ces fluctuations longtemps à l'avance. En politique fiscale comme en politique monétaire, et toutes considérations «politiques» mises à part, nous n'en savons simplement pas assez pour pouvoir utiliser comme un mécanisme sensible de stabilisation les changements délibérés apportés à la fiscalité ou aux dépenses. Si nous cherchons à le faire, nous sommes presque assurés d'aggraver la situation.
Nous l'aggravons, non par je ne sais quelle constance nous mettrions dans l'erreur -- il serait facile d'y porter remède en faisant simplement le contraire de ce qui d'abord avait paru devoir être fait -- mais en introduisant dans le processus une perturbation qui doit beaucoup au hasard et qui ne fait que s'ajouter aux autres perturbations.» (p., 103)

Est-ce à dire, donc, qu'il ne resterait plus que la politique monétaire pour aplanir les pénibles aléas du cycle économique? Absolument pas! L'incompétence des gouvernements est vérifiable à tous les niveaux:
«En politique fiscale, donner sa contrepartie à la règle monétaire, ce serait entièrement planifier les programmes de dépenses en fonction de ce que la communauté est désireuse de faire par l'intermédiaire du gouvernement; de fixer les taux d'imposition de façon à garantir des rentrées suffisantes pour couvrir chaque année la moyenne des dépenses planifiées; et d'éviter d'introduire des changements désordonnés en matière de dépenses ou d'impôts. Tout cela sans se soucier des modifications subies d'une année sur l'autre par la stabilité économique» (p., 104)


Un bon gouvernement, donc, est un gouvernement qui ne fait rien ou, à la limite, le moins possible? Dans un monde idéal, oui. Alors toutes ces dépenses keynésiennes pourraient être interrompues et nous ne nous en porterions que mieux? Tout à fait. En voici d'ailleurs la preuve:
«Supposons, nous dit cette analyse, que les dépenses de l'État augmentent de 100 dollars et que les impôts ne soient pas modifiés. Pour commencer, ceux qui reçoivent les 100 dollars supplémentaires verront leur revenu s'accroître d'autant. Ils en économiseront une partie, disons un tiers, et dépenseront les deux tiers restants. Ce qui signifie qu'un autre recevra ensuite un supplément de revenu de 66 2/3 dollars. Ce dernier, à son tour, en économisera une partie et dépensera l'autre; et ainsi de suite dans une succession infinie. Si, à chaque étape, un tiers est économisé, et deux tiers sont dépensés, alors les 100 dollars de dépenses supplémentaires du début aboutiront à une augmentation du revenu de 300 dollars. Cela est la simple analyse keynésienne, avec un multiplicateur de 3. Bien sûr, s'il n'y a qu'une injection, les effets s'éteindront bientôt et au saut initial de 100 dollars succédera pour le revenu un déclin graduel jusqu'au niveau du départ. Mais, si l'on augmente constamment les dépenses gouvernementales de 100 dollars par unité de temps, -- disons 100 dollars par an-- , alors le revenu restera plus élevé de 300 dollars par an.» (p., 105)

