«Nous allons pouvoir répondre aux aspirations du québec»

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De belles paroles en théorie... « Moi, je suis fédéraliste mais nationaliste au Québec. »



À quelques semaines du déclenchement des élections fédérales du 21 octobre, Le Journal publiera quatre entrevues substantielles, menées par la chroniqueuse Fatima Houda-Pepin, avec les représentants de quatre partis politiques principaux: 


M. Alain Rayes, lieutenant politique du chef conservateur Andrew Scheer, au Québec;


M. Pablo Rodriguez, coprésident libéral de la campagne électorale au Québec; 


M. Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois;


M. Alexandre Boulerice, lieutenant politique du chef néo-démocrate, Jagmeet Singh, au Québec. 


Sauf pour M. Blanchet, les trois autres politiciens siègent déjà à la Chambre des communes comme députés.


Ces entretiens d’environ une heure ont été réalisés dans les semaines du 5 et 12 août. Ils ont été enregistrés, transcrits intégralement puis édités par l’auteur.


L’objectif de cet exercice est de laisser parler ces porte-parole qui jouent un rôle de premier plan dans l’organisation de l’élection qui s’amorce. Ils sont déjà sur un pied de guerre, car, désormais, l’action se déplace du Parlement aux partis politiques.  


Quels sont ces acteurs qui s’arment d’une carapace pour affronter leurs adversaires? Dans quel état d’esprit se trouvent-ils à la veille du jour J? Quel est le niveau de préparation de leurs partis? Quels sont les éléments de leurs plateformes électorales? Quels sont leurs défis et leurs appréhensions?  Leurs chefs sont-ils des atouts ou des boulets? Quelle place occupera le Québec dans leurs stratégies électorales?


Aujourd’hui, nous entamons cette série de quatre entrevues avec le lieutenant politique conservateur au Québec, M. Alain Rayes. 





LE LIEUTENANT


Fatima Houda-Pepin: Alain Rayes, merci de vous être rendu disponible pour cet entretien.


Alain Rayes: Merci pour l’invitation.


FHP: Comment avez-vous atterri à Victoriaville?


AR: Mes parents sont d’origine égyptienne. Je suis l’aîné de quatre garçons. Ils ont immigré au Canada, il y a plus de cinquante ans.




Contrairement à la grande majorité des immigrants, ils ont fait le choix de vivre en région. Mon père ne parlait ni français ni anglais, à son arrivée. Il a dû passer une entrevue pour un poste de professeur de mathématiques au cégep de Victoriaville à l’aide d’un interprète. Mais en l’espace de quelques mois, il a appris le français et commencé à enseigner.


FHP: Et vous, quel est votre parcours professionnel?


AR: Moi aussi j’ai commencé comme enseignant en informatique et en mathématiques. Par la suite j’ai été directeur d’école au primaire et au secondaire. J’ai dirigé la polyvalente de Victoriaville qui comptait 2500 élèves, 350 employés et 3 syndicats. Parallèlement à ce travail d’enseignement et de gestion, je me suis impliqué, à titre bénévole, dans plusieurs projets de ma communauté.


FHP: À quel moment avez-vous commencé à vous intéresser à la politique?


AR: Très jeune. À cause de mes parents. Mon père suivait l’actualité et écoutait les nouvelles nationales et internationales. Ça a éveillé ma curiosité intellectuelle. Mais le vrai déclic s’est fait en 2008. On parlait alors de choc démographique et d’endettement, des enjeux qui me rejoignaient. J’ai assisté à mon premier congrès politique avec l’ADQ de Mario Dumont, à Rivière-du-Loup. C’est là où j’ai eu la piqûre de la politique. J’ai commencé à m’impliquer et, en 2009, je me suis présenté comme candidat de l’ADQ. Je n’avais pas gagné, mais ç’a été une expérience extraordinaire. J’ai continué à m’intéresser à la chose publique de façon plus intense.


FHP: Avez-vous choisi le Parti conservateur du Canada à cause de son affinité idéologique avec l’ADQ?


AR: Pas nécessairement. Après ma première expérience électorale avec l’ADQ, je suis retourné à mes fonctions de directeur d’école. Je suis devenu directeur d’une grosse polyvalente qui m’a permis de connecter avec beaucoup de gens et d’établir des liens avec les acteurs socioéconomiques, dont les gens d’affaires.


C’est là qu’on m’a approché pour être candidat à la mairie de Victoriaville, une aventure qui a duré six ans. Je me suis aussi impliqué dans l’Union des municipalités du Québec pour faire rayonner ma ville et ma région. J’en étais le vice-président et m’apprêtais à en assumer la présidence, quand j’ai été approché par le ministre Denis Lebel pour aller au fédéral.


