La madamisation de Radio-Canada

La question se pose: qui donc sont ces gens qui ont quotidiennement besoin d'un tel vide? À qui parle-t-on à la Première Chaîne ? De plus en plus: à personne.

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Actualité québécoise 2011


Dominique Charron - Disons-le: cette discussion des dernières semaines sur la «madamisation des médias» n'a fait que tourner autour du pot. On peut bien tenter de généraliser le débat, il est un endroit où la transformation est plus dérangeante et douloureuse qu'ailleurs: à la Première Chaîne de Radio-Canada.
Chaque jour de la semaine, c'est six heures d'antenne qui sont confiées aux émissions Christiane Charette et L'après-midi porte conseil. La première traite tout sujet avec une agitation et une superficialité franchement irritantes. La deuxième, malgré ses moments de pertinence, semble en compétition avec elle-même pour trouver les sujets les plus mièvres qui soient: trouver l'âme soeur grâce à son chien, la cuisine des légumineuses, les meilleures adresses de poupounage pour des sorties mère-fille...
Radio-Canada consacre même les soirées aux reprises de ces deux émissions, comme si elles étaient des moments phares et incontournables de sa programmation. Vraiment, Radio-Canada? C'est le mieux que vous sachiez offrir?
Nommons Annie-Soleil Proteau, qui fait chaque matin étal de son manque de formation artistique et intellectuelle nécessaire à la chronique culturelle. Nommons Nancie Ferron et sa chronique hebdomadaire bien personnelle sur la «consommation», à C'est bien meilleur le matin. Nommons les points de vue souvent datés à Je l'ai vu à la radio. Nommons les choix de tribune faciles à Maisonneuve en direct.
Rappelons aussi le déplacement de case horaire du monument de la réflexion, Jacques Languirand, qui a laissé place à... une émission de télévision. Soulignons l'insipidité du Forum, ligne ouverte française complètement niaise, qu'on nous présente chaque nuit comme «parmi les meilleures émissions de la Radio suisse romande et de Radio France».
Ce qui devrait être notre rempart public de l'intellectuel, de l'analyse critique et de la culture s'amollit et se «matantifie» dangereusement.
Membres de la direction de programmation, vous écoutez ce qui se passe en ondes des fois?
En fait, j'ai bien peur que oui, et c'est ce qui m'inquiète. La Première Chaîne ne diffuse pas que ce type de radio, mais on semble y prendre un malin plaisir à donner des cases horaire impossibles aux émissions de réel contenu: La Semaine verte (samedi et dimanche à 6h du matin), Les Années lumières (dimanche à midi), Studio 12 (samedi à minuit), Le 21e (vendredi à 21h). Pourquoi ces émissions ne bénéficient-elles pas de la tribune qu'on accorde à Mmes Charette et Poirier? Suffirait d'une par jour, non?
Non. On préfère nous offrir:

- de la fascination pour les événements jet set
- de l'auto-promotion de plus en plus assumée
- des entrevues complaisantes et pauvrement menées
- des tables rondes sur les sacoches ou les cheveux gris
- de la fascination pour le Paris faussement intellectuel et pour le New York branché
- des chroniques «minous, pitous, relaxation et mise en plis»
- de nombreux intervenants aux qualifications un peu floues, qui enseignent leurs opinions personnelles comme on le ferait pour des faits.

La question se pose: qui donc sont ces gens qui ont quotidiennement besoin d'un tel vide? À qui parle-t-on à la Première Chaîne ?
De plus en plus: à personne. Quoi qu'en disent les cotes d'écoute, Radio-Canada ne parle plus à ses auditeurs. Le diffuseur public s'entête à ne faire qu'une chose: éviter. Il évite de choquer l'un. Il évite de confronter l'autre.
À la Première Chaîne, on pratique l'art de s'adresser au plus grand dénominateur commun. On a choisi l'auditeur type: une personne mièvre et superficielle qui ne regarde le monde qu'à travers son maquillage, ses sensations et ses émotions. Oui, la fameuse «madame».
La cible est idéale. On ne choque personne avec des émotions personnelles. Au pire, on ennuie, mais on ne dérange pas. Et peu importe si ces «madames» existent ou pas: la radio leur parle tellement souvent, elles doivent être nombreuses, non?
Foutaise. On nous prend pour des cons.
Le fait est que la Première Chaîne est encore et toujours un service public. Elle est notre université, notre bibliothèque, notre salle de spectacle à tous. Elle se doit de faire oeuvre utile.
Notre radio joue son rôle quand elle donne un micro à des gens brillants, plus éclairés et plus articulés que la moyenne, quand elle provoque des réflexions, quand elle nous heurte, nous éduque ou nous élève.
Trêve de paresse et d'inculture: ne tolérons rien de moins de sa part.
***
Dominique Charron - Fidèle auditrice de la Première Chaîne et responsable de la page Entendu à la radio publique sur Facebook


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8 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    20 avril 2011

    Comprenons-nous bien!
    Regardez ce qu'on a fait de Dominique Poirier. Que voulez-vous, elle doit gagner sa croûte comme tout le monde. Mais regardez ce qu'on a fait d'elle. Elle est une femme intelligente et faisait partie de la relève montante de ces nouvelles têtes qui avait du chien mais on l'a cassée. On l'a bien muselée.
    Relevez-vous madame Poirier! Vous valez mieux que cela! Tant qu'à Charette???

