Dr Yossef Ben-Meir - Le peuple égyptien doit encore lutter pour renverser la force oppressante qui l'a marginalisé pendant des générations par le contrôle des budgets et du développement local exercé par l'État. L'administration centrale égyptienne consomme en effet la vaste majorité des ressources publiques, allouant à peine 15% aux dépenses des collectivités locales, c'est-à-dire moins de la moitié du pourcentage moyen qui y est consacré par les pays industrialisés. Les trois quarts des dépenses locales en Égypte sont destinés aux salaires et traitements, ne consacrant que 6% du montant restant aux dépenses locales d'équipement sur lesquelles les responsables locaux ont peu de latitude.
Le système centralisé égyptien ne permet pas aux populations de participer aux prises de décision et de hiérarchiser les ressources et les projets en fonction de leurs besoins. La centralisation, avec ses effets cumulatifs, contribue principalement à segmenter la société égyptienne avec des disparités économiques, régionales, sectorielles et entre hommes et femmes.
L'Égypte peut décentraliser l'autorité et accélérer le renforcement de la démocratie et du développement humain en adoptant la loi sur les collectivités locales attendue depuis longtemps. Ce projet de loi prévoit le transfert du pouvoir des gouverneurs non élus aux représentants des Conseils populaires locaux, qui seront alors chargés de gérer les unités administratives locales et la prestation du service public. Mais l'adoption de cette loi semble malheureusement exclue avec la dissolution du parlement égyptien. Toutefois, lorsque les institutions nationales seront en mesure de promulguer cette loi et qu'elles se seront inclinées devant les bouleversements, un environnement propice à la négociation sera instauré à travers le passage des lois et l'adoption de politiques décentralisant le pouvoir.
Le Conseil militaire suprême et les dirigeants égyptiens ne devraient pas commettre la même erreur que le régime évincé de Moubarak et rater l'occasion de contribuer à l'adoption de cette loi. Le cas du Maroc constitue la leçon de rechange. Le roi Mohammed VI parle régulièrement de décentralisation depuis plus de deux ans et sillonne constamment le pays, particulièrement depuis 2005 pour promouvoir des projets de développement humain. La crédibilité qu'il a acquise au fil des ans par son engagement personnel à l'égard de la participation du peuple et au développement façonne de manière vitale l'expérience relativement stable du Maroc pendant le printemps arabe.
Si la loi sur les collectivités locales et autres cadres de mise en oeuvre de la décentralisation ne sont pas adoptés en Égypte, une seconde résurgence populaire démocratique pourrait les édifier à partir de la base. Pour qu'un peuple bâtisse activement une société forte, des réunions communautaires doivent être organisées dans les villages, les villes et les quartiers périphériques pour permettre aux populations locales d'identifier, puis d'élaborer et de gérer des projets de développement qui améliorent leurs vies. Le développement local, basé sur une approche démocratique, peut rendre la décentralisation opérationnelle en traduisant dans la réalité les caractéristiques essentielles de ce développement, comme le renforcement des compétences critiques et la confiance de la population, ainsi que la création au niveau local de nouveaux partenariats fédérateurs et des organisations démocratiques et devenir le ciment de la structure décentralisée.
Ce type de résurgence démocratique évolue à un rythme accéléré. Le contrôle communautaire de projets destinés pour que ses membres en tirent parti plus rapidement sur le plan économique que le contrôle décentralisé répond à divers besoins humains prioritaires dans différentes régions du pays.
Les groupes révolutionnaires égyptiens devraient trouver un moyen de regrouper à nouveau leurs efforts pour créer une organisation civile nationale dédiée au développement et à la démocratie qui inverse le contrôle imposé d'en haut. Avec le réseau de ses fondateurs, cette organisation non gouvernementale:
1) établirait des agences à chaque niveau administratif, dans les 29 gouvernorats, districts et unités administratives locales, et
2) forgerait des partenariats horizontaux et verticaux public-privé qui stimulent le développement de proximité et développe un système décentralisé.
La décentralisation est préconisée par un éventail de groupes politiques et sociaux, notamment les Frères musulmans égyptiens et pourrait unifier les liens qui les lient. La participation du peuple à la prise de décision pour améliorer les conditions sociales est un principe global social et politique durable qui relates directement aux concepts musulmans de la: la shûrâ (concertation dans la gouvernance impliquant la communauté dans toutes les affaires); la oumma (communauté musulmane, intégrée et diversifiée à travers le monde et basée sur la justice sociale à travers la cohésion et la coopération) ; la beïa (dirigeants responsables) et le tawhid (une société qui reconnaît l'indivisibilité de l'humain).
L'incroyable courage de la jeunesse égyptienne engendré par sa foi enthousiaste en la justice et l'ingéniosité dont elle a fait preuve pendant les soulèvements sont des qualités qui ont été globalement attribuées à la réussite des jeunes comme facilitateurs du changement social. Le personnel des organes locaux, regroupé au sein d'une organisation nationale unifiée, devrait comprendre le plus possible de jeunes, en particulier à des postes impliquant une interaction avec les communautés locales. Les membres d'une organisation unifiée appliqueront vraisemblablement dans des projets futurs, notamment dans le domaine politique, les connaissances et compétences acquises tout en contribuant au difficile et fluide processus visant à donner le pouvoir aux citoyens et aux collectivités.
Dr Yossef Ben-Meir
Sociologue, l'auteur est spécialisé en développement. Il est établi à Casablanca.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé