La politique de l’autruche et l’islamisme: peut-on encore se voiler la face?
Il ne suffit plus de dire qu’ils ne sont pas musulmans et de réitérer sans cesse cette affirmation pour se démarquer et condamner la violence que les mouvements islamistes, à l’instar du Groupe Islamique Armé(GIA) en Algérie, des talibans, d’Al-Qaïda, de Boko Haram ou encore de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), commettent au nom de l’islam depuis des années. Il est temps d’arrêter le rejet infondé d’une réalité qui saute aux yeux. Il faut avoir le courage d’avouer qu’ils sont musulmans ; le bon sens nous oblige à leur reconnaître cela; d’autant plus qu’ils le revendiquent clairement et leur littérature en témoigne.
Comment voulez-vous qu’ils ne soient pas musulmans, alors que l’essentiel de leurs actes de violence est justifié par des textes tirés du Coran et de la Sunna ou des écrits des ulémas de référence ?
On ne peut nier que l’idéologie de ces organisations islamistes consiste à respecter vigoureusement la parole d’Allah et de son prophète Mahomet, à moins que l’on soit atteint d’une cécité intellectuelle chronique et que l’on aime pratiquer la politique de l’autruche. Or, cette façon de réagir face aux horreurs que les islamistes spectacularisent, exhibent dans les réseaux sociaux, n’est pas, tant s’en faut, le meilleur moyen pour s’éloigner du danger et se dissocier de leur idéologie. Car, généralement, les premières victimes sont les musulmans; les victimes des islamistes algériens et des talibans peuvent en témoigner de ce danger éminent.
Faut-il le rappeler, pour ces mouvements, l’islam authentique, si vraiment il en existe un, est le leur ; c’est l’islam sur lequel est fondé l’idée de l’état islamique. Il y a eux et les autres ; le reste du monde ou les mécréants, les impies ou apostats, donc des personnes sur qui la violence est plus que légitime.
Aujourd’hui, à cause de l’état islamique en Irak et au Levant (EIIL) et Boko Haram, les musulmans sont confrontés non seulement à l’atrocité des actes de ces deux organisations islamistes, mais aussi à un état d’âme et à une inquiétude très profonde causée par le paradoxe que la violence des islamistes leur font vivre depuis des années. Hier c’était le GIA et ses successeurs qui ont plongé l’Algérie dans une décennie génocidaire ; ils ont perpétré des violences atteignant des niveaux d’atrocité égalant ou dépassant ceux que l’etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) et Boko Haram ont atteints aujourd’hui au nom d’Allah, au nom du même Dieu que celui du GIA et de ses avatars.
Il semble impossible aux islamistes, dits faussement modérés, ceux que l’occident veut nous vendre avec sa bienpensance, comme aux simples musulmans d’exprimer leur rejet des agissements de ces groupes sans renier par la même occasion une partie importante du Coran, c’est-à-dire une partie de leur religion. Car, il faut le reconnaître, l’ensemble des textes coraniques que ces islamistes utilisent pour justifier leur violence fait partie de ce que les juristes musulmans appellent les sourates médinoises. La particularité de ce chapitre ou de cette partie du coran réside dans le fait qu’il est riche de versets prêchant, prônant ou justifiant la violence. C’est pour cette raison que les musulmans ont tendance en général à condamner les actes de violence sans aucune critique des textes sacrés qui les justifient. Comme si cette violence n’a rien à voir avec le texte. Ils essayent souvent de lier cette violence au contexte politique et social ; ils l’attribuent à des facteurs qui relèvent des conditions internes à chaque pays, comme l’injustice, la misère et la pauvreté et aussi à des conditions externes comme les interventions et les ambitions des pays occidentaux.
Par ailleurs, pour mettre fin à la réflexion et aux questionnements, certains n’hésitent pas à avancer la thèse du complot ou de la manipulation. Or, cette thèse suppose que ces islamistes violents sont des écervelés immatures et manipulables travaillant pour des intérêts autres que les leurs, par conséquent, il faut chercher les causes de leurs actes violents ailleurs que dans leur idéologie.
Mamoud Muhammad Taha: une pensée pour contrer l’islamisme
Certes, ces facteurs jouent un rôle dans l’émergence d’idéologies radicales, et même si la manipulation est possible, cela est loin d’expliquer tout ce qui est en train de se passer et de se faire au nom de l’islam dans le monde. On ne peut pas –on ne peut plus– nier que l’islamisme exploite le mécontentement et la haine que les populations ont contre leurs dirigeants autoritaires et les forces extérieurs qui les soutiennent, les états occidentaux en l’occurrence, à leur tête les USA. On ne peut pas oublier aussi que les islamistes ont déjà été utilisés par les USA lors de la guerre froide contre l’URSS ; ils ont su sans coup férir les embarquer dans une «guerre sainte» contre une force que l’on a désignée comme un camp propageant le matérialisme et l’athéisme, deux raisons idéologiques suffisantes pour que les islamistes passent à l’action violente. Cependant, depuis la chute du mur de Berlin, ils mènent cette même guerre sainte contre leurs concitoyens et leurs anciens alliés pour les mêmes raisons mais aussi pour d’autres.
