La place de la religion n'est pas à l'école

Le texte qui suit a été tiré du mémoire du Mouvement laïque québécois présenté au Groupe de travail sur la place de la religion à l'école.

Laïcité — débat québécois

Bien des gens croient que la question de la confessionnalité scolaire a été réglée une fois pour toute avec l'établissement de commissions scolaires linguistiques. Pourtant, il n'en est rien. Tous les aspects de la confessionnalité sont demeurés en place au niveau des écoles qui ont encore leur statut confessionnel, des projets éducatifs confessionnels, de l'enseignement religieux confessionnel et de la pastorale. Au sein des structures du système scolaire, le Comité catholique du Conseil supérieur de l'éducation, dont les membres sont nommés ou agréés par l'Assemblée des évêques, est toujours en place et détient toujours le pouvoir de légiférer sur les aspects confessionnels des écoles et de l'enseignement. Le tout est protégé par la clause dérogatoire !
À l'automne 1997, la ministre de l'Éducation, Pauline Marois, a mis sur pied un groupe de travail, présidé par Jean-Pierre Proulx, chargé d'étudier la place à accorder à la religion à l'école. Le rapport de ce groupe est attendu pour janvier et sera suivi d'une commission parlementaire. L'enjeu est crucial ; il en va de l'avenir de notre système d'éducation. Veut-on un système scolaire démocratique, centré sur les valeurs humanistes et républicaines, ou un système morcelé en ghettos ethniques et religieux ?
La Charte et ses négations
L’élément de base sur lequel s'appuie le Mouvement laïque québécois pour fonder la nécessité d’un système scolaire laïque est le respect des droits fondamentaux de tous tels qu'exprimés dans la charte québécoise et dans la charte canadienne des droits et libertés.
Dans son document de consultation, le Groupe de travail sur la place de la religion à l'école éprouve de la difficulté avec le fait que la charte québécoise mentionne, à l’article 41, que les parents ont le droit d’exiger un enseignement religieux conforme à leur conviction « dans le cadre des programmes prévus par la loi ». Cet article n’est évidemment pas à mettre sur le même pied que les articles 3 et 10 énonçant les droits fondamentaux et les discriminations interdites. L’article 41 est une négation de l’article 3 et ne devrait tout simplement pas figurer dans une charte des droits qui se voudrait cohérente. Il va de soi que la laïcisation de l’école commande l’abrogation de cet article.
Pour la même raison, le Mouvement laïque s'oppose avec vigueur au recours à la clause dérogatoire dans les lois sur l’éducation. Cette situation est une véritable infamie et couvre de honte ceux qui ont réclamé un tel aménagement — c’est-à-dire l’Assemblée des évêques —, de même que ceux qui leur ont accordé cette suspension des droits fondamentaux injustifiable dans une société libre et démocratique.
Qu’y a-t-il donc dans les droits fondamentaux qui porte atteinte ou qui menace le droit à la liberté de religion des catholiques ? Rien du tout, bien sûr. Rien du tout ne pourrait donc justifier le maintien de cette clause dérogatoire.
Face aux croyances religieuses, le rôle d’un État laïque et démocratique est de n’en favoriser aucune et de protéger la liberté de religion ; cette liberté inclut le droit d’adhérer à une croyance de son choix, d’en pratiquer le rite et de la transmettre, le tout dans les limites imposées par les lois civiles. Aucun État démocratique n’interprétera ce rôle comme étant une obligation d’assurer la transmission de la foi à la place de l’une ou l’autre des Églises auxquelles ses citoyens adhèrent. C’est pourtant la situation singulière dans laquelle on se retrouve au Québec.
Le retrait de la clause dérogatoire constitue donc le principal objectif à atteindre dans l’immédiat afin de démocratiser le système scolaire. Toute réforme qui laisserait en place une telle clause, ou un équivalent juridique, ne serait rien de moins qu’un échec.
La société distincte
Nous parlons d’une situation singulière puisque, à part Terre-Neuve, le système scolaire confessionnel est une particularité dont le Québec pourrait bien se passer. En Colombie Britannique, au Manitoba, au Nouveau Brunswick, en Nouvelle Écosse, à l’Ile-du-Prince-Édouard et au Yukon, le système scolaire public est non confessionnel. En Ontario, en Alberta, en Saskatchewan et dans les Territoires du Nord-Ouest existe un réseau scolaire séparé catholique, mais la règle de base du système scolaire public est la non-confessionnalité. (Ces informations sont tirées d’un document du Comité catholique [Note 1]).