Il m’avait organisé un dîner avec le premier ministre, Stephen Harper, qui est venu me rencontrer et m’a demandé de me joindre à son équipe. J’ai accepté, car j’ai toujours eu trois préoccupations en politique:


1. L’endettement. Je trouve que l’État doit agir selon sa capacité financière;


2. L’efficacité de l’État dans un contexte où nous sommes surendettés et surimposés;


3. La lutte au cynisme. Quand je me suis lancé en politique, autour de moi, on m’avait traité de fou. Or, à force de discréditer tous les politiciens, on finit par avoir les politiciens qu’on mérite.


J’ai aussi compris, à travers mon expérience municipale que le gouvernement fédéral joue un rôle important dans nos vies. Qu’on pense à la légalisation du cannabis ou à l’aide médicale à mourir. Des décisions majeures sont prises à Ottawa, au plan économique, social et culturel. Il faut donc y être pour influencer le processus décisionnel. Sinon, on laisse les autres décider à notre place. 




FHP: Vous êtes lieutenant politique d’Andrew Scheer, chef du Parti conservateur, au Québec. En quoi consiste votre rôle?


AR: J’ai deux fonctions principalement:


1. Aider à l’organisation électorale, avec mes collègues députés et sénateurs, tant au niveau du recrutement que de la coordination des actions dans toutes les régions du Québec.


2. Représenter mon chef, Andrew Scheer, quand il ne peut être au Québec, car il couvre l’ensemble du Canada.


Au chapitre de l’organisation, Andrew Scheer a un comité de leadership qui se rencontre tous les matins, à Ottawa, et dans cette équipe restreinte, le lieutenant politique du Québec est présent, avec le chef, la chef adjointe, Lisa Raitt, le whip, et la leader parlementaire. Pour moi, c’est une reconnaissance par mon chef de l’importance du Québec.


FHP: Êtes-vous le seul lieutenant politique à siéger à ce comité?


AR: Oui, le seul.




LE PARTI


FHP: Si vous aviez à identifier une caractéristique principale qui différencie le Parti conservateur du Canada (PCC) du Parti libéral du Canada (PLC), ça serait quoi?


AR: Le Parti conservateur est fondamentalement un parti et un gouvernement décentralisateur. C’est dans son ADN. Il reconnaît les juridictions des provinces. Moi, je suis fédéraliste, mais nationaliste au Québec. À l’intérieur du Canada, ma première loyauté est envers le Québec, ma région et ma ville, où j’ai grandi.


Dans l’histoire récente, il n’y a pas eu de chicanes majeures entre Ottawa et les provinces, quand le gouvernement conservateur était au pouvoir, comme on le voit actuellement avec Justin Trudeau.


Ce respect des champs de compétences des provinces est une priorité pour moi. Je regarde juste les dernières annonces partisanes, faites par les libéraux de Justin Trudeau, au Québec, sans tenir compte des députés québécois concernés, et en leur absence. C’est indécent.


Je constate aussi qu’à chaque fois que le gouvernement du Québec propose une idée, elle est reçue avec je-m’en-foutisme par Justin Trudeau. Même quand Philippe Couillard, pourtant un fédéraliste, avait proposé une tentative d’affirmation nationale, Justin Trudeau a renvoyé le document du revers de la main, sans même en prendre connaissance.


Sur l’enjeu de la laïcité, il s’est comporté de façon arrogante à l’égard d’un gouvernement légitimement élu alors qu’il s’agit d’une loi adoptée par l’Assemblée nationale du Québec.


Le gouvernement fédéral a certes l’obligation de s’occuper des personnes vulnérables, mais Justin Trudeau en fait une manie. Un premier ministre doit être à l’écoute des préoccupations de tous les citoyens, incluant la majorité. Aller trop à l’extrême contribue à nourrir, pour certains, le racisme et la haine.


Une des choses que j’aime d’Andrew Scheer, depuis qu’il a commencé sa course au leadership, est de nous laisser, à l’intérieur du Parti conservateur, une grande liberté de nous exprimer sur tous les sujets.




Des fois, ça crée des tensions sur des enjeux plus sensibles, mais le chef nous a toujours rappelé que le plus important est de «travailler sur les sujets qui nous unissent». Il a une volonté de se concentrer sur les thématiques qui unissent les Canadiens partout au pays. Son discours est positif et ne cherche pas les divisions. Une attitude qui différencierait clairement un gouvernement conservateur d’un gouvernement libéral.