Et, en quoi ce raisonnement serait-il hérétique, alors? C'est de la fabulation. Le modèle keynésien n'a rien à voir avec la réalité. Il ne produit les effets voulus que dans des circonstances tellement rares qu'il ne vaut pas la peine que l'on s'y arrête. En fait, même lorsqu'il donne des résultats, il engendre de l'inflation qui dilue d'autant le bénéfice que l'on en retire. Il suffit d'ailleurs de le retourner un peu pour réaliser l'ampleur du mirage qui résulte de ces théories:
«Supposons que ce soit à quelque chose que les individus obtenaient auparavant par eux-mêmes: disons, par exemple, qu'ils payaient 100 dollars le droit d'entrer dans un parc; ce qui couvrait les salaires des personnes préposées à l'entretien. Supposons que le gouvernement prenne ces frais à sa charge et permette au public de pénétrer «gratis» dans le parc. Les préposés reçoivent toujours le même salaire, mais ceux qui payaient les droits d'entrée disposent maintenant de 100 dollars. Même au stade initial, la dépense gouvernementale n'ajoute pas 100 dollars au revenu des particuliers; elle permet simplement à certains d'utiliser ces 100 dollars à d'autres fins que l'entrée dans le parc, fins, présumons-le, auxquelles ils attachent moins de valeur. On peut s'attendre, puisqu'ils bénéficient gratuitement des services du parc, qu'ils dépenseront une moindre partie de leur revenu total pour acquérir des biens de consommation. Quelle sera l'importance de cette diminution, il n'est pas aisé de le dire. Même si nous convenons que, comme dans l'analyse keynésiennne, les gens économisent le tiers de leur revenu supplémentaire, il ne s'ensuit pas que lorsqu'ils reçoivent «gratis» un ensemble de biens de consommation, ils consacrent les deux tiers de l'argent libéré à l'achat d'autres biens de consommation. Une possibilité extrême est évidemment qu'ils continuent d'acheter la même quantité de biens de consommation qu'avant et qu'ils ajoutent à leurs économies les 100 dollars de supplément. Dans ce cas, même dans l'analyse keynésienne, l'effet des dépenses de l'État est est entièrement compensée: les dépenses publiques montent de 100 dollars et les dépenses privées baissent d'autant.»(pp., 105-106)

Oui... les dépenses publiques augmentent de 100 dollars...Est-ce que ce ne sont pas les revenus de l'État qui diminuent de 100 dollars? Si on veut. Maintenant, si ces 100 dollars faisaient partie du budget de divertissement des consommateurs qui utilisaient les services du parc, n'est-il pas raisonnable de conclure qu'ils utiliseront cette somme dans d'autres formes de divertissement, comme aller à quelques matchs de base-ball, par exemple? Si on veut. Alors la probabilité que les 100 dollars soient dépensés est relativement bonne? Si on veut. Maintenant, pour augmenter cette probabilité, imaginons que les frais assumés par le gouvernement touchent un service de santé, l'argent ainsi libéré ne passerait-il pas directement au budget de divertissement de ce contribuable? Oh, on ne discrédite pas quelqu'un en donnant des exemples qui lui sont favorables. Logique. Enfin, pourquoi un individu économiserait-il inévitablement une somme de 100 dollars prise en charge par le gouvernement sur les droits d'entrée à un parc et dépenserait-il avec abandon la même somme lui arrivant d'une diminution d'impôt? Non, non, ce qu'il faut comprendre c'est que le contribuable investit les montants économisés en impôts.
Très bien, alors poursuivons avec un exemple encore plus convaincant, comme la construction d'une route. Les keynésiens sont généralement très friands de ce genre de dépenses. Malheureusement, elles sont toutes aussi inutiles que les autres:
«...les 100 dollars peuvent être utilisés au tracé d'une route qu'une entreprise privée aurait autrement construite ou dont l'existence peut rendre inutile la répartition des camions de cette même firme. Celle-ci dispose donc des fonds libérés, mais il est probable qu'elle n'en consacrera pas la totalité à ce qui représente des investissements moins alléchants. En pareil cas, les dépenses du gouvernement ne font que détourner les dépenses privées, et à la fin, le multiplicateur n'agit que sur le seul excédent net des dépenses publiques. De ce point de vue il est paradoxal que, pour être certain qu'il n'y aura pas de détournement, il faille faire dépenser son argent à l'État pour quelque chose de tout à fait inutile. Cela montre à l'évidence qu'il y a dans l'analyse keynésienne quelque chose qui ne va pas.» (pp., 106-107)

