Dans le tourbillon entourant la soirée de commémoration de la tragédie de Québec, lundi dernier, un discours significatif est passé inaperçu, celui de Louiza Mohamed Saïd, veuve d’Abdelkrim Hassane, analyste programmeur au Centre de services partagés, tué dans l’attentat du 29 janvier 2017.
Pour la mémoire des défunts
Louiza n’était manifestement pas d’accord avec l’étirement de la commémoration sur quatre jours, comme l’a décidé le Centre culturel islamique de Québec, et souhaitait qu’on s’en tienne à une journée de célébration sobre en hommage aux défunts.
Visiblement émue, elle s’était résignée à prendre la parole en public malgré sa peine, pour rendre hommage à son mari et remercier les Québécois pour leur élan de générosité.
D’entrée de jeu, elle a tenu à faire ses salutations non seulement en français et en arabe, mais aussi en kabyle, sa langue maternelle et celle de son défunt mari (Azul Fellawen), de même que ses remerciements (Thanemirth).
Cette affirmation de son identité était importante pour elle, car lors des funérailles, le 2 février 2017, à l’aréna Maurice-Richard, à Montréal, le centre islamique qui s’était chargé de l’organisation des obsèques avait refusé qu’un adieu soit prononcé pour son mari dans sa langue maternelle.
Imaginez une famille québécoise qui ne peut prononcer un mot en français aux funérailles d’un des siens ! Un an plus tard, Louiza a trouvé les mots pour réparer un tel affront.
Il lui a fallu du courage pour dire publiquement qu’elle n’endossait pas la revendication du Centre culturel islamique de Québec de déclarer le 29 janvier Journée nationale contre l’islamophobie. « Je souhaite qu’on se rappelle les victimes. Que chaque année, cette date soit un jour dédié à leur mémoire et rien qu’à leur mémoire ! »
Merci Québec
Elle a aussi mis l’accent sur « la solidarité sincère des Québécois », exprimée, par un froid glacial « quelques heures à peine après l’horrible tragédie [...] Un tel élan de sympathie, de compassion si spontanée m’a fait sentir que j’étais entourée et m’a fait comprendre que je n’étais pas seule face au drame qui venait de me frapper de plein fouet », a-t-elle dit.
Tout en soulignant que « la plaie est toujours vive », elle n’a pas manqué d’exprimer sa reconnaissance pour l’« attention particulière » dont ont été entourées les familles endeuillées et leurs proches, ainsi que pour la générosité des Québécois en dons et en soutien psychologique. « Vous ne pouvez pas imaginer à quel point toute cette sollicitude nous a énormément aidés à surmonter notre immense peine ! »
Faisant référence à son défunt mari, elle l’a décrit comme « un homme généreux, intègre et honnête qui avait choisi le Québec pour y vivre, car il aimait ce pays qui est, depuis longtemps, une terre d’accueil et un exemple du bien-vivre ensemble ».
Elle s’est adressée directement à lui en disant : « Karim, aujourd’hui, ton absence nous pèse à chaque instant, nous pensons à toi tous les jours. Ton sens de l’humour, sans lequel nous avons perdu la joie de vivre, nous manque. Bien que cela fasse un an que tu as disparu, nous ne réalisons toujours pas que nous ne te reverrons plus [...] Tu es parti sans que je te dise au revoir ! Ton beau sourire qui illuminait ma vie, celle de tes filles, de tes frères, de tes sœurs et de tous tes proches s’est éteint avec toi. »
Abdelkrim Hassane, que Louiza appelle affectueusement Karim, a laissé trois petites orphelines : Yamina (10 ans), Sarah (8 ans) et Sofia (2 ans et demi).