La guerre des titans pour l’hégémonie mondiale (1re partie de deux)

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L'ennemi des États-Unis, c'est la Chine et non la Russie

Donald Trump est le symptôme d’un malaise qui ébranle les fondements mêmes de l’Empire états-unien. Un empire mondial qui, depuis trois quarts de siècle, a fondé son hégémonie sur le système du libre commerce et du libre investissement à l’échelle planétaire.


Affolés par la montée en puissance de la Chine, qui s’est faufilée dans ce même système pour l’exploiter à son avantage, Trump et son entourage hésitent entre deux stratégies : ou laisser faire la main invisible du marché, ou faire intervenir la main visible de l’État dans l’économie de marché.


Foreign Affairs, la revue phare de la politique étrangère états-unienne, consacre, dans sa dernière livraison – septembre-octobre 2019 – un important dossier à cette question. La page couverture annonce un stupéfiant tournant : How a Global Trading System Dies. (« Comment un système commercial global meurt ») Un des articles s’intitule : « Trump à l’assaut du système commercial global ». Ses auteurs soulignent comment Trump, malgré ses frasques, ses improvisations et ses volte-face, n’a jamais dévié d’une certaine idée de l’économie états-unienne : « Après avoir fustigé le libre-échange durant la campagne électorale [de 2016], il a fait du nationalisme économique la pièce maîtresse de son agenda une fois au pouvoir ».


             


Naissance d’un nouveau pouvoir impérial fondé sur le libre commerce


L’idée de fonder l’ordre économique et géopolitique mondial sur le libre commerce a germé à Washington au tout début de la Seconde Guerre mondiale (1939-1945). Les élites états-uniennes, rassemblées autour du Council on Foreign Relations, comprennent que les puissances coloniales européennes vont sortir fatalement affaiblies de ce conflit fratricide. La conjoncture s’avère propice à la fondation d’un nouvel ordre économique et géopolitique mondial, conçu et mis en oeuvre par le seul pays capable d’en assumer le leadership : les États-Unis d’Amérique.


Le but est d’assurer la prospérité et la sécurité des États-Unis dans le monde de l’après-guerre. Comment ? Par le libre accès aux marchés, aux zones d’investissement et aux matières premières à l’échelle de la planète.


Il faudra donc éliminer le système de préférences commerciales dont bénéficient les puissances impériales européennes, depuis deux siècles. Cela signifie la fin des empires coloniaux. Au premier chef, la fin du vaste et glorieux British Empire.


C’est le président Roosevelt qui se chargera d’annoncer au premier ministre Churchill la fin de l’Empire britannique. En août 1941, au plus creux de la guerre, les deux grands et principaux leaders du monde libre se donnent rendez-vous sur les eaux de l’Atlantique, au large de Terre-Neuve. Ils viennent se concerter sur la réorganisation des affaires du monde dans l’après-guerre.


Après deux jours d’échanges sur divers thèmes, Roosevelt en arrive au point crucial : arracher à son vieil ami un déchirant renoncement. Il va droit au but : « Évidemment, une fois la guerre terminée, une des conditions d’une paix durable devra être la liberté de commerce la plus ample possible. Pas de barrières artificielles. Le moins possible d’accords préférentiels. Ouvrir les voies à l’expansion des marchés. Des marchés ouverts à une saine concurrence ». Churchill comprend que Roosevelt lui annonce la fin de l’Empire britannique. Le vieux lion se rebiffe. Mais comme il a besoin des États-Unis pour gagner la guerre, il s’incline[1].


Les bases d’un nouvel ordre mondial seront consignées dans la Charte de l’Atlantique rendue publique le 13 août 1941. L’article 4 traduit à la lettre la position de Roosevelt qui relaie les propositions du Council on Foreign Relations.



De Roosevelt à Obama, mise en œuvre de la doctrine libre-échangiste


Tous les présidents qui succéderont à Roosevelt, de Truman à Obama, assureront la continuité, en resserrant toujours davantage les règles disciplinaires du libre-échange :



Pourquoi Trump pousse l’Empire vers le point de bascule


Ainsi, les 12 présidents qui se sont succédé après Roosevelt ont tous assuré la continuité, en appliquant et renforçant les règles du libre commerce comme fondement de l’hégémonie états-unienne.


On pensait qu’aucun président ne pourrait s’écarter des politiques et des structures qui ont garanti et favorisé, au cours des 75 dernières années, cette domination impériale. Le 45e président des États-Unis s’est avisé de contester le système et de pousser l’Empire vers le point de bascule.


Ce n’est pas un hasard si le très compliqué système électoral états-unien a ouvert les portes de la Maison Blanche à ce milliardaire, à un moment charnière de l’histoire des États-Unis. Donald Trump n’a pas atterri à Washington en provenance d’une autre planète. Il est né et s’est formé dans les entrailles de cette nation qu’il veut protéger contre un système qui ne fonctionne plus à son avantage.


 C’est un peu court d’affirmer que Trump n’a aucune vision. Pour être élu, il a vu et pointé le problème qui affecte une grande partie de la classe ouvrière de ce pays. Il a vu que le fond du problème, c’est le libre-échange qui commande la dérèglementation et facilite la libre circulation des capitaux. Ce qui entraîne la délocalisation des entreprises manufacturières vers des pays à main d’œuvre abondante et bon marché.


D’ailleurs, Trump n’est pas seul. L’article du Foreign Affairs cité plus haut explique que même si les démocrates reprennent le pouvoir, ils ne déferont pas totalement ce que Trump aura fait :  « Il n’y aura pas de retour en arrière ».


Le basculement s’est amorcé lorsque la Chine a fait son entrée à l’OMC, en 2001, devenant ainsi membre à part entière du global trading system. Ce qui permet à l’Empire du Milieu de défier l’Empire états-unien sur son propre terrain.


Dans la deuxième partie de cette chronique, nous analyserons les objectifs et stratégies de la Chine dans cette guerre des titans pour l’hégémonie mondiale.



jacquesbgelinas.com


[1] Cette scène d’anthologie est rapportée en détail par Elliott Roosevelt, dans As I SawI it, New York, Duell, Sloan and Pearce, 1946, p. 35-42. Le fils du président assistait à ces échanges.