FHP: Au niveau national, votre principal adversaire est le Parti libéral de Justin Trudeau, mais au niveau des provinces, comme au Québec, est-ce qu’il y a des partis qui vous menacent davantage et qui pourraient vous empêcher de gagner l’élection?


AR: Au Québec, en plus du Parti libéral du Canada, il y a le Bloc québécois qui pourrait être un adversaire. Pour nous, le NPD n’est plus dans la course, en ce moment.


Je pense que la question de l’urne qui va se poser est de savoir si les Québécois veulent d’un autre quatre ans de Justin Trudeau.


À partir de là, ils pourront se demander qui est le parti le mieux placé pour le remplacer. Nous, on pense que ça prend des candidates et candidats authentiques dans lesquels les Québécois pourront se reconnaître et qui défendront leurs intérêts. Seul le Parti conservateur offre cette option, parce qu’il est la seule alternative crédible pour former le prochain gouvernement.



Le chef du Parti conservateur du Canada, Andrew Scheer, entouré des députés Joël Godin et Alain Rayes, lors d’une rencontre à Saint-Augustin-de-Desmaures, en novembre dernier.

Photo d’archives, SIMON CLARK

Le chef du Parti conservateur du Canada, Andrew Scheer, entouré des députés Joël Godin et Alain Rayes, lors d’une rencontre à Saint-Augustin-de-Desmaures, en novembre dernier.




LE CHEF


FHP: Votre chef, Andrew Scheer, est sympathique, mais il n’est pas très connu au Québec. Or, c’est autour des chefs que s’articulent les campagnes électorales. Justin Trudeau a l’avantage de la notoriété et de la visibilité. Comment comptez-vous relever ce défi d’un chef qui vient de loin?


AR: Je pense qu’il n’y a pas dix mille façons de le faire. Il faut qu’Andrew Scheer rencontre les gens. C’est un travail ingrat que d’être chef de l’opposition officielle. C’est clair que le nom Trudeau est connu, mais il n’y a pas que des avantages à être connu en s’appelant Trudeau. Au Québec, il y a de gros désavantages à faire référence à son père, Pierre Elliott Trudeau.




L’avantage d’être moins connu, c’est de pouvoir se définir soi-même. Nous, on n’a pas peur de sortir notre chef. On n’a pas peur d’aller dans tous les événements. Il faut dire que les campagnes électorales aident aussi à faire connaître les chefs et les candidats. Par ailleurs, nous avons les ressources financières nécessaires pour la publicité.


Je pense que 20 à 30 % de l’électorat sait qui sont les chefs des différents partis et pour qui voter, l’autre 70 % va s’y intéresser graduellement au fur et à mesure qu’on s’approche du jour J. Et quand les gens vont faire leur choix, le 21 octobre, ils vont savoir qui est Andrew Scheer. Ils vont connaître ce que le parti conservateur leur propose et quels sont les candidats et les candidates sur lesquels ils peuvent compter, une fois élus.


Plus la campagne va avancer, plus les gens vont s’intéresser à la politique fédérale, plus Andrew Scheer va être connu. C’est notre défi d’accroître sa présence et sa visibilité. C’est quelqu’un qui aime être en contact des gens.


Comme lieutenant politique au Québec, quand le parti m’appelle et me dit qu’Andrew Scheer est disponible, dans les prochaines quarante-huit heures, à tel endroit, je n’ai aucune difficulté à remplir une salle. La réception est extraordinaire partout où l’on va.


Ça fait deux ans que je le côtoie, tous les jours à Ottawa, c’est un homme bon, qui veut travailler pour les citoyens. Il y a deux phrases qu’il a dites et qui m’ont marqué:


1. «Le gouvernement doit travailler pour la population et non la population travailler pour le gouvernement.» 


2. «Un dollar ne sera jamais aussi bien investi que par celui qui l’a gagné.»


Cela ne veut pas dire qu’il faut privatiser tout, ça veut juste dire qu’avant d’arriver à une solution gouvernementale, est-ce que les individus peuvent prendre leurs propres décisions? Comme gestionnaire du milieu de l’éducation, j’ai toujours cru que des structures moins grosses, plus proches du client, du patient, de l’étudiant, du citoyen, sont les structures les plus efficaces.


FHP: Et comment va le français de votre chef, M. Scheer?


AR: Très bien. Il s’améliore de plus en plus.




FHP: Est-il vrai qu’il exige de son personnel francophone de lui parler uniquement en français?