Le Comité a également pris note que le système scolaire américain est essentiellement laïque ; une disposition de la constitution américaine assure d’ailleurs la séparation des Églises et de l’État, tout comme en France et au Mexique. Pas plus dans ces pays que dans les autres provinces canadiennes ne voit-on les adeptes des religions se plaindre que leur droit à la liberté de religion est brimé par la non-confessionnalité de l’école publique.
Le Comité catholique a également examiné la situation dans plusieurs pays européens. Même là où l’école accorde une certaine place à l’enseignement religieux, le Comité a été incapable de trouver un seul pays où la situation soit comparable à celle du Québec, c’est-à-dire une école avec un statut juridique confessionnel, un projet éducatif confessionnel, de l’animation pastorale, de l’enseignement religieux confessionnel, des comités confessionnels nommés par le clergé au sein du ministère de l’Éducation, le tout soustrait aux droits fondamentaux par une clause dérogatoire.
Culture publique commune et concordat
Malgré son constat, le Comité catholique n’en demeure pas moins attaché au maintien intégral de tous ces éléments, même dans les écoles « non confessionnelles » qu’il se dit prêt à accepter. Le Comité est en fait passé maître depuis des années dans l’art de récupérer le discours humaniste pour le mettre au service du statu quo confessionnel.
Le Comité catholique a toujours prétendu, par exemple, que les écoles catholiques étaient des écoles communes respectueuses de la diversité. Mais maintenant que la notion de culture publique commune commence à faire sa marque dans le discours civil et porte un coup à l’enseignement religieux confessionnel dans les écoles, le Comité catholique change de discours et s’en prend à cette notion de culture commune.
Dans son document sur l’évaluation du vécu confessionnel, le Comité affirme que « le projet d’école publique commune devient de plus en plus difficile à mettre en œuvre dans des sociétés très pluralistes ». Ce pluralisme rendrait « virtuellement impossible une école laïque » [Note 2]. Pourtant, dans un avis récent, le Comité catholique recommandait que « toute école confessionnelle soit astreinte aux conditions nécessaires pour qu’elle puisse demeurer ouverte et commune, dans le respect des libertés de conscience et de religion, et à l’intérieur du cadre défini par un régime pédagogique commun » [Note 3].
S’il faut en croire le Comité catholique, l’école confessionnelle peut être une école commune, mais il ne peut pas y avoir d’école commune laïque !
Si tous les éléments confessionnels sont encore en place, ce n’est sûrement pas à cause de la force et de la pertinence des arguments du Comité catholique, mais à cause du poids du concordat tacite convenu entre le gouvernement du Québec et les évêques. Lorsqu’il était ministre de l’Éducation, Claude Ryan a reconnu dans un discours mémorable à l’Assemblée nationale qu’il y avait « une entente conclue entre les autorités religieuses et les autorités gouvernementales » pour protéger et maintenir la confessionnalité scolaire, que « le gouvernement avait eu des pourparlers élaborés avec les autorités religieuses » pour imposer la clause dérogatoire, qu’il y avait « une parfaite concordance de vue entre le Comité catholique et l’intention du ministre » sur la confessionnalité scolaire [Note 4]. Cela s’appelle un concordat.
C’est en vertu de ce concordat que la confessionnalité scolaire tient toujours et non pas parce qu’elle est soutenue par une analyse sociologique, philosophique ou pédagogique cohérente. Ce concordat tient parce qu’aucun gouvernement n’a eu le courage politique d’y mettre fin.
Dans l'actuelle bataille du long combat pour la défense de l'école publique, la priorité est donc d'amener le gouvernement à jouer son véritable rôle d’autorité civile, à mettre fin au concordat scolaire et à se conformer aux règles démocratiques exposées plus haut.
Le « vécu » confessionnel
La situation créée par la confessionnalité scolaire et protégée par la clause dérogatoire n’est pas qu’une contradiction de principe; c’est une situation fondamentalement discriminatoire pour ceux et celles qui ne sont pas de l’une ou l’autre des deux religions dominantes au Québec, soit les religions catholique et protestante.
