Le 06 janvier 2010, le Devoir publiait un article de Benoit Renaud (en réponse à un article de Michèle Sirois) intitulé [Québec solidaire ose aller à contre-courant->24906], énonçant la position officielle de Québec solidaire (QS) sur le port de signes religieux. Voici son argument de fond : «Pour Québec solidaire, les droits de la personne sont à prendre en bloc et sont tous importants. On ne peut pas simplement nier à un ensemble de personnes leur liberté d’expression et de religion, par exemple en interdisant le port de «tous» les signes religieux par «toutes» les personnes qui travaillent directement ou indirectement pour le gouvernement du Québec, au non du principe de laïcité.» Donc, pour le parti QS, la religion relève de la liberté d’expression, alors que la laïcité, elle, n’est qu’un principe - qui, selon son texte, serait appliqué arbitrairement par les bureaucrates.
Et si la laïcité relevait du respect élémentaire d’un pacte social, celui de ne pas faire de militantisme dans des lieux qui, par définition, ne sont voués ni au culte, ni aux débats ni aux rassemblements, mais constituent des endroits dédiés à la dispensation des services à la collectivité et qui, pour cette raison, sont décrétés neutres ? On sait gré à l’ancien premier ministre Paul Sauvé d’avoir dépolitisé la fonction publique québécoise. Faudra-t-il un jour la déreligioniser ?
Puisque tous les droits de la personne sont importants, pourquoi ne pas permettre aux fonctionnaires d’arborer de manière voyante le logo de leur parti, par exemple, sur leur lieu de travail ? Mais, nous dit M. Renaud, contrairement aux religions, aucun parti politique n’exige de porter un vêtement ou un signe distinctif : comparer ces deux domaines relève donc d’une «erreur de méthode». Ah! Bon. Tous les droits sont importants et à prendre en bloc, mais à cause de la méthode, Québec solidaire juge les droits religieux plus fondamentaux. Quelle serait alors la position de QS s’il arrivait qu’un parti politique fasse du port spectaculaire d’un signe distinctif une condition d’appartenance?
Nous avons eu à l’automne 2009 une démonstration convaincante de cette approche. L’avant-projet de loi n° 16 - Loi favorisant l'action de l'Administration à l'égard de la diversité culturelle de la ministre libérale Yolande James - retiré presque aussi vite que déposé - aurait permis, par exemple, d’invoquer un motif religieux pour ne pas se faire servir par un fonctionnaire de tel sexe dans un bureau de l’administration publique. Quant à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), mise sur pied par le gouvernement dans la foulée du rapport de la commission Bouchard-Taylor, dans le même esprit que l’avant-projet de loi no 16, elle a effectivement reconnu ce droit à des juifs hassidiques qui le réclamaient, dans une décision rendue en janvier 2009. Venant des Libéraux et de leurs créatures, cette idéologie n’étonne pas. Mais il est désolant de voir Québec solidaire s'installer dans la même confusion.
Pour M. Renaud, l’interdiction du voile dans les lieux gouvernementaux au nom de la laïcité n’est qu’une façade pour des esprits fanatiques qui, sous couvert de défendre l’égalité des sexes, entretiennent une xénophobie à l’égard des immigrants, des musulmans en particulier, dans un contexte à la fois de guerre impérialiste contre les pays musulmans de la Palestine à l’Afghanistan et de crise économique conduisant à une offensive contre les droits des femmes et le mouvement féministe. La position anti-voile serait une manoeuvre de détournement pour occulter le fait que l’oppression sexiste continue d’exister dans les sociétés occidentales et elle rabaisse les femmes musulmanes au rang de victimes domestiques incapables de penser par elles-mêmes. Méchant tour de manège, M. Renaud !
Québec solidaire ne peut pas ne pas savoir que dans les pays musulmans, la lutte contre le voile a été lancée historiquement et continue d’être menée par des féministes, souvent au prix de leur vie ; que le voile se rattache à tout un train d’attitudes fondamentalistes, dont nous éprouvons ici même les effets (par exemple, le cafouillage actuel sur le voile comme costume ou pas costume avec ou sans écusson, à l’école Marguerite de la Jammerais de Montréal). Des pays musulmans comme la Tunisie (10,5 millions d’habitants) et la Turquie (76 millions) interdisent le port du voile à l’école et dans les administrations publiques et en Indonésie (240 millions), pourtant à 85% musulman, le port du voile n’a jamais été obligatoire (malgré d’inquiétantes poussées d’islamisme récemment qui ont rendu le voile obligatoire dans certaines régions). Partout où progresse l’islamisme, les libertés régressent. Le Québec s’est purgé de son propre fondamentalisme catholique, il a abhorré l’intégrisme protestant de l’ère George W. Bush, mais pour QS il devrait accepter le fondamentalisme islamique – à ne pas confondre avec l’ensemble de la communauté musulmane – sous peine de xénophobie. Cherchez la logique ! À ce qu’on sache, personne au Québec n’interdit aux femmes de se voiler : l’enjeu porte spécifiquement sur les écoles et les services publics.
Pour Québec solidaire, le débat sur la laïcité est un faux problème susceptible de semer la division chez les travailleurs du secteur public ; les vraies priorités sont plutôt le renforcement du français comme langue de travail, l’avènement de l’indépendance du Québec et le maintien des services publics et des droits acquis. Incontestablement, ce sont là des priorités, mais en quoi rendraient-elles non pertinente la question de la laïcité ?
Pendant plus de quarante ans, une bonne partie de la gauche québécoise a considéré l’indépendance du Québec comme un détournement des «vrais» problèmes, socioéconomiques ceux-là. Québec solidaire a pourtant fini par reconnaître que l’indépendance, loin d’être une diversion, constitue bel et bien un enjeu majeur. On souhaite à ses militants, ainsi qu’à tous les adeptes de pensée molle des autres partis, d’évoluer de la même manière sur la laïcité. Conformément aux principes qu’il dit défendre, que M. Renaud reconnaisse alors aux femmes musulmanes la capacité de décider par elles-mêmes si leur croyance peut s’accomoder d’un statut de fonctionnaire d’un État laïque et d’une pleine intégration sociale. En France, malgré l’interdiction du voile dans l’administration publique et les écoles, il semble que les mariages entre musulmanes et non musulmans soient proportionnellement plus nombreux qu’aux États-Unis ou en Angleterre, où le voile n’est interdit nulle part, ce qui n’est pas si étonnant : les musulmanes sont plus visibles.
Dans son article [Pour un islam du Québec->9039] (Le Devoir, 19 sept. 2007), Khadiyatoulah Fall, titulaire de la chaire d'enseignement et de recherche interethniques et interculturels de l’Université du Québec à Chicoutimi, lui-même musulman pratiquant déclaré, attire l’attention sur un concept de la charia, l’«arrouhsatou», qui signifie en arabe « permission », « dérogation » et qui autorise les croyants à adapter leurs pratiques aux conditions sociales ambiantes sans pour autant déroger aux principes de leur foi. Bien sûr, les fondamentalistes ne veulent rien savoir de l’arrouhsatou et, dans leur refus de toute adaptation, ils peuvent compter sur la pensée molle de Québec solidaire et ses émules. Ce faisant, Québec solidaire contribue à entretenir ce qu’il dénonce : le risque de confusion entre les intégristes et l’ensemble de la communauté musulmane.
Robert Sarrasin, La Tuque
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