Dans Le Devoir de ce 23 novembre , Vincent Laborderie - Chercheur au Centre d'étude des crises et conflits de l'Université Catholique de Louvain et invité au CERIUM de l'Université de Montréal expliquant que la Belgique n’éclatera pas, pense que « Les Flamands ne rêvent donc pas d'indépendance, mais d'une autonomie très large, qui n'arriverait cependant pas au niveau de celle d'une province canadienne. »
D’abord, même si la présidentocratie wallonne qui a mis au pas les aspirations citoyennes, telles qu’elles peuvent apparaître à travers les syndicats par exemple, ne veut effectivement pas (plus...) d’une autonomie très large pour la Wallonie, il n’en va pas de même de nombreuses personnalités influentes et importantes en Wallonie qui ne voient pas les choses de cette façon (voyez sur la revue TOUDI une expression récente de cette opinion certes minoritaire en Wallonie mais consistante et dynamique).
Deux histoires différentes
Comme je l’ai répété souvent ici, la Belgique, contrairement au Canada n’est pas née comme un Etat fédéral, mais comme un Etat unitaire très centralisé. L’aspiration au fédéralisme s’est sans doute le plus clairement exprimée en Wallonie, dès 1912, par la fameuse Lettre au Roi sur la séparation de la Flandre et de la Wallonie rédigée par Jules Destrée l’un des leaders socialistes wallons. Il fit ratifier par un Congrès wallon, le 7 juillet 1912, que la Wallonie souhaitait être séparée de la Flandre. En fait cette « séparation » ou « séparation administrative » était le mot pour « fédéralisme ». Le passage au fédéralisme a sans doute été retardé par les deux guerres mondiales qui déchirèrent l’Europe. C’est seulement en 1970 que l’Etat belge a commencé à transformer sa Constitution en vue de ménager une autonomie à la Flandre, la Wallonie et Bruxelles (de même qu’aux deux Communautés linguistiques, la francophone et la néerlandophone, l’une et l’autre s’étendant sur la Flandre et la Wallonie mais aussi sur Bruxelles, cependant majoritairement francophone). On estime aujourd’hui que si l’on fait la somme des budgets étatiques, tant des entités fédérées que de l’Etat fédéral, sur cette somme, les budgets des Etats fédérés représentent déjà 50% des ressources publiques (hors le service de la dette publique), ce qui donne une idée de l’étendue des compétences exercées par les Etats fédérés belges. A cela il faut ajouter que ces compétences sont exercées de manière absolument souveraines en raison du principe de l’équipollence des normes (une loi fédérale n’a pas de force supérieure à une loi votée par le parlement d’un Etat fédéré). Et aucune disposition du type « pouvoir de dépenser » ne vient mettre en cause cette indépendance radicale des entités fédérées dans le domaine de l’exercice de leurs compétences. En outre, l’exercice des compétences dévolues aux entités fédérées se prolonge sur la scène internationale et leur indépendance y est tout aussi importante (les cas où l’Etat fédéral pourrait s’opposer à la ratification d’un traité signé par la Wallonie par exemple étant hautement improbables).
La fiscalité principalement fédérale
Ce qui, il est vrai, pourrait donner l’impression que les entités fédérées belges auraient une autonomie moins forte, c’est le fait que les ressources publiques utilisées par les entités fédérées le sont principalement via une dotation octroyée par l’Etat fédéral. Il est vrai aussi que des compétences normalement exercées par les Etats fédérés (en particulier en Amérique du Nord), comme en matière de police et de justice, continuent à être exercées par l’Etat fédéral belge, exclusivement. De même, toute la sécurité sociale belge qui a commencé à se développer dans l’Etat unitaire, surtout à partir de 1944, est toujours organisée seulement à ce niveau. Et même les Wallons les plus radicalement autonomistes s’opposent cette fois à sa régionalisation dans la mesure où, côté flamand, une partie des autonomistes veulent la confier aux Régions pour en casser largement le principe sous l’emprise des idées néolibérales. Partant de là, les syndicats – tous les syndicats - , tant en Flandre qu’en Wallonie, militent en faveur du maintien d’une seule sécurité sociale, l’idée existant en Europe que cette sécurité sociale devrait même être organisée entre tous les citoyens européens.
Le (provisoire) retard en autonomie des entités fédérées belges
Les retards des entités belges autonomes pourraient donc s’expliquer ainsi par la jeunesse du fédéralisme belge : lorsque le fédéralisme canadien est né, l’Etat en général , que ce soit au Canada ou ailleurs, exerçait peu de compétences. Une série de compétences étatiques ont été mises en œuvre au Canada par les Etats fédérés comme par exemple dans le domaine social. La Belgique a une histoire différente et de nombreuses matières régies normalement par les Etats fédérés doivent être par conséquent chaque fois transférées aux Etats fédérés. Ce qui prend assez normalement du temps chaque fois. On observe cependant que les compétences exercées par les entités fédérées jusqu’à l’année 1980 étaient pratiquement inexistantes, alors qu’elles constituent aujourd’hui 50% des compétences étatiques. Les transformations sont donc relativement rapides. Les actuelles négociations pourraient porter ce pourcentage à quelque chose comme 70 ou 75%. Le calcul de certains autonomistes, c’est de penser que lorsque ces réformes seront engrangées, la scission de la Belgique sera d’autant plus aisée (il n’y aurait plus que 25% à scinder). C’est la Wallonie qui a, la première, exigé son autonomie et ce courant a été puissant jusque dans les années 90. On peut même dire que sans la Wallonie, le fédéralisme belge ne serait pas aussi poussé.
La passion de la servitude chez les dominés
Il est donc difficile d’expliquer pourquoi, à partir du milieu des années 90, les forces politiques dominantes en Wallonie ont au contraire freiné l’expansion des autonomies. Alors qu’il est prouvé , scientifiquement, que la Wallonie s’est vue discriminée profondément en matière de développement économique par la Flandre dans l’Etat belge dominé par cette Région qui a toujours constitué une majorité absolue de la population belge (1), et cela depuis pratiquement un siècle. Mais c’est un fait d’expérience : l’état de colonisé ou l’état de dominé pousse celui qui le subit non pas à rejeter le système qui le domine, mais à s’y enfermer comme s’il était le salut. La passion de la servitude est souvent plus forte que celle de la liberté. La présidentocratie wallonne et francophone est en train de devenir un exemple presque parfait de ce phénomène que Francis Jeanson exprimait comme ceci dans les années 60 : « Opprimés de tous les pays, opprimez-vous ! » C’est vrai tant sur le plan national que sur le plan social en ce triste début de XXIe siècle. On sait par exemple que la si belle unité de l’Europe a comme conséquence d’affaiblir considérablement la souveraineté des Etats, non parce que celle-ci serait partagée en vue d’un but commun (c'était l'idée de départ), mais face aux spéculateurs internationaux, comme la Grèce hier, l'Irlande aujourd'hui... Ce qui n'était pas l'idée de départ d'une Europe autrefois plus dévouée au progrès social, idéal qu'elle abandonne peu à peu, au point que bientôt l'Europe ne sera plus l'Europe.
(1) Pour ceci, voyez Michel Quévit, Wallonie-Flandre. Quelle solidarité ?, Couleurs livres, Charleroi 2010 (taper les mots Quévit + Livre sur Google pour en avoir un important compte rendu ).
La mentalité de colonisés en Wallonie
Chronique de José Fontaine
José Fontaine355 articles
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
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