  • Archives de Vigile Répondre

    20 avril 2011

    Le rôle des médias...
    "Engranger l'insignifiance dans la mémoire des résignés"
    Raoul Vaneigem.
    Les situationistes, dès 1956, avait prédit tout ceci et si la prose de Guy Debord vous perturbe vous pouvez essayer "Sur la télévision" de Pierre Bourdieu. Tout est là, la messe est dite.
    Cet uniformisation des médias est la conséquence directe de leur concentration financière, groupe de presse, ou de leur mise sous tutelle par asphixie financière, Radio-Canada entre autres. Dès ce moment la porte est ouverte à des consensus odieux, à la banalisation sans limite, à l'évitement des conflits, sauf bien sûr quand ils concernent le microcosme des médias qui s'agite en coulisse pour se partager le gateau.
    Grâce à Internet il existe quand même quelques portes de sortie et la personne qui indique les podcasts de France Culture a tout à fait raison. Mais ce n'est pas la seule source loin de là.
    Mais il est vrai qu'au Canada et au Québec ce qui s'entend et se voit dans les médias est, à de rares exceptions, lamentables.
    Est ce la situation vraiment différente ailleurs ?

  • Archives de Vigile Répondre

    18 avril 2011

    Il n'y a pas que la première chaîne de notre radio publique dont la programmation connaît un nivellement par le bas, mais aussi la deuxième chaîne nommée, depuis 2004, "Espace Musique" Une radio à des années-lumière de l'ex deuxième chaîne où il est difficile, pour un/une mélomane, d'y satisfaire sa passion. Pourquoi ? Nous n'y trouvons tout simplement plus de musique dite moderne ou actuelle et même, de répertoire ! La musique du monde, le jazz fusion ( et non le jazz tout court ) y sont diffusés à plein régime aux grandes heures d'écoute. Il faut presque vivre la nuit pour entendre du Ravel ou du Chostakovitch et même encore...
    Jean Boivin, musicologue et ex employé à Radio-Canada fait une troublante analyse de la situation où même la question nationale y est relevée. Je cite Jean Boivin collaborateur à la revue « Circuit », spécialisée dans la musique contemporaine québécoise. Et dans le genre,les compositeurs et compositrices québécois-e -s sont reconnu-e-s mondialement. L'on n'a qu'à citer la très riche « École de Montréal » en musique électroacoustique.
    "Un ancien collègue, déçu lui aussi par le climat ambiant et le produit offert, y va de son explication, audacieuse, effrayante, mais peut-être pas dépourvue de fondements: on peut entendre Espace musique comme une chaîne destinée prioritairement aux francophones résidant hors Québec. Puisque ceux qui habitent cette province [ Québec ] se sont montrés si peu sensibles aux avantages du fédéralisme canadien et si mal enclins à célébrer l’unité nationale, au point de vouloir démanteler ce beau concept d’un Canada uni d’un océan à l’autre, pourquoi la société d’état «nouvelle manière» s’évertuerait-elle à combler leurs attentes? Aux Québécois de créer le jour venu leur propre radio, bien «distincte»."
    « Circuit » Volume 16 Numéro 3 (2006)
    http://www.revuecircuit.ca/articles/16_3/10-les-musiques-classique-moderne-et/
    La diffusion de l'art au Canada et tout particulièrement au Québec prend de plus en plus des accents de régime totalitaire comme en ex-URSS, cf. le Canada Council for the arts. Mais de ça, le Pq ou le Bloc ne le dénoncera jamais !
    -

