Il suffit d’observer le contraste entre la gestion de la manifestation des camionneurs à Ottawa et à Québec pour comprendre que la crise qui frappe le Canada n’était pas fatale.
Alors qu’Ottawa a accueilli les camionneurs avec un mélange d’effroi, d’arrogance et de naïveté, Québec a su respecter le droit des manifestants sans leur permettre de prendre en otage la ville.
C’est ce qu’on appelle le doigté politique. Il suppose que les dirigeants connaissent leur peuple, et ne réduisent pas ses inquiétudes à celles de tarés et d’abrutis.
Leadership
Cela dit, la crise est engagée, et on voit mal comment on s’en sortira à court terme.
Les manifestants d’Ottawa ne représentent assurément pas une majorité de la population, et leurs méthodes révoltent bien davantage qu’elles ne suscitent l’adhésion et l’admiration.
Mais ces manifestants expriment néanmoins de manière caricaturale et brutale un ras-le-bol aussi présent chez les gens bien élevés, qui ne passent pas leur vie à klaxonner sous les fenêtres des Ottaviens.
Eux aussi considèrent que le temps des confinements est pour de bon terminé, quelles que soient les raisons avancées pour justifier d’une manière ou d’une autre le maintien des mesures sanitaires.
Justin Trudeau, dans cette crise, est en dessous de tout. Son autorité s’est liquéfiée en temps réel devant la population. C’est un chef faible, un chef flou, un chef mou.
Après un étonnant silence de plusieurs jours, inexplicable, même, il a refait apparition à la Chambre des communes, avec un discours tenant essentiellement sur deux points.
D’abord, nous en avons marre de la pandémie.
Très juste. Bien vu. Wow ! Puissant sociologue !
Ensuite, il gronde les manifestants d’Ottawa. Je veux bien. Mais ils sont là et ils ne quitteront pas l’espace qu’ils occupent simplement parce qu’on le leur demande.
Que veut-il faire alors ? Comment entend-il reprendre la situation en main ? Leader politique réclamé !
Problème supplémentaire : faut-il rappeler aux manifestants que les mesures sanitaires sont globalement décidées dans les provinces et que Justin Trudeau, même s’il le voulait, ne pourrait pas les abolir. Un minimum de culture constitutionnelle peut toujours servir quand on formule des revendications aux gouvernements.
Il faut résister à deux tentations, également nocives.
La première consiste à oublier que ce mouvement ne saurait se réduire à sa caricature. Quand on entend des politiciens et des commentateurs assimiler les manifestants à une bande de suprémacistes blancs, on doit les inviter à cesser de verser de l’huile sur le feu.
Manifestants
La deuxième consiste à prendre les manifestants pour l’expression militante du peuple en colère. Ils sont loin de représenter tout le monde. Les habitants d’Ottawa qui subissent leur présence représentent aussi le peuple.
Cela dit, toute crise qui dure dans le temps a tendance à empoisonner l’ensemble du corps social. Les fractures sociales se révèlent, les tensions idéologiques se radicalisent et les figures d’autorité fragilisées se décomposent sous nos yeux.
C’est ce qui arrive à Justin Trudeau, devant nous. Seuls ceux qui ne le connaissent pas en seront étonnés.
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