Donc, l'entreprise privée s'occupe de tout ce qui est utile et vaut la peine d'être entrepris? Absolument. Donc, chaque fois que l'État fait quelque chose d'utile, il prend la place de l'entreprise et donne lieu à un insidieux détournement des ressources du secteur privé vers le secteur public? Cela relève de l'évidence. Est-il fréquent que l'entreprise privée prenne à sa charge et de son propre chef, sans le concours de l'état, la construction d'une route destinée à l'usage public? Chaque fois que cela est utile et rentable.
Friedman s'efforce manifestement de faire flèche de tout bois et tire dans toutes les directions. Même au plan de leur financement, donc, les dépenses publiques ont quelque chose de répréhensible et de contre-productif. Il aborde la question sous deux angles, celui du financement par emprunt et celui du financement par augmentation de la masse monétaire. Autrement dit, le gouvernement peut lancer une émission publique d'obligations ou les faire acheter par la Banque centrale. Il n'élabore cependant que sur le premier cas. Et, il le fait avec un exemple qui de son propre aveu ne comporte pas d'effets de détournement. Dans une telle situation, explique-t-il, la masse monétaire en mains privées ne change pas. Le gouvernement emprunte d'un groupe d'individus et refile l'argent à un autre groupe d'individus:
«L'analyse keynésienne suppose implicitement que l'emprunt n'a aucun effet sur les autres dépenses. Il y a certes deux situations extrêmes où cela peut se présenter. On peut d'abord supposer que les particuliers sont parfaitement indifférents à la nature de ce qu'ils détiennent, argent ou obligations: les obligations nécessaires pour produire 100 dollars peuvent alors être vendues sans que les acheteurs se voient offrir un intérêt plus élevé qu'auparavant...En jargon keynésien, on est en présence d'un liquidity trap, et les gens achètent les obligations avec de l'argent oisif. Si ce n'est pas le cas -- et il est clair que ce ne peut l'être indéfiniment--, alors le gouvernement ne pet vendre ses obligations qu'en offrant un taux plus élevé. Il faudra donc que les autres emprunteurs paient eux aussi un taux plus élevé. Celui-ci découragera en général les emprunteurs potentiels de se livrer à des dépenses privées. C'est là qu'intervient la seconde des deux situations dans lesquelles l'analyse keynésienne est valide: celle où les emprunteurs potentiels sont si décidés à dépenser qu'aucune élévation du taux d'intérêt , aussi exorbitante soit-elle, ne peut réduire leurs dépenses, ou, en jargon keynésien, celle où le taux d'utilité marginale de l'investissement est parfaitement inélastique en ce qui touche le taux d'intérêt.» (pp.,107-108)

Donc, les dépenses keynésiennes ne sont pleinement efficaces que dans les cas d'un liquidity trap ou de l'inélasticité de la demande de crédit au niveau des taux d'intérêt? Exact, sinon il y a effet de compensation entre les dépenses publiques et les dépenses privées:
«Si aucune de ces hypothèses n'est la bonne, l'augmentation des dépenses de l'État sera donc compensée par une baisse des dépenses privées, de la part, soit de ceux qui prêtent les fonds au gouvernement, soit de ceux qui auraient autrement emprunté ces mêmes fonds. Dans quelle mesure la hausse des dépenses sera-t-elle compensée? Cela dépendra de ceux qui détiennent l'argent. L'hypothèse extrême, implicite en stricte théorie quantitative de la monnaie, est que la quantité d'argent que les gens sont désireux de détenir ne dépend en moyenne que de leur revenu et non du taux d'intérêt qu'ils peuvent obtenir sur des obligations et sur des valeurs analogues. Dans ce cas, comme la quantité totale de monnaie est la même avant et après, le revenu monétaire total devra aussi être le même si l'on veut que les gens soient satisfaits de détenir cet argent. Cela signifie que les taux d'intérêt devront monter suffisamment pour empêcher des dépenses privées d'un montant exactement égal à celui de l'accroissement des dépenses publiques. Ici, on ne saurait dire en aucun sens que les dépenses de l'État sont expansionnistes. Le revenu monétaire lui-même n'augmente pas, pour ne rien dire du revenu réel. Tout ce qui se passe, c'est que les dépenses gouvernementales montent et que les dépenses privées baissent. » (pp., 107-108)