  • Archives de Vigile Répondre

    18 avril 2011

    « Le fait est que la Première Chaîne est encore et toujours un service public. Elle est notre université, notre bibliothèque, notre salle de spectacle à tous. Elle se doit de faire œuvre utile. »
    La Première Chaîne et Espace musique peuvent se comparer facilement à tout ce qui se fait de plus nihiliste dans l’art d’abrutir les gens.
    Il y a quelques années, l’émission Passages de Jean Larose nous amenait dans un espace étranger (psychanalyse, littérature, sociologie, politique) et nous incitait à penser le monde et non pas à l’ingurgiter après qu’il avait été prédigéré. Mais on a bouté dehors un penseur de la trempe de Larose et on l’a remplacé par ces masturbateurs nihilistes pour branchés acéphales.
    La Chaîne culturelle est alors devenue « Espace cynique ». Quant à la Première Chaîne, elle asservit plus qu’elle ne libère quiconque s’y attache!
    Aujourd’hui, on abrutit les gens avec des amuseurs publics et des jeux de mots tous les plus sots les uns que les autres. Que l’on pense simplement à l’émission Le « sportnographe » (sic). Ces « Madames » dont on parle représentent effroyablement bien la nouvelle société québécoise. Alors, pourquoi s’offusquer de la massification de la culture. Theodor Adorno nous avait prévenus que cela allait arriver, que l’écrasement intellectuel était en marche et que le vingt-et-unième siècle n’aurait rien à envier au vingtième en ce qui concerne la barbarie et la logorrhée de ces amuseurs publics. Vous pouvez joindre les podcasts de France Culture (http://www.franceculture.com/podcasts) pour découvrir un autre monde, celui de la pensée. Tant d’intellectuels, de philosophes, de sociologues, d’écrivains, de psychanalystes y incitent l’auditeur à la pensée et à la recherche, à l’expérience humaine des idées éprouvées, celles qui font vivre.
    Radio-Canada est à l’image de ce pays : Université des indigents de l’intelligence, bibliothèque pour arlequinades littéraires sans même Arlequin, et salle de spectacle (ça oui!) pour narcissiques masturbateurs (comme l’est René Homier-Roy).
    J’ai changé de « chaînes » depuis longtemps car celles de « Radio-Cadenas » m’entravaient les poignets et détruisaient ma pensée.
    André Meloche

  • Archives de Vigile Répondre

    18 avril 2011

    Depuis la période 2003-2006, les émissions d'informations publiques à la Radio de Radio-Canada ont été réduites sinon muselées par des choix de programmations ou de contenus controversés (à l'époque).
    De l'affaire François Parenteau à l'émission de Joël Le Bigot Samedi et Rien d'Autre jusqu'au 'départ' de Marie-France Bazzo & la fermeture de son émission Indicatif Présent (que j'écoutais tout les jours), l'espace des débats publique et des divers agendas du Québec politique et économique entre 9h AM et 6h PM a été grandement réduit tout aussi bien en quantité qu'en qualité (la matantisation, une forme de susceptibilité humaine véhiculée très centrée sur les émotions à fleur de peau style décoration intérieur. Il faut se sentir bien et ne pas regarder ce qui laid à voir).
    Après la ré-ingénierie de l'espace télévisuel de Radio-Cadenas (ou Radio-Gesca si l'on veut) vers la fin de années 90 pour chasser ce nid de 'séparatistes' comme disait p'tit Jean Chrétien, ce fût au tour de la radio dans les années 2000. Il ne faut surtout s'en étonné maintenant!
    Est-ce que les accords secrets entres Radio-Canada et Gesca (sur la synergie (lire inter-dépendance) entre les besoins financiers de la SRC en visibilité et contrats publicitaires versus le contrôle du traitement de l'opinion publique et politique par la maison GESCA) se serait passé sans que le ménage total n'aurait pas été faite apriori?
    Les fins de contrats sans renouvèlement pour les uns (déguisés en départs volontaires), les renouvèlements avec des ajustements sur les contenus de programmation pour les autres. C'est cela qui a rendu la SRC si insignifiante maintenant.
    Pourtant, sur les reportages de ragots, elle est presque sur le même niveau que les médias américains. Parlez-en à Robin Philpot sur le sabordage de sa campagne électorale de 2007 sur le support d'un seul témoignage non-vérifié et sur l'évitement d'analyse de sa thèse dans sa publication 'Rwanda. Crimes, mensonges et étouffement de la vérité', ou des attaques très peu documentés contre ce site!
    Comme la majorité des 'grands médias', la SRC filtre les évènements pressants soit par la rationalisation simpliste ou par la méthode du sujet visé par l'infamie projeté. Tout cela sans vérification en bonne et due forme.
    Pour le reste de l'actualité, écoutez matante Charette le matin avec votre café. Est-ce qu'il y en a beaucoup qui s'ennuie des années Bazzo à la Radio toutes les jours de la semaine? Posez la question c'est d'y répondre!

  • Archives de Vigile Répondre

    18 avril 2011

    Radio-Canada, une télévision tendancieuse qui verse de plus en plus dans l'insignifiance, la médiocrité, et dans laquelle la population québécoise se reconnaît de moins en moins.
    Jacques L. (Trois-Rivières)

  • Archives de Vigile Répondre

    18 avril 2011

    On doit un beau merci à Joël Le Bigot et à Samedi et rien d'autre pour être la seule émission de Radio-Gesca à proposer une fois de temps en temps un analyste de gauche à savoir Pierre Dubuc de L'Aut Journal.

  • Jean-Claude Pomerleau Répondre

    18 avril 2011

    Les débats politiques sur des questions essentiels portant sur la défense des intérêts de l'État du Québec sont systématiquement évacués, ce qui expliquent que tout ce beau monde est réduit à l'insignifiance.
    S'ils étaient moins insignifiants, ils se rendraient compte que Radio Canada vit sur du temps emprunté (selon l'expression de Claude Poirier, 10-4) car dès que Harper sera majoritaire il va mettre la hache dans la boîte.
    JCPomerleau

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