Nous recevons chaque année au Mouvement laïque plusieurs plaintes de parents qui voient les droits de leurs enfants niés par les dispositions confessionnelles. Voici un exemple de cas soumis récemment à notre attention. Une mère nous signale que ses deux enfants se sont retrouvés inscrits comme catholiques alors qu’elle avait coché la case « autre » sur les formulaires de demande d’admission à la Commission scolaire du Sault-Saint-Louis. Deux « erreurs » sur deux, et cela dans le cadre des nouvelles commissions scolaires soi-disant linguistiques ! Cette mère a toujours été active dans les écoles qu’ont fréquentées ses enfants et a pu observer qu’une telle pratique a été, jusqu’à l’an dernier, systématique. Elle a même observé que le directeur d’une des écoles remplissait lui-même les formulaires lors d’entrevues avec les parents, sans s’informer de leurs orientations en matière de religion, et cochait tout bonnement la case « catholique ».
Après plusieurs plaintes, cette mère a fini par apprendre que le système informatique inscrivait par défaut tous les enfants comme « catholiques » ! Cette situation a duré pendant au moins cinq ans jusqu’à ce qu’elle obtienne l’intervention du syndicat des enseignants pour faire changer cette pratique.
Ce cas est loin d’être aussi banal qu’il peut en avoir l’air. Comment en effet peut-on présumer que la liberté de conscience prônée par le Comité catholique dans ses écoles confessionnelles sera respectée dans un contexte où les principaux acteurs ne sont même pas conscients de brimer les droits les plus élémentaires des citoyens qu’ils desservent ? Pour chaque parent qui fait valoir ses droits, combien se taisent ? Combien ne sont même pas au courant qu’il peut y avoir un problème ? Que peut-on attendre d’un « cours de morale » dans une école où l’on ne peut même pas concevoir que des enfants puissent être non catholiques ?
Ce cours de morale apparaît d’ailleurs aux yeux de la plaignante comme « une incroyable perte de précieux temps d’enseignement ». Il faut avoir été présent dans les écoles primaires et secondaires pour savoir comment cette mère a raison. Et la situation n’est bien sûr pas plus reluisante dans les cours de religion.
Plusieurs autres exemples du genre sont cités dans le volume Les mensonges de l’école catholique (Baril, VLB, 1995). Le Mouvement laïque québécois a d'ailleurs à plusieurs reprises, réclamé auprès du ministère de l'Éducation une enquête sur la situation qui prévaut en formation morale, mais personne évidemment ne veut soulever le voile qui cache une situation tout simplement scandaleuse, non seulement en perte de temps, mais en aussi en récupération idéologique et religieuse et en déni des droits fondamentaux.
L'école laïque et le désir de la population
La seule façon d'éviter de tels problèmes est de laïciser le système scolaire, les structures et l'enseignement. Une école laïque exclut tout contenu confessionnel, que ce soit l’enseignement religieux, l’animation pastorale, les projets éducatifs confessionnels, les fêtes religieuses, la prière, les statuts juridiques confessionnels, les conseillers en éducation chrétienne ou encore les comités confessionnels au Conseil supérieur de l’éducation. Mais une école laïque ne se définit pas seulement par la négative. Elle se distingue par son projet éducatif humaniste qui met à l'avant-plan les valeurs démocratiques et le plein épanouissement des habilités du jeune. Cette position rejoint celle de la commission des États généraux sur l’éducation qui proposait de laïciser le système scolaire et l’enseignement. Les États généraux sont arrivés à cette conclusion après avoir fait une étude exhaustive de la question, au terme de laquelle les commissaires ont dû constater qu’il n’y avait pas trente-six solutions.
Malgré le discours dominant, nous sommes convaincus que la population préférerait une école laïque à l’école confessionnelle actuelle si les choses lui étaient bien présentées. Un sondage effectué par la Coalition pour la déconfessionnalisation du système scolaire montre que 88 % de la population préféreraient que les catholiques et les protestants puissent fréquenter les mêmes écoles et que près de 72 % préféreraient une approche culturelle du phénomène religieux plutôt qu’une approche confessionnelle [Note 5].
Le même sondage révélait que plus de 67% de la population considèrent qu’il n’est pas important qu’une école véhicule les croyances d’une religion particulière. Ceci a été à nouveau confirmé par un sondage plus récent réalisé par le quotidien La Presse : seulement 17 % de la population considèrent très important le rôle de l'école dans l'éducation aux valeurs religieuses, alors que 52 % le considèrent peu ou pas du tout important [Note 6].
Ces sondages, de même que les travaux des États généraux, réduisent en miette les prétentions du Comité catholique soutenant que son école confessionnelle répond au désir de la population.
