À quand une politique étrangère québécoise ?

Tribune libre


À voir la politique étrangère de Harper à l'œuvre, (sans surprise), on ne peut s'empêcher de trouver dans l'élection fédérale de 2006 des relents de 1911 et 1917.
En 1911, les Nationalistes aidèrent à défaire le PLC de Laurier, au profit des conservateurs, parti où la faction des impérialistes anglo-saxons dominait sans partage les élus québécois. Autant les nationalistes de Bourassa et LaVergne s'opposaient au nationalisme canadien de Laurier, trop anglais pour les intérêts nationaux québécois, autant la seule solution de rechange au gouvernement, les impérialistes anglo-saxons, était pire pour les intérêts québécois sur certains plans, en particulier de politique étrangère. La seule véritable solution se serait trouvée dans un État national souverain. Sur le plan de la politique intérieure, les nationalistes auraient pu continuer de presser pour de fructueuses réformes à Québec, mais sur le plan de la politique étrangère, le Québec ne pouvait trouver d'issue.
C'était clair aux yeux des contemporains et même des libéraux québécois : quand la division au Parlement fédéral s'amplifia en 1917 au profit des impérialistes (au nom de la conscription), le gouvernement libéral de Québec improvisa la « motion Francœur » qui évoquait la séparation (en fin de compte sans adopter la motion).
Lors de la crise de la conscription, une certaine opinion et les mêmes faiseurs d'opinion qui aujourd'hui pointent régulièrement leur doigt désapprobateur sur le Québec, accusèrent les Québécois de toutes les lâchetés. Seulement, la comparaison, en face des réactions à la guerre européenne, d'une nation neuve et distincte des Amériques avec un regroupement de citoyens britanniques installés dans les colonies, est injuste. Au regard de l'isolationnisme de toutes les nations des Amériques, des États-Unis jusqu'à l'Argentine, les Québécois se sont en fait vigoureusement dépensés et fortement portés volontaires.
Les Québécois auraient voulu, comme ces autres nations du continent, se porter au secours de leurs alliés européens (France, Belgique, Royaume-Uni, Italie...) dans une action décidée par un État national, souverain, qui ne subordonnât pas son intérêt et la vie de ses hommes aux besoins d'une autre nation. Le Québec était au contraire doublement subordonné : dans une armée canadienne elle-même sous la tutelle britannique qui n'accordait guère de considération aux colonies (ce qui déclencha des réactions, de l'Australie au Canada anglais après-guerre).
C'est bien sûr en souvenir des deux crises de la conscription (entre autres) que le Québec réclame un droit de veto dans le Canada pour ne plus voir son intérêt national si ouvertement piétiné quand il entre en conflit avec les passions du Canada anglais. Cette demande paraît bien lointaine aujourd'hui. Devant la crise actuelle, comment ne pas réaffirmer, non pas son caractère d'éternelle nécessité, mais bien de besoin urgent ?
L'intérêt national québécois, défendu par les nationalistes québécois, est généralement plus proche dans ses positions des nationalistes canadiens (tels que représentés par le Parti Libéral) que des impérialistes, impérialistes anglo-saxons d'hier et d'aujourd'hui. Pourtant le nationalisme canadien s'oppose au nationalisme québécois à l'intérieur du Canada et ils ne peuvent être alliés, pour leur défaveur mutuelle.
Regardons l'Allemagne et la France. Depuis plusieurs décennies, elles sont parvenues à un partenariat efficace. Jadis, l'une et l'autre tentèrent la conquête : sous l'effet d'un ordre politique qui mettrait l'une sous la tutelle de l'autre, pareil partenariat serait impossible et le conflit, continuel.
C'est de ça que doivent se libérer le Canada et le Québec pour mieux dégager et déployer leur politique souveraine en faveur de leur personnalité propre et de leur intérêt national propre ; ces deux entités clairement établies par des États souverains, leurs partenariats pourront se multiplier dans la sérénité et l'efficacité, à l'instar de la relation franco-allemande. Cette souveraineté nationale garantie permet aussi à de petites nations de se joindre à d'autres au sein de l'UE comme partenaires sans compromettre leur intérêt national. Au contraire, l'ordre politique du Canada demande au Québec de soumettre le sien à celui du Canada anglais, c'est mathématique depuis 1867.
