La lutte pour le français et l'intégration n'est pas perdue : elle est à reprendre

Tribune libre

Réaction aux textes de [Serge-André Guay->1360] et de [Christian Rioux->1359] dans Le Devoir du 28 juillet.


La lutte pour le français et la survie de la civilisation québécoise n'est pas perdue. Seulement, elle ne pouvait être gagnée une fois pour toutes avec la Charte de la langue française. C'est le sort de notre nation que la bataille soit à recommencer avec chaque nouvelle génération : depuis la victoire partielle de l'Acte de Québec jusqu'à celle, deux siècles plus tard, de la Charte de la langue française. Ces victoires ne peuvent qu'être partielles et toujours à recommencer depuis la Conquête, aussi longtemps que notre nation ne sera pas souveraine. Car il est là le véritable facteur de force ou de faiblesse du français : le pouvoir politique de régir la société québécoise. Le frère Untel le disait bien : ce ne sont pas de simples mesures en faveur de la correction du français qui peuvent renverser l'état des choses, soit l'infériorité du pouvoir québécois dans un Dominion britannique.
Le pouvoir politique, en 1774, faisait que malgré cette reconnaissance des droits nationaux des Canadiens (français), la croissance démographique du Canada allait se faire par l'immigration anglophone et anglicisée. Le pouvoir, en 1774, faisait qu'une minorité anglaise infime allait intégrer, au Québec même, les allophones. La Charte de la langue française a redressé les droits de la majorité du Québec, dans les institutions québécoises, pour accéder aux postes, travailler et se faire servir dans leur langue. Néanmoins elle ne pouvait empêcher que le Québec, pour les immigrants comme pour la majorité, continuât de se penser comme partie du Canada. La Charte ne pouvait retirer la force de l'anglais dans les institutions déterminées par Ottawa, depuis la citoyenneté jusqu'à la radio, l'aide aux entreprises ou à la recherche. Seule la souveraineté politique peut changer en profondeur la représentation de soi et le pouvoir régalien de structurer le devenir de la société québécoise.
Multiculturalisme ou pas, l'intégration ne peut qu'échouer dans un Québec-province qui ne naturalise pas lui-même ses nouveaux citoyens. En théorie, le Québec peut toujours réclamer ce pouvoir, qui était virtuellement possible dans la constitution de 1867 et qui est reconnu aux Cantons dans la Confédération suisse, pour donner un exemple de plus grande décentralisation.
Naturaliser les immigrants soi-même, cela implique de le faire dans la langue nationale exclusivement : là comme ailleurs, le message de l'intégration au Québec sera clair, tandis qu'aujourd'hui le message de l'intégration au Canada (anglais) est clair, quoi qu'on en dise. Le Québec peut donc, en attendant mieux, avancer par une réforme patriote, comme il l'a fait durant la Révolution tranquille, car dans une telle lutte il faut avancer pour ne pas reculer. Cependant le pas décisif ne sera franchi qu'avec la souveraineté nationale, car la souveraineté établira la majorité québécoise comme référence unique et suprême à l'intérieur de notre ordre politique, là où aujourd'hui elle est inférieure, mathématiquement, à la majorité anglaise. La souveraineté accomplie changera l'immigration de l'avenir.
La ville de Québec, par exemple, sera un pôle plus attrayant. Pour s'intégrer et réussir, il faudra se faire accepter et s'identifier avec le pouvoir autant qu'aujourd'hui et désormais le pouvoir régalien sera québécois. C'est la souveraineté canadienne qui fait que la plupart des immigrants ne veulent pas se dissocier la majorité anglaise du Canada, c'est-à-dire du pouvoir, pour s'associer à la nation québécoise. C'est la souveraineté canadienne qui fait que la moitié de nos institutions gouvernementales, sans parler des sociétés parapubliques, des compagnies, des médias à Montréal (et de plus en plus à travers le Québec), favorisent l'intégration au Canada et non au Québec.
Qui favorisera véritablement le français : Air Canada ou une compagnie aérienne nationale québécoise, un Air Québec ? Air Canada, même sise à Montréal, est une compagnie canadian dont la langue principale est l'anglais. Cet exemple est représentatif de l'ensemble des institutions canadiennes présentes au Québec. Les beaux-esprits de gauche et les bons-ententistes de droite n'y pourront rien changer : seule la souveraineté nationale peut renverser cette infériorité. Et cette infériorité laissée en l'état mène tout droit à l'assimilation.
Pour renverser la tendance dans les esprits de la majorité québécoise, pour renverser la tendance dans les esprits des minorités comme des nouveaux arrivants de demain, la souveraineté du Québec est la seule solution véritable. C'est elle qui permettra au Québec d'établir un modèle d'intégration québécois, loin du multiculturalisme qui au fond ne séduit pas les Québécois (comme le rappellent les cas d'exception religieuse à l'école) : ce sera un modèle républicain amélioré qui mettra l'accent sur l'égalité, l'inclusion et l'intégration, en français bien sûr.
C'est la souveraineté qui permettra d'appuyer pleinement notre essor culturel (cf. la crise du cinéma) et de développer les autres centres urbains du Québec que Montréal en leur accordant davantage de pouvoir - encore là au bénéfice du français et de l'essor culturel et général de la nation.
C'est la souveraineté qui permettra à tous les organismes gouvernementaux de fonctionner en français d'abord avec tous les Québécois, peu importe leur origine.
C'est la souveraineté qui fera des nouveaux arrivants non pas des citoyens d'un Canada bilingue, mais des citoyens d'un Québec francophone.
C'est la souveraineté qui, une fois pour toutes, fera de Montréal la métropole d'un Québec français et non pas un grand centre bilingue d'un Canada bilingue.
C'est la souveraineté et la souveraineté seule, qui à terme fera grandir les Québécois de demain, non pas en se pensant comme citoyens d'un pays bilingue et multiculturel, timides quant à l'usage du français, mais en se pensant citoyens québécois, citoyens d'un pays francophone qui vit, rayonne, accueille et intègre en français.

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Charles-Philippe Courtois29 articles

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Charles-Philippe Courtois est docteur en histoire et chercheur postdoctoral à la Chaire de recherche en rhétorique de l'Université du Québec à Trois-Rivières. Il prépare la publication de La Conquête: une anthologie (Typo, automne 2009).





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