AR: Oui, c’est le cas de son directeur de cabinet, Marc-André Leclerc, un Québécois du Lac-Saint-Jean, de sa responsable des communications, Virginie Bonneau, et de nous tous qui gravitons autour de lui. Même durant les tables rondes avec des décideurs du Québec, il s’adresse à eux en français et leur demande de faire de même.


C’est même drôle, à Montréal, les gens qui l’approchent ont le réflexe de lui parler en anglais pour être sûrs d’être bien compris, et c’est Andrew qui les reprend en leur demandant de lui parler en français. Il a une grande volonté de maîtriser les deux langues.


Mais il y a plus que ça. Quand je l’avais rencontré, lors de la course à la chefferie de notre parti, je lui ai demandé comment il voyait le Québec. À ma surprise, il m’a retourné la question en disant: «Alain, parle-moi du Québec, car quand les gens m’en parlent, ça se limite souvent à une question de langue. J’ai l’impression qu’il y a plus. Il y a une culture et une identité à comprendre.» Il m’a beaucoup touché quand il m’a dit ça. D’être sensible, à ce point, à la réalité des Québécois et à leur spécificité, ça en disait long sur l’homme politique qui aspirait à diriger le Parti conservateur du Canada.


FHP: Plusieurs perçoivent votre chef comme un gars de la droite, tricoté serré avec la droite religieuse canadienne. On lui prête l’intention de vouloir revenir sur les acquis des femmes en matière de droit à l’avortement. Qu’est-ce que vous répondez à ça?








Qui sont les hommes et les femmes derrière nos politiciens? Emmanuelle présente... un balado animé par Emmanuelle Latraverse.





AR: Je pense que nos adversaires cherchent à le démoniser. Andrew Scheer a répété, à maintes reprises, que tous ces enjeux-là étaient fermés et qu’il ne veut pas les ouvrir. Stephen Harper a gouverné le Canada pendant dix ans, dont quatre ans avec un gouvernement majoritaire, on lui prêtait les mêmes intentions. Il ne l’a jamais fait.


Nous avons passé quatre ans dans l’opposition et nous n’avons pas tenté de les ouvrir. Andrew Scheer a confirmé qu’il ne permettrait pas à l’un de ses députés de présenter un projet de loi antiavortement. Nos adversaires cherchent à nourrir leur base en ramenant ce sujet-là, mais à chaque occasion, notre chef a été catégorique. Il l’a fait à Tout le monde en parle, devant un million de téléspectateurs.




D’après les sondages, il y aurait entre 20 et 30 % de Canadiens qui se déclareraient pro-vie. Pas étonnant qu’ils s’en trouvent dans tous les partis politiques. Mais entre avoir des convictions personnelles et chercher à les imposer aux autres, il y a une marge.


FHP: Andrew Scheer sera à ses premiers débats télévisés des chefs, ce sont des moments décisifs dans la tournure d’une campagne électorale. Si vous aviez à le conseiller, quels sont les pièges qu’il devrait éviter?


AR: Je pense qu’il doit se servir de ces occasions pour vendre notre programme électoral. Montrer son leadership, ne pas se laisser entraîner dans les attaques personnelles. Ses adversaires vont chercher à le diaboliser, mais il doit rester concentré sur son message. J’espère que les gens vont voir l’homme que je connais, que je côtoie depuis quatre ans, dont deux, de façon particulière, comme lieutenant politique du Québec.


ORGANISATION ET STRATÉGIE ÉLECTORALES


FHP: Parlons maintenant de l’élection du 21 octobre prochain. Quel est l’état des lieux de votre campagne à quelques semaines du déclenchement de l’élection? Est-ce que le parti conservateur est prêt en termes d’organisation, de recrutement, de financement et de plateforme électorale?


AR: Au Québec – c’est là où j’ai à intervenir – on n’a jamais été aussi prêts et aussi vite à rentrer dans une campagne électorale qu’en ce moment. On est premiers dans le recrutement des candidats, tant en termes de nombre qu’en termes de qualité. On est premiers au niveau du financement, premiers au niveau du membership et au plan organisationnel.


FHP: Avez-vous atteint vos objectifs de financement pour la campagne électorale et où en êtes-vous dans le recrutement des candidates et des candidats?


AR: Au niveau national, on bat tous les records chaque trimestre. Quant au recrutement, au Québec, à 70 jours du Jour J, il nous reste à choisir 3 candidats sur 78.


Ma responsabilité, comme lieutenant politique du Québec est de m’assurer d’avoir des candidats et candidates de qualité dans toutes les régions du Québec et de rehausser le niveau de la représentativité féminine.


