Le dernier conflit entre Israël et le Hamas dans la bande de Gaza a fait resurgir le rôle politique de l'Iran au Proche-Orient. La plupart des médias et des observateurs présentent le Hamas comme un mouvement «instrumentalisé» par Téhéran, voire «inféodé» à ses intérêts. Toutefois, les rapports entre l'Iran et le Hamas restent plus complexes. En fait, c'est surtout un concours de circonstances qui a pu unir de manière récente et surprenante un mouvement palestinien sunnite à une théocratie perse chiite.
Financement du Hamas
À la suite des attentats du 11 septembre 2001, l'administration Bush pressa l'Arabie saoudite d'arrêter son soutien financier et logistique aux différents mouvements sunnites armés. Les talibans en Afghanistan et le Hamas en Palestine furent parmi les premiers à subir de plein fouet ces compressions. Pour les dirigeants du Hamas, il était urgent de trouver un nouveau soutien, d'autant plus que la situation devenait pressante après leur victoire électorale en 2006 et à la suite du coup de force qui donna au mouvement palestinien le contrôle total de la bande de Gaza un an plus tard. Dans cette optique, la République islamique d'Iran vu plusieurs avantages stratégiques à jouer le rôle de banquier.
L'Iran au Proche-Orient
Bien avant son rapprochement avec le Hamas, l'Iran influençait déjà la géopolitique du Proche-Orient, principalement par la création et le soutien du mouvement chiite libanais Hezbollah («le parti de Dieu»). Lors de la guerre civile libanaise (1975-1990) et à la suite de l'occupation israélienne du Sud-Liban en 1982, l'Iran vit l'opportunité d'entrer dans le jeu politique régional par l'entremise des 35 % de Libanais de confession chiite. Le Hezbollah offrait donc à la toute récente République islamique d'Iran -- une théocratie chiite -- un outil efficace pour contrecarrer les pressions de ses différents adversaires, qu'ils soient américain, israélien et arabe.
Depuis son entrée sur la scène libanaise, le Hezbollah a toujours été une organisation structurée et disciplinée qui respecte assidûment les limites tracées par Téhéran. Une discipline qui est loin d'être égalé par le Hamas et qui d'ailleurs n'a jamais été retrouvée parmi les autres groupes armés soutenus par l'Iran au Moyen-Orient, à l'exemple du djihad islamique en Palestine ou de Moqtada al-Sadr en Irak. Malgré tout, l'Iran jugea qu'un rapprochement avec le Hamas correspondait à ses intérêts.
Le discours anti-israélien de l'Iran
Le discours provocateur à l'encontre de l'État hébreu et le soutien au Hamas sont des faits et gestes iraniens réfléchis et calculés. Par l'entremise de son allié palestinien, Téhéran oblige son rival israélien à se placer dans un état d'alerte quasi permanent. Une manoeuvre permettant à la République islamique de diffuser une éventuelle intervention militaire américaine ou israélienne contre elle. Une stratégie similaire à l'actuelle politique iranienne en Irak.
Avantages stratégiques pour l'Iran
Les déclarations controversées du président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, atteignent le but recherché, car elles surpassent et transcendent la dissension chiites-sunnites pour porter vers un discours rassembleur auprès de la «cause musulmane»: la lutte contre l'État d'Israël. À vrai dire, cela est l'unique manière pour un Iran ethniquement perse et de religion chiite d'intervenir au coeur du monde arabe de foi sunnite.
Bref, comme le reste de sa politique populiste, le président Ahmadinejad renoue avec la tradition du père fondateur de la République islamique, l'ayatollah Khomeiny, qui voyait des avantages stratégiques à s'opposer à Israël. Le rapprochement avec le Hamas entre ainsi dans ce calcul pragmatique des décideurs iraniens.
Le soutien au Hamas revêt deux principaux avantages stratégiques. D'une part, l'Iran désamorce les pressions issues de l'alliance américano-israélienne et celles des régimes arabes sunnites hostiles à son égard comme l'Égypte ou l'Arabie Saoudite. D'autre part, cette position accroît l'influence iranienne au Moyen-Orient, faisant de la République islamique un acteur incontournable sur les grands dossiers de la région.
Cette stratégie offre à l'Iran une carte de plus dans son jeu. Un atout d'autant plus intéressant, en particulier avec d'éventuelles négociations avec les États-Unis au sujet du programme nucléaire iranien. Possibilité que Téhéran contemple avec intérêt depuis l'élection de Barack Obama.
L'Iran et la situation actuelle à Gaza
À première vue, les décideurs iraniens ne perçoivent pas d'un bon oeil l'actuel conflit dans la bande de Gaza. À l'instar de ses rivaux sunnites tels que l'Arabie Saoudite, l'Iran semble devenir une puissance recherchant le statu quo. Plutôt que d'affronter Israël par procuration par l'entremise le Hezbollah ou le Hamas, l'Iran préfère désormais asseoir ses acquis au Proche-Orient. Par exemple, Téhéran cherche plutôt à profiter de sa grande popularité au sein de la «rue arabe et musulmane» que d'accentuer l'état de tension avec Tel-Aviv.
C'est dans cette optique qu'il faut analyser l'inaction du Hezbollah libanais dans le récent conflit israélo-palestinien. En refusant d'ouvrir un second front dans le nord d'Israël, le mouvement libanais n'apporta aucune aide à son «frère d'armes» du Hamas. Une intervention israélienne au Liban aurait inévitablement fait reculer les récents acquis politiques du Hezbollah et l'Iran voulait éviter une telle situation, surtout que ces gains se sont obtenus de peine et misère. En fait, c'est seulement avec les accords de Doha de mai 2008 que «le parti de Dieu» acquit un poids politique relativement équivalent à sa réelle influence au Liban. En d'autres termes, les dirigeants du Hezbollah et leurs confrères iraniens comprirent qu'il n'était pas dans leur intérêt de provoquer l'État hébreu.
Tout compte fait, malgré quelques condamnations de l'intervention israélienne par certains dirigeants iraniens, l'Iran ne semble pas être «la main invisible» derrière ce conflit. Au contraire, pour un État aussi actif sur la scène internationale, la République islamique d'Iran est inhabituellement oisive. En apportant peu d'aide au Hamas -- même indirectement par le Hezbollah --, l'Iran paraît même vouloir réfuter les multiples allégations d'interventionnisme faites à son égard.
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Sam Razavi, Candidat à la maîtrise en relations internationales à l'Université du Québec à Montréal
La relation stratégique entre le Hamas et l'Iran
Gaza: l'horreur de l'agression israélienne
Sam Razavi2 articles
Étudiant à la maîtrise en science politique à l'Université du Québec à Montréal, l'auteur s'intéresse à la politique étrangère iranienne.
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