La leçon de 1911 vaut encore pour 2006.
Des progrès ont été accomplis, non seulement à Québec, mais aussi dans les rouages politiques au fédéral, puisque si quelques Québécois ont voté conservateur en 2006, comme un petit nombre le firent en 1911, les partis nationalistes ont suffisamment progressé pour pouvoir affirmer, même à Ottawa, une position entièrement distincte à la fois du PLC et du PC. La leçon doit être portée bien plus loin néanmoins !
Certains affirment encore ne pas visualiser concrètement l'utilité de l'indépendance, saisir ce que la souveraineté apporterait de plus au Québec. Ils ont aussi tendance à la réduire à une question des indicateurs financiers sur le très court terme, alors que pareille fondation est un effort fourni pour une amélioration radicale qui se développe sur le long terme, avec un effet positif cumulatif : considérons seulement la prospère Irlande d'aujourd'hui.
La politique étrangère est un des exemples les plus probants de ce que la souveraineté apporterait de plus aux Québécois. Dommage que les partis souverainistes n'en fassent pas davantage, dans la crise actuelle, pour dissocier le Québec de la position de M. Harper et surtout illustrer ce que serait un Québec souverain. Comme l'écrivait Christian Rioux dans Le Devoir, Harper est à mille lieues de l'appui critique que la Chancellière allemande, Merkel, apporte à Bush. La position Harper est même plus belliqueuse que celle de Bush. Le Québec lui n'oublierait pas, non plus que d'autres membres de l'OTAN, de demander à ce que le Liban, membre de la Francophonie, démocratie qui était sur la voie d'un redressement, ne soit pas entièrement détruit, et ferait le distinguo entre le pays et une faction rebelle, le Hezbollah.
D'ailleurs, il faudrait être naïf pour penser que l'impérialiste Harper a accumulé les manifestations de dédain envers la Francophonie de manière involontaire. Cette organisation ne peut être dans les bonnes grâces d'un impérialiste anglo-saxon comme lui. Car plus encore que nationaliste canadien, Harper est un impérialiste anglo-saxon. La plupart des pays du monde, dont la relation avec le Canada pourrait compter s'il voulait affirmer sa propre personnalité, ne comptent presque pas à ses yeux, qui n'en ont que pour les États anglo-saxons. Le traitement que son gouvernement réserve aux représentants de Haïti ou du Sénégal est carrément insultant.
La Francophonie a un grand rôle à jouer dans la défense de la diversité culturelle et en faveur du développement. Et la Francophonie a un grand besoin d'un Québec indépendant, volontariste, dynamique, entreprenant, un Québec qui lutte contre le défaitisme ou l'à-plat-ventrisme devant l'impérialisme culturel. Ce Québec-là pourra tisser des liens et partenariats féconds sur le plan des échanges culturels avec des nations du monde.
Dans la foulée de la mondialisation, par enthousiasme pour le progrès, progrès humain réduit à la dimension des seuls indicateurs financiers, l'anglais se répand comme une drogue. La planète en est ivre. Certains vont se réveiller avec une gueule de bois, d'autres, effacés dans un coma éthylique, ne s'en réveilleront pas.
Nous effleurons ici un autre élément fondamental de notre avenir national et de notre personnalité nationale : la menace sur le français que l'inclusion dans le Canada continue de faire peser. D'aucuns affirment encore que la Charte de la langue française a tout réglé sur le front linguistique. On s'étonne moins de lire ces propos sous la plume d'un Gil Courtemanche que d'un souverainiste tel que Michel Venne. Il faut être sourd et aveugle pour penser que le français est en progrès continu à Montréal. L'anglicisation majoritaire des immigrants lève une lourde hypothèque sur tout avenir de la nation à l'abri de l'assimilation. Encore plus nettement vu sa situation géographique, le Québec a besoin d'une immigration majoritairement intégrée à sa culture nationale. Certes, les Québécois eux-mêmes contribuent à cette bilinguisation de Montréal en se montrant trop souvent incapables de penser le français comme langue première du Québec et de communiquer en conséquence. Comme en 1977, la nation a besoin d'un sursaut.
