Elle est la dernière goélette à voile du Saint-Laurent et incarne à elle seule tout un pan de l'histoire de la navigation au pays. C'est pourtant un Canadien d'origine suisse, Didier Épars, qui a entrepris, en 1992, de sauver et remettre à flot la goélette Grosse-Île. Un travail colossal, une aventure de 20 ans, sans la moindre aide gouvernementale.
Pour voir la vidéo sur votre appareil mobile, cliquez ici.
Elle a fière allure, avec son pont luisant en bois, ses grandes voiles qui claquent au vent et ses cordages de bateau de pirate. Lorsque le capitaine, Didier Épars, accueille les visiteurs à bord, pour une petite croisière sur le fleuve, les passagers des autres bateaux n'en croient pas leurs yeux et la prennent en photo.
Ce n'est pas fréquent en effet de croiser, dans le courant Sainte-Marie, à Montréal, un navire qui aurait pu servir à Samuel de Champlain. « Champlain, quand il vient ici, un des bateaux qui l'accompagne a cette grandeur-là », raconte Didier Épars. « La moitié de la batellerie québécoise avait cette dimension - 60 tonneaux. Alors ça reste extrêmement représentatif de toute la colonisation et de l'occupation du territoire par ces bateaux. »
Construite sur l'île d'Orléans en 1951 pour l'armée, sur un plan de coque du début du 20e siècle, la goélette Grosse-Île appartenait à la Couronne britannique. Elle ravitaillait l'île du même nom, dans l'archipel de Montmagny, près de Québec, au large de l'Île-aux-Grues.
Quand Didier Épars l'a acquise pour 30 000 $ en 1992, « elle était belle de loin, mais loin d'être belle! On a dû la refaire presque entièrement, chaque morceau à l'identique ». Tout l'accastillage est d'époque. Ce sont les accessoires qui, sur un voilier, servent au réglage du gréement et à la manœuvre des voiles.
Pour pouvoir embarquer des passagers, il a fallu mettre le navire aux normes de Transports Canada. « Un vrai roman, une saga kafkaïenne », sourit le capitaine. Lever tous les obstacles techniques et obtenir le certificat de navigation lui a pris 20 ans.
Il a pu mettre la goélette à l'eau pour la première fois cet été lors des Fêtes de la Nouvelle-France. Depuis, son plus long trajet a été Québec-Montréal, une trentaine d'heures par la voie fluviale, avec une vitesse de croisière de 6 nœuds.
Suisse d'origine, Didier Épars a appris la voile sur le lac Léman, à Genève. Il s'est installé au Québec à la fin des années 70. Conseiller et formateur technique, il a travaillé pour des industries, musées, navires-écoles et universités.
Dans sa quête de soutien financier, Didier Épars a frappé aux portes de tous les ministères fédéraux et provinciaux. En vain. Même le ministère québécois de la Culture est resté sourd à son argument de préservation du patrimoine maritime. Ironie du sort, après tous ses efforts de mise aux normes, il s'est fait reprocher d'avoir dénaturé la goélette. Une histoire de fou, qu'il se promet de raconter un jour dans un livre.
« On a laissé complètement le patrimoine aller à l'abandon », estime Didier Épars. Il cite la goélette Mont-Saint-Louis, sortie de l'eau en 1972. Elle se détériore au Musée des voitures d'eau de l'île aux Coudres, qui ne reçoit aucun soutien financier de l'État.
Le capitaine se console avec la reconnaissance internationale. L'European Maritime Heritage l'a invité à joindre ses rangs. Cette association réunit des propriétaires de 12 500 navires historiques européens. « Je suis le premier étranger accepté comme membre, je suis reconnu par les plus grands musées du monde, mais par personne ici. Ils ne comprennent pas la démarche. »
Ce reportage est diffusé le 11 octobre à l'émission Désautels le dimanche sur ICI Radio-Canada Première.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé