La forêt imaginaire

Industrie forestière en crise



Imaginez une forêt quasiment dans votre cour arrière. Une forêt où, ces 30 dernières années, les travaux d'aménagement et de reboisement soutenus par l'État ont fait grimper de 33 % la possibilité forestière en résineux, une forêt si productive, en fait, qu'elle pourrait même encore accroître sa production à l'hectare. Une telle forêt serait en mesure de contribuer à l'atténuation des problèmes d'approvisionnement de l'industrie forestière, qui n'en finit plus de monter au nord pour couper des arbres toujours plus rachitiques. Cette forêt idéale serait bien sûr située à côté des scieries et des papetières qu'elle alimenterait.
Imaginez cette forêt cultivée par des dizaines de milliers de petits propriétaires qui, avec un soutien judicieux, auraient à coeur de l'entretenir, de la «jardiner», de la faire fructifier. Des gens qui sauraient faire pousser des arbres aussi bien que les Brésiliens et les Suédois, passés maîtres en la matière. Des producteurs forestiers qui arriveraient à obtenir des forêts récoltables en 20 ans à peine grâce à leur savoir-faire et à l'expertise développée chez nous.
Imaginez, en prime, que cette forêt-là serait au coeur de nos communautés rurales, qu'elle participerait activement à leur vitalité socioéconomique, non seulement en raison des volumes de bois qu'elle fournirait mais aussi par des fonctions comme l'acériculture, la chasse, la pêche, le plein air, etc.
Du rêve à la réalité
Imaginez encore que cette même forêt, avec les pratiques forestières dont elle ferait l'objet de la part de ses propriétaires, correspondrait aux valeurs les plus actuelles de notre société. La récolte des arbres s'y ferait à petite échelle en s'assurant de maintenir en permanence un couvert forestier. Les activités de coupe et de sylviculture qu'on y pratiquerait auraient des impacts environnementaux positifs et assureraient le développement des différentes ressources dans les boisés tout en contribuant aux revenus de milliers de familles rurales. Imaginez, en somme, que cette forêt serait une solution de rechange «durable» à l'exploitation commerciale d'une matière ligneuse boréale toujours plus mince.
Imaginez enfin qu'il existerait, pour assurer un marché aux propriétaires de ces forêts, un principe dit de «résidualité» enchâssé dans une loi, qui exigerait des grands industriels forestiers qu'ils utilisent d'abord le bois de celles-ci avant de prendre celui qui se trouve sur les terres publiques. Imaginez que le gouvernement veillerait scrupuleusement au respect de ce principe, histoire d'éviter que ces mêmes industriels se retrouvent dans une situation d'accès privilégié à une ressource dite «publique» qui leur permettrait de faire casser les prix au détriment de... citoyens. Et, pour s'en assurer davantage, que ce gouvernement établirait la valeur du bois des forêts publiques afin de ne pas créer de concurrence déloyale qui fait que, parfois, le bois de l'«autre» forêt s'accumule et pourrit le long des chemins forestiers.
Cette forêt-là n'est pas imaginaire, elle existe... sauf, semble-t-il, aux yeux du gouvernement provincial actuel, qui fait la sourde oreille aux milliers de propriétaires de boisés privés du Québec. Qui lui demandent en vain de faire respecter le principe de résidualité. Qui n'ont rien obtenu de tangible dans son plan de relance du secteur pour les aider à traverser la crise actuelle. Qui assistent, comme en Abitibi à l'heure actuelle, au jeu peu scrupuleux des industriels forestiers qui refusent d'acheter leur bois, à moins qu'ils ne baissent les prix, jouant ainsi avec leur gagne-pain. Qui appréhendent que le ministre des Ressources naturelles, cédant aux pressions (y compris celles du Parti québécois), accepte de baisser le niveau des redevances forestières. Qui déplorent, à la veille du Sommet sur l'avenir du secteur forestier, que la forêt publique soit si «mal aimée».
Imaginez leur déception, eux qui s'étaient fait dire par le chef libéral Jean Charest pendant la dernière campagne électorale: «J'ai entendu les propositions que vous m'avez faites; je suis prêt à m'asseoir avec la Fédération des producteurs de bois du Québec pour les analyser.» Était-ce imaginaire?
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Laurent Pellerin, Président de l'Union des producteurs agricoles (UPA)
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