Résultat: on est passés de 9 candidates, en 2015, soit 11,5%, à 40% actuellement. Je pense à Marie-Josée Guérette, dans Louis-Hébert, à Québec, vice-présidente financière de La Capitale et à Jessica Ebacher, directrice générale de la Jeune Chambre de commerce de Drummond qui s’est distinguée comme gestionnaire féminine de l’année par la Chambre de commerce et d’industrie de Drummondville.


Je pense à Yves Lévesque, ancien maire de Trois-Rivières, à Philippe Gagnon, quadruple médaillé des jeux paralympiques de Sydney, à François Corriveau, dans ManicouaganBaie-Comeau, à Richard Martel, au Lac-Saint-Jean, à Robert Coutu, maire de Montréal Est, à Bernard Barré, à Saint-Hyacinthe–Bagot, animateur de boxe à TVA qui a couvert quatre à cinq jeux olympiques, et à Richard Lehoux, contre Maxime Bernier. Il a été maire de Saint-Elzéar, agriculteur, président de la Fédération québécoise des municipalités et préfet pendant plusieurs années. C’est une personnalité très connue en Beauce. 




FHP: L’électorat est de plus en plus segmenté, en termes d’intérêts particuliers. Quel est le profil type de l’électeur conservateur que vous cherchez à courtiser?


AR: Une personne pour qui l’économie et la famille sont des préoccupations importantes, qui est tannée de payer des impôts et des taxes et qui souhaite que le fédéral respecte les juridictions provinciales, a des chances de se retrouver chez les conservateurs.


FHP: Est-ce que votre discours axé sur l’économie, la famille, la saine gestion des fonds publics vous permet de vous connecter aux jeunes qui ont d’autres préoccupations et qui représentent un segment important de l’électorat?


AR: Oui. Nous avons de plus en plus de jeunes qui s’intéressent à la politique et plusieurs se soucient des finances publiques et de l’endettement. Mais ils sont désabusés par les promesses non tenues. Justin Trudeau a fait de la réforme électorale, une promesse phare de son présent mandat.


Une promesse clé qu’il a répétée sur toutes les tribunes, mais qu’il a trahie. Échec total. Plusieurs jeunes ont voté pour lui, en 2015, précisément à cause de ça.




Tous les partis étaient ouverts à une réforme du mode de scrutin qui serait entérinée par un référendum pour ne pas laisser à un seul parti (le PLC) le pouvoir de décider des règles de jeu.


Partout dans le monde où il y a eu un changement de mode de scrutin, ç’a toujours été validé par référendum. Et Justin Trudeau a refusé de respecter son engagement.


Il a eu le culot, pour justifier sa volte-face, de dire, à la Chambre des communes: «Les citoyens sont satisfaits de mon gouvernement, en ce moment, donc le changement du mode de scrutin, ce n’est plus une nécessité.» Les jeunes ont raison d’être déçus de lui.


FHP: La précampagne est déjà lancée depuis quelques semaines, notamment sur les médias sociaux. Comment le Parti conservateur articule-t-il sa stratégie de publicité? Est-il nécessaire de passer par des messages négatifs pour atteindre l’adversaire et gagner des votes?


AR: C’est clair que les gens voient certaines publicités comme des attaques négatives, mais il y a une responsabilité qui consiste à différencier les partis pour que les électeurs fassent un choix éclairé. Plus on s’approchera du jour J, plus on va voir une différence, d’une part, entre les chefs, Andrew Scheer et Justin Trudeau, en termes de leadership, et d’autre part, entre nos programmes électoraux. Les électeurs doivent avoir accès à toute l’information. Pour cela, nous devons faire la promotion de notre plateforme électorale, de notre chef et de nos candidats.


FHP: Et cette différentiation ne peut-elle pas se faire de façon positive?


AR: Oui. Mais peut-on la faire sans aucune attaque? Je ne le pense pas. Les autres partis font la même chose. Je pense que ce que les gens veulent savoir, c’est la différence entre les partis. C’est ce que nous allons démontrer à travers notre programme électoral, notamment.


FHP: Nommez-moi trois raisons pour lesquelles les Canadiens ne devraient pas voter pour le Parti libéral de Justin Trudeau?


AR: 1. La plus importante, c’est l’unité nationale. Le gouvernement de Justin Trudeau, aujourd’hui, met à risque notre unité nationale. Il faut parler avec des gens dans l’Ouest canadien pour comprendre le sentiment d’insatisfaction à l’égard de ce gouvernement.


