Au cours des prochains jours, le gouvernement Trudeau devra annoncer s’il va de l’avant dans le dossier Teck Frontier.
Le soir de son élection comme député libéral, une journaliste a demandé à Steven Guilbeault de réagir, en direct, à ce moment d’importance pour lui. Comme il apprenait la chose en direct, il s’agissait là de sa réaction initiale à titre de nouvel élu.
La chose m’avait étonné à l’époque et je l’avais noté; d’entrée de jeu, avant même que le dossier ne soit abordé, Guilbeault avait tenu à spécifier que «l’expansion de l’oléoduc Trans Mountain était déjà approuvée et qu’il fallait regarder au-delà de ce dossier spécifique».
ÉCOUTEZ le commentaire de Steve E. Fortin à l'émission Politiquement incorrect sur QUB Radio:
Avait-il négocié son droit à la dissidence pour cet oléoduc en particulier? Tenait-il à aller au-devant des coups à venir, lui, caution environnementale pour le Parti libéral du Canada, ne voulant pas être questionné sans cesse à propos de ce projet qui va à l’encontre de toute logique environnementale?
On sentait le malaise quand même.
Le même genre de malaise que provoquent les questions posées à Steven Guilbeault concernant le prochain projet de gaz bitumineux dans le pipeline de l’industrie... Teck Frontier.
Steven Guilbeault cache mal sa gêne...
La semaine dernière, le ministre du Patrimoine a été rattrapé par l’actualité environnementale. Si le dossier Teck Frontier reçoit peu de presse au Québec, c’est différent ailleurs dans le Rest of Canada.
Appelé à commenter cette question délicate pour son gouvernement, Guilbeault a semblé agacé:
«Le ministre du Patrimoine et ex-écologiste notoire Steven Guilbeault cache mal sa “gêne” à se prononcer publiquement sur le bien-fondé ou non du mégaprojet d’exploitation de sables bitumineux Teck Frontier.
«Cette gêne-là m’empêche de vous en parler à vous, publiquement, mais ça ne m’empêche pas d’en parler avec mes collègues au caucus ou au conseil des ministres», a lancé M. Guilbeault, lundi, en mêlée de presse à Montréal.
On parle ici d’un projet qui serait chiffré à 20 milliards de dollars et qui générerait, à terme, 260 000 barils de pétrole bitumineux par jour. Et 4,1 mégatonnes de gaz carbonique par année.
Pour certains politiciens de l’Ouest canadien, comme le premier ministre de l’Alberta Jason Kenney, l’approbation de ce projet est une question d’unité nationale. Rien de moins.
Dans une lettre de quatre pages envoyée au gouvernement fédéral, le premier ministre albertain sert une mise en garde équivoque à Justin Trudeau:
« Le rejet de [Teck Frontier] aurait des effets dévastateurs sur l'économie de l'Alberta et du Canada et sur les relations fédérales-provinciales. »
Les arguments de «l’unité nationale» et du «sentiment d’aliénation de l’Ouest» sont utilisés comme leviers implacables par les promoteurs de l’industrie pétrolière. On cherche ainsi à imposer ces projets comme s’ils devaient faire partie de la nature même de l’identité du pays, du moins une composante de sa prospérité, laquelle assure son mode de vie, assurément. Les politiciens de l’Alberta aiment bien le rappeler.
Le nation building se développe à coup de projets pétroliers qui court-circuitent une large part des efforts environnementaux (et des beaux discours) des politiciens et de la population du pays.
La «gêne» de Steven Guilbeault, c’est beaucoup ça. C’est le fait de réaliser que ce pays est un État pétrolier. Qu’être membre de ce gouvernement, c’est participer à la gouvernance d’un État pétrolier.
Qu’être ministre du Patrimoine du Canada, c’est être un pion capital de la glorification de cet État pétrolier. Ironique destinée pour cet environnementaliste que de se retrouver à être le porte-étendard du Canada quand même.
De ce Canada-là.
«L’élixir maudit du dysfonctionnement politique — le pétrole»
De ce Canada que le prestigieux Foreign Policy décrivait de la manière suivante quand Stephen Harper en était le premier ministre:
«Au cours de la dernière décennie, le Canada s’est transformé, de manière pas si discrète, en un épicentre minier et gazier international, en un pétro-État voyou . Ce n'est plus ce que l’on percevait jadis comme la meilleure moitié de l'Amérique, mais plutôt une vision dystopique d’un avenir imprégné de l’énergie fossile du continent [...].
« Le bon voisin de jadis a misé sur son élixir maudit de dysfonctionnement politique - le pétrole . Le tout encouragé par cette vision de devenir une superpuissance énergétique mondiale, le gouvernement du Canada s’est rangé du côté des évangélistes des pipelines, des intimidateurs du pétrole et des sceptiques du changement climatique. Il s'avère que le Boy Scout [référence au premier ministre Harper] n'est pas seulement accro au brut indésirable — il en est devenu un recéleur.»
Voilà pourquoi Steven Guilbeault ressent de la «gêne» quand il est confronté aux questions concernant l’industrie pétrolière.
Voilà pourquoi les gens du Pacte devraient, eux aussi, être gênés de faire circuler leur dernière pétition contre Teck Frontier. Au moins un peu. Eux qui en appelaient, tacitement, à livrer Laurier—Sainte-Marie aux libéraux. Aujourd’hui, ce comté étant représenté par celui-là même qui doit faire la promotion du Canada.
Rappel utile: le premier geste de «gouvernance» fait par Justin Trudeau, à quelques jours de son élection en 2015, quand il était devenu évident qu’il serait élu, fut d’envoyer son bras droit Dan Gagner rassurer discrètement l’industrie pétrolière. Sur la manière d’approcher le nouveau gouvernement.
Justin Trudeau n’est pas Stephen Harper, c’est l’évidence. Mais le chef libéral n’a pas transformé le Canada. Il n’a pas renversé la vapeur, il ne s’est pas extirpé des sables gluants de cet élixir maudit.
Et le Canada est, aujourd’hui plus que jamais, un manifeste de dysfonctionnement politique. Le dossier Teck Frontier en est un parfait exemple. Peu importe la décision que prendra le gouvernement, il y aura crise et mécontents...