Donc, ceux qui prêtent au gouvernement auraient nécessairement dépensé leur argent, n'eut été de cette demande publique de crédit? Aussi vrai que la terre est ronde. Alors, le concept d'épargne n'existe pas. La terre n'est pas parfaitement ronde, vous savez. Et, à chaque fois que le gouvernement emprunte un montant quelconque, il prive un acteur privé de sommes que ce dernier aurait pu emprunter lui-même pour les dépenser à des fins sûrement très utiles? Aussi vrai que deux et deux font quatre. En aucun cas, non plus, cet acteur privé ne pourrait être susceptible d'emprunter pour spéculer sur les ressources naturelles, générant ainsi de l'inflation, ou sur un indice boursier étranger? Malgré leur réputation, les spéculateurs ont un effet fort stabilisateur sur les marchés, vous savez. Maintenant, sachant que la quantité de monnaie que les individus sont disposés à garder dépend avant tout de leur revenu, faut-il conclure que seuls les emprunts gouvernementaux entraînent de fâcheuses hausses de taux? Oh, il ne faut pas fendre les cheveux en quatre. Maintenant, si la dépense publique prend la forme d'un transfert au bénéfice d'un individu qui dépense une partie de l'argent reçu, n'y-a-t-il pas automatiquement augmentation des dépenses privées? Dans de rares cas, oui. Mais, cela n'est pas vrai dans tous les cas:
«Plus les particuliers montreront de constance touchant la part de revenu qu'ils veulent consacrer à la consommation ou à l'achat de biens d'investissement, et cela sans considération de coût -- et plus le résultat sera proche du cas extrême d'une augmentation de revenu de 300 dollars. De même, plus déterminés seront les détenteurs d'argent quant au rapport qu'ils veulent maintenir entre leur encaisses et leurs revenus, et plus le résultat sera proche du cas extrême où, selon la théorie quantitative, on assiste à aucune modification du revenu. Dans quel sens le public penche-t-il, c'est là une question empirique qu'il faut trancher d'après les données de fait,et non pas quelque chose dont on puisse décider par la seule raison.» (pp., 109-110)


Oui, alors prenons deux cas, celui, d'une part, du travailleur qui se retrouve sans emploi suite à une délocalisation et qui reçoit une allocation de chômage de 500 dollars, et, d'autre part, celui du millionnaire qui bénéficie d'une baisse d'impôt de 500 dollars. Lequel des deux est le plus susceptible de dépenser son revenu additionnel à la consommation? Voilà un exemple bien insidieux, mais sachez que les études empiriques ne pointent pas dans cette direction. Elles montrent plutôt une compensation des dépenses privées et une augmentation de l'inflation.
Friedman caricature le modèle keynésien. À la base, les théories keynesiennes visent à redonner leur pouvoir d'achat à ceux qu'un creux économique a laissés sans ressources. Autrement, l'économie trouverait un nouvel équilibre, laissant derrière elle des hordes de chômeurs incapables de subvenir à leurs besoins. Certes, les interventions keynésiennes ont pour effet d'élargir le rôle des gouvernements, ce qui a pour effet secondaire de permettre la formation de dangereuses concentrations de pouvoir. Les craintes néolibérales concernant l'érosion des libertés aux mains des concentrations de pouvoir ne sont pas nécessairement indues. Mais, il devrait y avoir moyen de lisser les aléas du cycle économique sans glisser dans le totalitarisme étatique.
À tout événement, la prochaine fois, nous aborderons un cas pratique d'application des théories de Milton Friedman, celui de la gestion de la débâcle de 1929 par le président Hoover (Herbert). Ce faisant, nous comparerons l'approche de Hoover à celle de Roosevelt (Franklin D.). Évidemment, des liens seront établis entre cette époque, 1929-1938, et la crise contemporaine.


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