2. Le coût de la vie, l’endettement qui affecte nos enfants et nos petits-enfants et qui se traduit par la hausse de taxes et d’impôts. Un gouvernement qui se nourrit de l’argent du peuple.


3. Un gouvernement de Justin Trudeau va juste amplifier son manque de respect à l’égard du Québec et des autres provinces. Comme Québécois nationalistes, on ne peut pas se permettre ça.




FHP: Quels sont vos pronostics pour le 21 octobre?


AR: Je souhaite un gouvernement conservateur majoritaire. Je souhaite que les Québécoises et les Québécois fassent le choix de jouer sur la patinoire fédérale pour impacter le cours de la politique à Ottawa. Je souhaite qu’ils se disent «On est une société distincte, on est une nation qui a été reconnue par le gouvernement conservateur. N’avons-nous pas envie d’influencer le Canada à notre façon?»


Un des plus beaux projets que je vois est le corridor énergétique. Ses détracteurs disent que c’est une façon de faire rentrer le pétrole au Québec. Je dis non, c’est une façon d’exporter notre hydro-électricité.


On a la chance d’avoir des rivières et un dénivelé. Ce que l’Ouest canadien n’a pas. François Legault tente d’exporter notre hydro-électricité, notre expertise, notre force énergétique.


Pourquoi ne pas travailler avec nos autres partenaires du Canada à exporter cette richesse? Voici une occasion de participer à la construction du pays, comme nous l’avons fait avec la construction du chemin de fer. Est-ce qu’on peut penser à un corridor énergétique d’est en ouest, d’ouest en est, au lieu de rester dépendant d’un axe nord-sud?


PLATEFORME ÉLECTORALE


FHP: Cela m’amène à votre plateforme électorale. Pouvez-vous m’en dévoiler quelques éléments?


AR: Pour ce qui est de notre plateforme électorale, notre chef, Andrew Scheer, nous a demandé d’être à l’écoute des Québécois et de faire une tournée de consultation dans les 17 régions du Québec pour connaître leurs préoccupations. J’ai mené ça avec le chef, et mes collègues députés. On a fait plus de 10 000 km et rencontré différents groupes, de sorte que lorsque les gens vont prendre connaissance de la plateforme électorale du Parti conservateur, ils vont s’y reconnaître, parce que nous y avons intégré plusieurs éléments de ce qui nous a été proposé: le rapport d’impôt unique, plus de pouvoirs en immigration, redonner au Québec un ministre du développement économique que Justin Trudeau nous a enlevé.


Aujourd’hui, une municipalité ou une personne en affaires qui veut faire avancer un dossier de développement économique doit parler à un ministre de Toronto. On n’a jamais vu ça.


C’est un manque flagrant de respect de la part de Justin Trudeau pour notre spécificité et nos façons de faire qui sont différentes, sans compter la marginalisation de notre langue.


Andrew Scheer s’est engagé à nommer un ministre responsable du Québec pour que le gouvernement du Québec ait un interlocuteur privilégié qui aura ses entrées directes aux différents cabinets ministériels à Ottawa.


Donc, plusieurs propositions que les gens nous ont nommées lors de ces consultations se retrouveront dans notre plateforme.


FHP: Les Québécois accordent une grande importance à la question de l’environnement. Qu’avez-vous à leur dire?


AR: Nous avons bien reçu le message. C’est un fait que l’environnement et les changements climatiques sont des préoccupations majeures pour les Québécois et pour bon nombre de Canadiens.


C’est aussi une de nos préoccupations au parti conservateur, nous l’envisageons de façon pragmatique. Nous sommes conscients que c’est un défi mondial et que nous devons poser des gestes concrets. Après tout, nous ne sommes que 30 millions sur des milliards de population dans le monde.


C’est à la base même de notre plateforme environnementale: favoriser l’innovation et les bonnes pratiques, tout en exportant notre expertise dans les pays où l’on pollue le plus.




Notre plateforme électorale comprend cinquante-cinq idées concrètes dans lesquelles un citoyen, une entreprise, une institution, des chercheurs pourront se reconnaître. Je pense que les Québécois constateront que le parti conservateur est un gouvernement en attente. C’est le seul parti qui a une chance réelle de prendre le pouvoir si les Québécois décident de laisser tomber Justin Trudeau.


La question est de savoir si les Québécois veulent faire partie de la solution. Être en position d’influencer les décisions qui se prennent, en leur nom, à Ottawa ou s’ils veulent aller du côté de ceux qui critiquent sans jamais avoir la chance de prendre le pouvoir.