Mais le cadre canadien empêche d'aller plus loin, il crée lui-même le conditionnement mental du bilinguisme. L'ordre canadien fait le plus volontairement possible confondre le bilinguisme officiel à Ottawa qui est dû à l'association entre deux nations, et un bilinguisme officiel porté par les Québécois eux-mêmes, donc au détriment du français sur le territoire de la nation francophone, les Québécois oubliant trop souvent que le français est leur langue officielle et qu'elle a des droits qui ont besoin d'être défendus.
La Charte de la langue française a permis une amélioration. Elle ne pouvait tout régler : la dépendance envers un État majoritairement anglophone empêche de tout régler à l'intérieur du Canada. Les récentes manifestations libanaises tenues à Montréal, mais en anglais, en fournissent un énième exemple : pour communiquer avec Ottawa et le Canada, la langue majoritaire est l'anglais. Dans un Québec indépendant, pensez-vous que la même manifestation s'adresserait à Québec en anglais ? Le but, interpeller l'opinion nationale pour faire pression sur les élus, commanderait le recours à la langue nationale pour faire passer le message. Le bilinguisme à Montréal fera toujours triompher l'anglais, et le bilinguisme officiel, c'est le Canada.
En attendant la souveraineté, les patriotes, nationalistes et souverainistes, peuvent faire progresser le français, car il faut toujours lutter pour ne pas reculer. Ils peuvent le faire de multiples façons, et l'une d'entre elles consiste à instituer une citoyenneté québécoise pour bien manifester qu'on immigre ici en s'intégrant à une nation, non pas simplement dans le voisinage d'une grosse minorité ethnique anecdotique au sein d'un Canada anglo-saxon.
Les ambassades canadiennes et Stéphane Dion affirment à cor et à cri que le Canada est « peut-être la fédération la plus décentralisée au monde », qui accorde toute l'autonomie qu'il lui faut au Québec. C'est faux : dans la Confédération suisse, un immigrant doit être naturalisé citoyen du Canton de Genève avant de devenir citoyen de la Confédération. C'est que la souveraineté réside dans les Cantons. Or le Québec a encore plus besoin d'une telle disposition pour le bien de sa vitalité et de sa continuité nationales, conjurant des pressions assimilatrices.
À défaut de pouvoir tout de suite aller aussi loin que le Canton de Genève, le Québec via ses élus patriotes ne peut laisser stagner la situation. Ils doivent au minimum commencer par une politique de petits pas et commencer par instaurer une citoyenneté québécoise et une constitution québécoise qui manifestent une citoyenneté nationale.
Mais comme le démontre la politique étrangère, la pleine émancipation des Québécois exige la souveraineté. Sur un registre moins tragique, la crise du cinéma est venue le rappeler, telle une illustration éloquente des multiples freins au développement culturel du Québec, qu'implique de soumettre la moitié de notre budget aux volontés d'une majorité canadienne-anglaise. C'est-à-dire de les subordonner aux priorités d'une autre nation.
Subordonné, et jusque dans les guerres, au service des autres ... pour paraphraser Habakuk (si on veut bien nous le permettre) : « Jusques à quand, ô Éternel ? »

Charles Courtois, Montréal

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Charles-Philippe Courtois est docteur en histoire et chercheur postdoctoral à la Chaire de recherche en rhétorique de l'Université du Québec à Trois-Rivières. Il prépare la publication de La Conquête: une anthologie (Typo, automne 2009).





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