Même si ces conditions disparaissaient, les islamistes ne seraient pas moins attirés pour autant par la violence. Certains des textes sacrés les en invitent, et tant qu’ils y sont fidèles, ils ne pourront agir autrement, à moins qu’ils décident de les éloigner de leur idéologie, ce qui est impossible à envisager; car leur idéologie repose essentiellement sur ces textes. Les écarter de leur discours mettra forcément fin à leur idéologie et par conséquent, ils n’auront aucune raison d’être. Par ailleurs, tant que les autres musulmans s’accrochent à ces mêmes textes et croient aux messages qu’ils véhiculent, ils demeureront otages des islamistes et de la confusion que beaucoup font entre le musulman et l’islamiste. Cette confusion n’est pas le produit de l’imagination de l’Occident comme beaucoup d’observateurs le laissent entendre, elle est surtout le produit des musulmans eux-mêmes.
Il faut se l’avouer, de nos jours l’islamisme a remplacé l’islam traditionnel dans beaucoup de pays dits arabo-musulmans. L’islam est devenu politique, et la confusion entre les deux, c’est-à-dire entre la religion et la politique, favorise l’utilisation de la violence pour des raisons religieuses et justifie dans une certaine mesure l’amalgame entre l’islam et islamisme.
Malheureusement, la plupart des musulmans sont convaincus, comme leurs coreligionnaires, en l’occurrence les islamistes violents, que le Coran est immuable et valable en tout temps et lieux. En fait, pour eux, cela est une évidence puisque le Coran est la parole de dieu. Ainsi, il est indiscutable pour la plupart des musulmans que ce texte doive être accepté et respecté dans sa totalité. Ce qui rend encore la situation plus compliquée, à notre sens, est que la plupart des musulmans rêvent d’un état islamique, d’un état représentant l’âge d’or de l’islam. Cependant, tant qu’ils partagent le même rêve avec les islamistes, rien ne prouve qu’ils soient différents et qu’ils veuillent se démarquer d’eux et de leurs actes.
Certes, le Coran contient des textes susceptibles d’être l’objet d’interprétations qui diffèrent du sens que les islamistes leur donnent habituellement, c’est notamment valable lorsque l’on a affaire à des textes contenant des métaphores, mais concernant les textes appelant clairement à l’intolérance et à la violence, il faut une lecture de plus radicale dans la lecture et l’interprétation du texte coranique pour les rendre moins influents ou les faire taire à jamais. À cet effet, il semble que l’approche de Mahmoud Muhammad Taha, surnommé le Gandhi du Soudan, est on ne peut plus actuel. Nous la trouvons judicieuse et nous pensons qu’il était plus que temps pour la dépoussiérer et la mettre à jour afin que les musulmans l’adoptent. Cette approche propose une voie salutaire aux musulmans qui croient à un islam de tolérance. Grâce à elle, le musulman sera en mesure de dépasser le paradoxe dans lequel l’islamisme l’emprisonne aujourd’hui.
Le Gandhi du Soudan , dans son livre intitulé en arabe «Le deuxième message de l’Islam», publié pour la première fois en 1967 et traduit en français sous le titre «Un Islam à vocation libératrice» en 2002, invite les musulmans à ne considérer fondamental dans le Coran que ce qui appelle à la tolérance et à l’égalité, et cela peut se faire, selon lui, en renversant la règle générale qui dit que les derniers versets coraniques abrogent les premiers ; car c’est cette règle qui donne une autorité aux sourates médinoises appelant à l’intolérance et à la violence au détriment des sourates mecquoises prêchant la tolérance et l’égalité. Cependant, si l’on fait un effort intellectuel et que l’on renverse la logique de cette règle, l’islam de la tolérance prendra forcément le dessus sur l’islam de la violence; car pour ce penseur, l’islam authentique est l’islam des sourates mecquoises, par contre l’islam des sourates médinoises est conjoncturel.
Cette approche est basée sur la distinction que les juristes musulmans font entre les chapitres mecquois du Coran (révélés à la Mecque avant 622) et les chapitres médinois (révélés à Médine après 622). Mais, malheureusement, cette distinction est moins évidente dans le Coran; car celui-ci tel qu’il est organisé ne respecte pas l’ordre chronologique de la révélation. Dans l’ensemble, il est organisé selon la longueur de ses sourates(chapitres), ce qui rajoute à la confusion ; car on peut y trouver des sourates médinoises précédant les sourates mecquoises. Or chronologiquement, ce sont les premières qui succèdent aux deuxièmes.