FHP: Vous avez parlé d’un corridor énergétique est-ouest et ouest-est, est-ce à dire que vous voulez amener le pétrole de l’Alberta au Québec?


AR: Je veux ramener nos ressources naturelles (pétrole et hydro-électricité) d’est en ouest et d’ouest en est pour atteindre la pleine autonomie énergétique de notre pays. Actuellement, 50 % de notre consommation canadienne de pétrole provient des États-Unis et des pays de l’OPEP.


Pourquoi devrons-nous prendre du pétrole fabriqué à l’aide du gaz de schiste qui est la pire façon de le produire, alors qu’on peut utiliser du pétrole que nous avons au pays? Il n’y a pas si longtemps, au Québec, il y a eu une levée de boucliers contre le gaz de schiste quand il était question d’aller de l’avant avec des projets d’exploration.


FHP: Le hic, c’est que près de 60% de la production canadienne de pétrole provient des sables bitumineux, principalement de l’Alberta. Ça ne vous dérange pas?


AR: Les sables bitumineux peuvent venir d’ailleurs que de l’Alberta. L’important c’est de produire nos propres ressources avec les normes les plus sévères et de mettre en place des mesures concrètes pour préparer la transition énergétique. Prenez, par exemple, les voitures électriques.


J’en ai une. Je ne m’en vante même pas parce qu’on ne sait pas encore quoi faire avec les batteries et on ne diminue pas le trafic routier. Donc, on continue à construire des routes, des autoroutes, des ponts et des tunnels. Rien pour diminuer la congestion. L’électricité quand elle est propre, c’est l’idéal. Encore faut-il l’exporter.




Mais quand on se transporte en Chine, un véhicule électrique est loin d’être bon pour l’environnement. Les Chinois fabriquent leur électricité à base de charbon. Un véhicule électrique sur deux vendu dans le monde l’est en Chine, là où l’électricité est la plus polluante. On le voit, ici l’électricité n’est pas une solution à tout, parce que les problèmes environnementaux demeurent entiers.


FHP: Il n’en demeure pas moins que votre position sur l’environnement n’est pas très claire. Certes, vous voulez abolir la taxe sur le carbone, mais quelle est vraiment votre vision de l’environnement pour les générations futures?


AR: J’invite les gens à prendre connaissance de notre plateforme et de la comparer aux programmes des autres partis. La taxe carbone n’est qu’un moyen. La prémisse de base est la suivante: est-ce que le Parti conservateur est conscient des enjeux des changements climatiques? La réponse est oui. Alors ceux qui disent qu’on est des climatosceptiques sont des démagogues.


Est-ce que le Parti conservateur veut atteindre les cibles de Paris? La réponse est oui. Toute personne qui dit le contraire est malhonnête intellectuellement.


Une fois qu’on a dit ça, qu’est-ce qu’on propose? Ce sont cinquante-cinq actions concrètes qui font confiance aux gens et leur donnent les moyens d’agir, en mettant en place un fonds pour la recherche, en créant une marque de commerce des produits canadiens verts, en s’attaquant à l’enjeu du plastique, en favorisant les innovations pour que notre expertise soit utilisée et exportée, parce que le Canada est responsable de seulement 1,6 % de gaz à effet de serre, en ce moment.


Par ailleurs, il ne faut pas réduire l’environnement aux seuls gaz à effet de serre. Il y a plusieurs enjeux, dont la qualité des eaux, la gestion des forêts et des océans et la problématique du transport. Ce sont tous ces éléments qu’il faut considérer de façon pragmatique.


Je ne suis pas anxieux, je suis un environnementaliste réaliste. Ce que les citoyens souhaitent c’est qu’on pose des gestes à tous les niveaux, comme citoyens, comme gouvernement, comme entreprises et comme institutions. Notre plateforme présente des pistes de solution pour chacun de ces enjeux.




FHP: Les éléments de votre plateforme électorale sont peut-être pragmatiques, mais ils ne font pas rêver. Les jeunes ont besoin de vision d’avenir. Quel est le Canada de l’avenir que leur offrirait le parti conservateur?


AR: Vous trouvez qu’on est très rationnels (rires). Notre vision d’avenir est celle d’un Canada ouvert, diversifié, qui donne la même chance à tous de réussir, qui ne privilégie pas un groupe au détriment des autres.


Quand on regarde l’enjeu de l’immigration, on nous critique parce que nous avons été fermes sur la gestion de notre frontière face à l’immigration illégale.