Culture religieuse
À l’instar des États généraux, plusieurs de ceux qui sont favorables à la laïcisation de l‘école réclament également un cours de culture religieuse. Même si cela n'est pas contradictoire avec une école laïque, cette proposition soulève de nombreuses questions. Il y a d'une part un risque réel qu'un tel cours serve à introduire encore plus de religion à l'école. Le risque est d'autant plus grand que les structures et services confessionnels n'ont pas été démantelés.
On peut également se demander s'il appartient à l’école de transmettre la culture religieuse ; l'intérêt pour ces questions vient généralement après l'âge scolaire et l'information pertinente peut très bien être recueillie auprès des groupes et organismes qui ont la mission de faire rayonner leur culte.
De plus, même si toute ignorance est à combattre, il est évident que les lacunes observées sur le plan de la culture religieuse ne constituent pas le principal problème auquel l’école doit s’attaquer. Les lacunes au niveau de la maîtrise du français, des mathématiques et des sciences ont des conséquences beaucoup plus graves et immédiates pour les jeunes. On peut constater chaque jour que le manque de culture scientifique ou de pensée critique laisse les gens sans armes face aux vendeurs d’illusions que sont les gourous et autres manipulateurs de la crédulité populaire. L’école a un rôle primordial à jouer dans le développement de la pensée critique et elle ne peut s'acquitter d'une telle tâche qu’en se défaisant d’abord de son contenu idéologique confessionnel. Le temps récupéré par le retrait de l’enseignement religieux pourrait donc être plus judicieusement consacré à l’enrichissement des matières de base comme le français, l’anglais, les sciences et les mathématiques.
Il faut également éviter que l'éventuel cours de culture religieuse ne soit introduit dans le cours de formation morale comme l'a proposé le Comité sur le curriculum présidé par Paul Inchauspé. Dans un contexte confessionnel, ce cours de formation morale, malgré ses défauts, constitue le seul abri dont peuvent bénéficier ceux qui refusent la confessionnalité ou la religion sous toutes ses formes. Y introduire un volet culture religieuse fausserait les objectifs et la raison d’être du cours en plus d’être incompatible avec les méthodes pédagogiques sur lesquelles la formation morale est fondée.
Dans l'esprit des États généraux sur l'éducation, la proposition d'un cours de culture religieuse se voulait un remplacement du cours d’enseignement religieux confessionnel et non une façon supplémentaire d’introduire de la religion à l’école. Un tel volet dans le cours de morale augmenterait les risques déjà bien réels de récupération idéologique et donnerait le coup de grâce au peu de crédibilité dont dispose encore le cours de morale auprès de la clientèle à qui il est destiné.
Conclusion
Aucune raison ne saurait retarder la laïcisation complète du système scolaire, de l’école et de l’enseignement publics au Québec. Après avoir célébré le cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme, l'école québécoise offre le piteux spectacle d'être l'une des seules écoles publiques en Occident où les droits fondamentaux ne sont pas respectés dans leur intégralité. Il est inadmissible d'envisager franchir le cap du troisième millénaire en traînant avec nous un vestige du 19e siècle alors que le Canada se fait le champion de la défense des droits fondamentaux sur la scène mondiale.
Notes:
(Note 1) Le point sur l’école catholique, Comité catholique, Conseil supé-rieur de l’éducation, Québec, 1995.
(Note 2) L’évaluation du vécu confessionnel. L’école catholique ; un choix éducatif et culturel, Comité catholique, Conseil supérieur de l’éducation, Québec, février 1996, p. 29.
(Note 3) Vers un nouvel équilibre. L’évolution de la confessionnalité scolaire, Comité catholique, Conseil supérieur de l’éducation, Québec, février 1997, 23.
(Note 4) Assemblée nationale, Journal des débats, 9 décembre 1986. (De larges extraits du discours sont cités aux pages 86 à 89 dans Les mensonges de l’école catholique, Daniel Baril, VLB, 1995.)
(Note 5) Les structures confessionnelles du système scolaire québécois, Sondagem, Montréal, septembre 1996.
(Note 6) « Pas facile de transmettre des valeurs à ses enfants », Jules Béliveau, La Presse, samedi 8 avril 1998, p. B-4.
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Extrait publié dans la revue CONJONCTURES, Montréal, no 28, automne 1998, pp. 79 à 90.
Daniel Baril

Vice-président du Mouvement laïque québécois


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