L’islamisme sournois et les bienpensants de l’occident
Les propos de ce penseur non seulement dérangeaient l’ordre établi au Soudan, mais aussi celui de l’ensemble des pays arabo-musulmans. Son destin était ficelé par les islamistes, il a été condamné à mort en 1985 par un tribunal islamique du régime des Frères Musulmans, à l’âge de 76 ans. Sa condamnation n’est pas étrange à l’islamisme d’aujourd’hui font. Il a été accusé d’apostasie et exécuté publiquement avec la bénédiction de l’institution d’El Azhar et de la Ligue Islamique Mondiale(LIM, 1962).
Cette dualité inhérente au discours coranique que Mahmoud Muhammad Taha a soulevé est exploitée intelligemment par les islamistes de tous bords en occident. En effet, sans gêne aucune, lorsque ces islamistes se retrouvent dans une situation de faiblesse ou dans un environnement hostile à leur idéologie, ils ont tendance à se référer aux sourates mecquoises qui parlent de tolérance ; ils servent à volonté un discours très moderne, un discours tolérant qui accepte les valeurs de la modernité comme la laïcité, la démocratie et les droits de l’homme. Bien pire, ils n’hésitent pas à pousser leur simulacre à la limite du concevable, en prétendant qu’ils sont féministes et défenseurs de l’égalité entre les deux sexes. Souvent, pour berner les masses, ils ressortent le verset coranique célèbre :«Nulle contrainte dans la religion! La bonne direction s’est distinguée du fourvoiement. Quiconque mécroit aux idoles et croit en Dieu, tient à l’attache la plus sûre et imbrisable. Dieu est écouteur, connaisseur» (2:256). Par contre, tout en croyant à leurs messages, ils font tout pour dissimuler les versets prêchant la violence, comme le fameux verset du sabre « Après que les mois sacrés expirent, tuez les polythéistes où que vous les trouviez. Capturez-les, assiégez-les et guettez-les dans toute embuscade. Si ensuite ils se repentent, accomplissent la Salat et acquittent la Zakat, alors laissez leur la voie libre, car Allah est Pardonneur et Miséricordieux » (Sourate 9 – Verset 5)». Ne sous-estimez pas cette démarche, c’est une stratégie qui a donné ses fruits dans beaucoup de pays occidentaux.
Ainsi, avec ce stratagème, ils ont pu faire alliance avec des forces politiques dites progressistes qui ont des idéologies similaires aux progressistes qu’ils assassinent et menacent dans d’autres contrées; des centaines d’intellectuels et de journalistes ont été assassinés par ces pseudo démocrates parce qu’ils sont progressistes. Ce qui est absurde est que les progressistes occidentaux deviennent leurs compagnons de route, leurs fervents défenseurs. En plus, grâce aux régimes autoritaires de l’ensemble des pays dits arabo-musulmans, ces mouvements ont réussi à se faire passer pour des victimes des dictatures. Ce qui fait qu’aujourd’hui ils sont considérés comme des défenseurs des droits de l’homme, voire de la démocratie et même de la laïcité.
Comme ils sont minoritaires en occident, ils se contentent de la laïcité halal, de la laïcité ouverte et perméable que le multiculturalisme couve au sein des démocraties occidentales. Or, en réalité, leur idéologie désigne, comme des maux à extirper de la société musulmane et de l’humanité, les valeurs que la modernité véhiculent. Dans les pays arabo-musulmans là où leur discours est soutenu par un contexte culturel, social, voire politique, ces valeurs sont accusées de tous les maux. Bref, les islamistes de tous bords les considèrent comme étant des valeurs impies et sataniques qu’il faut combattre par tous les moyens, même par la violence et la liquidation physique. En fait, ce sont des atrocités similaires que celles que Boko Haram et l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) mettent en spectacle dans les réseaux sociaux.
Les musulmans sont confrontés à ce dilemme : comment condamner la violence sans condamner la religion qui la génère? Ils ne savent pas comment procéder pour dissocier la violence de leur religion, ils n’arrivent pas à se démarquer clairement et surtout définitivement de l’atrocité que les groupes islamistes perpètrent. Certainement, l’exercice est difficile à faire, mais il reste que la situation est pénible à supporter.
Au juste, le musulman dit modéré est appelé à choisir entre le statu quo du spectateur et une révolution de l’acteur aspirant à construire par lui-même l’image par laquelle il aime être identifié. Le moins que nous puissions dire est que la voie est tracée depuis presque un demi siècle par Mahmoud Muhammad Taha, il n’a qu’à la suivre.
En effet, il est temps de ressusciter ce penseur pour contrecarrer l’islam politique et désarmer idéologiquement Boko haram, l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) et tous les mouvements et organisations islamistes qui sèment la terreur partout dans le monde.
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