Moi, je suis fils d’immigrant, je me fais traiter de raciste parce que je suis conservateur. Je dis «Non, c’est complètement faux». Je constate que plusieurs candidats à l’immigration veulent venir vivre et travailler au Canada, de façon légale. Ils voient la gestion poreuse de notre frontière qui les retarde dans leur arrivée au Canada. C’est injuste. Ce n’est pas du racisme que dénoncer la gestion chaotique de Justin Trudeau. Je suis pour l’immigration, mais de façon légale et ordonnée.


LE QUÉBEC DANS LA BALANCE


FHP: Le Québec a fait connaître un certain nombre de ses revendications à Ottawa, notamment en ce qui concerne l’immigration, le rapport d’impôt unique, la culture. On peut s’attendre à ce que le premier ministre François Legault fasse connaître aux partis fédéraux, les priorités de son gouvernement, lors de cette campagne électorale. 1. Comment répondez-vous aux revendications formulées par Québec? 2. Si le gouvernement du Québec signifie d’autres priorités, quelle réponse anticipez-vous de lui donner?


AR: Je pense que le Parti conservateur est le seul parti qui aura des chances de gouverner et nous allons pouvoir répondre aux aspirations du Québec.


À ma connaissance, depuis que François Legault est en poste, le seul parti qui a démontré de l’ouverture à la plupart de ses demandes, c’est le Parti conservateur. Qu’il s’agisse d’immigration, de rapport d’impôt unique ou de culture, nous sommes toujours ouverts à discuter avec Québec, et on ne s’est jamais braqué face au gouvernement de François Legault comme l’a fait Justin Trudeau. 




FHP: Et sur la loi 21? On a vu que le premier ministre Justin Trudeau a opposé une fin de non-recevoir au gouvernement Legault sur la laïcité qui affirme la neutralité religieuse de l’État. Si le Parti conservateur arrivait au pouvoir, est-ce que vous allez monter aux barricades et appuyer les groupes qui engagent des poursuites judiciaires contre Québec?


AR: Notre chef, Andrew Scheer, a répété que c’était le gouvernement du Québec qui a pris cette décision et qu’il respectait les juridictions provinciales. Nous n’avons aucune intention de contester une législation qui a été adoptée par l’Assemblée nationale. Tout en respectant la juridiction du Québec, Andrew Scheer a dit qu’il n’imposera pas une telle loi à l’échelle du Canada. Si d’autres provinces veulent s’en inspirer, libres à elles de la faire et notre chef va le respecter également.


Le Québec s’est servi de la clause dérogatoire qui a été mise en place par Pierre Elliot Trudeau, le père de Justin Trudeau, donc on respecte la décision du Québec, d’autant plus qu’elle est légitime puisqu’il l’avait annoncée en campagne électorale et s’est fait élire là-dessus.


Certains seraient tentés de voter pour le Bloc québécois qui prétend les défendre sur ces enjeux. Mais que va faire le Bloc québécois? Critiquer, oui, mais ils ne seront pas au gouvernement, donc ils ne pourront pas faire grand-chose sur le rapport d’impôt unique, par exemple.


FHP: Si je reviens à vous, est-ce qu’il y a un ou des personnages qui vous ont marqué?


AR: Au niveau humain, c’est Pierre Lavoie, qui m’a inculqué les saines habitudes de vie. Il y a 9 ans, après une conférence qu’il avait donnée, j’ai mis la switch à «ON». Avec ma femme, on a commencé à courir, on a fait des marathons et trois Ironman en ligne, durant les cinq dernières années, alors que je ne faisais aucun exercice avant. Je cherche à donner l’exemple aux gens. Je suis donc devenu un ambassadeur des saines habitudes de vie. Au niveau politique, c’est Mario Dumont qui m’a influencé. C’est lui qui m’a donné le goût de faire de la politique. Et pour mes valeurs, ce sont mes parents.




FHP: Si demain la politique vous quittait ou si vous quittiez vous-même la politique, quelle profession ou quel métier exerceriez-vous?


AR: J’ai deux choses qui m’intéressent, un jour, parce que je ne ferai pas la politique à vie, je le sais: 1. Soit aller au privé, car je suis un gestionnaire de formation. 2. Sinon aller dans les médias. J’aimerais aussi donner des conférences pour partager l’expérience en politique, pour combattre le cynisme, en cette ère des réseaux sociaux.


FHP: Merci, M. Rayes, de vous êtes prêté à cet exercice et de l’avoir fait presque à cœur ouvert, malgré les contraintes de votre fonction et du contexte électoral.



ALAIN RAYES EN QUELQUES LIGNES






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