La mafia aux portes de l'hôtel de ville? - Tremblay craint pour sa famille

Crime organisé et politique - collusion (privatisation de l'État)

Jeanne Corriveau , Kathleen Lévesque - Un climat de peur règne à Montréal, constate Gérald Tremblay. Si la mafia a infiltré le milieu de la construction, elle semble être aussi aux portes de l'Hôtel de Ville. Le maire n'a pas peur pour lui, mais pour sa famille.
Gérald Tremblay affirme qu'il n'est pas naïf. Dès son arrivée au pouvoir en 2001, il a été mis au courant par un haut fonctionnaire des rumeurs concernant des enveloppes brunes qui circulaient à l'Hôtel de Ville. «Il y a un certain nombre d'entrepreneurs qui se partagent des contrats et des territoires, comme ce que vous entendez qui sort présentement [dans les médias]. Honnêtement, j'ai tout fait pour essayer d'éclaircir la situation en mettant en place des clauses anticorruption et anticollusion [dans les contrats].»
En rencontre éditoriale hier après-midi, Gérald Tremblay pèse ses mots. Il prend parfois une pause avant de se lancer. Le sujet est délicat et il veut éviter à tout prix les faux pas. «Il faut faire attention aux réputations. Quand on n'a pas de preuves, on se ramasse avec des mises en demeure, peut-être des menaces et de l'intimidation. Il faut faire attention à ce qu'on dit. [...] J'ai une famille et des enfants. Je ne voudrais pas me ramasser avec des problèmes, j'en ai assez comme ça. Moi, je suis capable de prendre la pression comme individu, comme maire de Montréal, mais je ne peux pas demander à ma famille et à mes enfants de faire la même chose.»
Il rappelle qu'en octobre 2005, en pleine campagne électorale, deux bombes avaient été découvertes à son chalet de Saint-Hippolyte et neutralisées par les policiers. «Heureusement que ma famille n'était pas là, dit-il. J'ai eu des avertissements dans le passé. Je n'ai pas appelé la police pour me protéger.»
Gérald Tremblay est conscient des dangers liés à la lutte contre la corruption et à la mafia. Il relate d'ailleurs un événement survenu en 1989, alors qu'il était ministre de l'Industrie, du Commerce, de la Science et de la Technologie à Québec. Il avait alors refusé d'accorder un permis à une entreprise de production de vin associée à la mafia. Au Conseil des ministres, on l'avait bien averti qu'en cas de problème, il devrait se débrouiller tout seul en cour, à ses frais. «Savez-vous comment je m'en suis sorti? Parce qu'il [le propriétaire] s'est ramassé dans la valise d'une auto, raconte-t-il. Je n'ai jamais dit à mon épouse Suzanne que je courais le risque d'une poursuite de 6 millions.»
Un air de déjà-vu pour Louise Harel
La chef de Vision Montréal, Louise Harel, a elle aussi dû faire face aux façons de faire de l'industrie de la construction. Cela a nourri sa réflexion en 27 ans de carrière politique. En entrevue au Devoir hier, elle a tenu à souligner l'importance d'une intégrité exemplaire pour assumer les fonctions de maire de Montréal et d'une résistance à toute épreuve face aux «intérêts financiers puissants».
La situation actuelle la ramène à de vieux souvenirs. Au début des années 1970, son conjoint Michel Bourdon, alors président de la CSN-Construction, avait été le catalyseur du dossier noir de la construction qui a mené à la commission Cliche. Les menaces et les intimidations étaient alors le lot du couple Harel-Bourdon. «Je me souviens d'un dimanche soir où on nous a avertis de ne pas rentrer chez nous parce qu'il y avait un contrat pour tuer Michel», se rappelle Mme Harel.
De son côté, Richard Bergeron, chef de Projet Montréal, a demandé la protection de la police pour sa famille, même s'il assure qu'il n'a fait l'objet d'aucune menace. C'est l'ancien chef de police Jacques Duchesneau, bien au fait des ramifications du crime organisé, qui lui avait suggéré d'agir ainsi l'été dernier. M. Bergeron ne l'a d'abord pas pris au sérieux, mais son ascension dans les intentions de vote l'a incité à se raviser.
Aujourd'hui, Mme Harel, qui se dit «imperméable» aux influences du milieu de la construction et des firmes de services professionnels, soutient être la mieux placée pour faire le ménage à l'Hôtel de Ville. Ses adversaires en disent autant. Gérald Tremblay affirme qu'il est l'homme de la situation, alors que Richard Bergeron se présente comme sans reproches et comme le seul des trois candidats à la mairie à incarner l'intégrité.
Peur dans les corridors
Le climat de peur s'est aussi insinué dans les corridors de l'hôtel de ville. Selon nos sources, des fonctionnaires cherchent à prendre leurs distances de ce qui semble être un système. Au cours des derniers mois, certains d'entre eux qui se sont confiés à des journalistes faisaient eux-mêmes état de leur peur et ont en conséquence modifié leur façon de communiquer avec les médias. La succession de scandales (informatique, compteurs d'eau, SHDM, réfection de la toiture de l'hôtel et promiscuité entre les élus et les entrepreneurs) a soulevé des questions dans l'appareil public sur la complaisance de la Ville qui a permis les pratiques douteuses.
Au cours des derniers mois, des employés ont aussi été congédiés pour avoir trempé dans des activités louches, comme la surfacturation au service informatique. D'autres ont été remerciés de leurs services (avec indemnité) pour avoir tenu le maire dans l'ignorance dans des dossiers litigieux. «J'ai de plus en plus confiance dans la fonction publique, dit le maire. Est-ce qu'il y en a encore [des cas problèmes]? Peut-être.»
Enrayer le fléau n'est pas une mince tâche. «Il y a une limite à ce que je peux faire. Je ne suis pas un policier», rappelle Gérald Tremblay. Le noeud du problème, ajoute-t-il, c'est que ceux qui savent des choses et qui détiennent des preuves n'osent pas témoigner à la police. Sans preuve, la vérité peut difficilement émerger et les inculpations sont impossibles.
Selon lui, la tenue d'une enquête publique pendant que se poursuivent les investigations policières risque d'être un frein pour faire le ménage. «Quand il y a une enquête [publique], les gens disparaissent», laisse tomber le maire. Après un long silence, il évoque le cas de l'enquête policière éventée dans les médias au printemps concernant la réfection de la toiture de l'hôtel de ville qui, selon lui, a saboté les possibilités d'épingler les «mafiosos», notamment par l'écoute électronique.
Depuis son arrivée au pouvoir, la situation s'est aggravée. Malgré cela, Gérald Tremblay soutient avoir commencé le ménage en 2006 et qu'il a besoin de quatre autres années pour finir le travail.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->