"La République a besoin d'histoire", de Jean-Noël Jeanneney

Livres - revues - 2010

Réfléchissant en 1998, dans la Revue historique, à la "responsabilité de l'historien", François Bédarida expliquait que celui-ci se devait d'assumer une "mission de médiateur". L'historien, écrivait-il, "est le passeur qui procède à l'inscription du passé dans le présent, établissant ainsi un pont vers l'avenir et légitimant une lecture indéfinie des sources".
Cette définition, Jean-Noël Jeanneney pourrait la reprendre à son compte. "Médiateur", il l'est plus que quiconque : de la présidence de la mission de commémoration du Bicentenaire de la Révolution à celle du conseil scientifique des Rendez-vous de l'histoire de Blois ou du jury du Prix du livre d'histoire du Sénat, peu d'historiens ont, ces vingt dernières années, autant contribué à promouvoir le culte de Clio hors du cadre universitaire.
Quant au terme de "passeur", il lui convient parfaitement lui aussi, "l'inscription du passé dans le présent" constituant le principe même de "Concordance des temps", l'excellente émission qu'il présente le samedi sur France Culture depuis 1999.
Sans déserter le terrain de la recherche (ce dont témoignent ses travaux sur les médias, le duel ou Clemenceau), Jean-Noël Jeanneney a multiplié, ces dernières années, les ouvrages plus réflexifs, en particulier sur la place de l'historien dans la cité (Le Passé dans le prétoire, Seuil, 1998). C'est à cette catégorie qu'appartient son nouveau livre, La République a besoin d'histoire, qui rassemble une vingtaine de textes écrits entre 2000 et 2010.
Ce volume, auquel l'auteur a donné le même titre qu'à une précédente anthologie publiée il y a dix ans aux éditions du Seuil, se lit comme une leçon de discernement, teintée d'un mélange d'optimisme et d'inquiétude.
Certes, celui-ci n'ignore pas les difficultés actuelles. Mais, explique-t-il en se démarquant du "pessimisme rageur et désabusé" d'un Pierre Bourdieu, l'horizon n'est pas si sombre qu'il y paraît. La presse, rappelle-t-il, est moins corrompue que sous la IIIe République, le paysage audiovisuel plus libre qu'au début de la Ve et le public, d'une façon générale, beaucoup plus adulte aujourd'hui qu'hier.
Contre ceux qui voient dans le zapping une pratique encourageant "l'hébétude de la dispersion", l'historien pense ainsi que le "saute-chaînes", comme disent les Québécois, offre au téléspectateur devenu "programmateur" la possibilité d'une "culture mieux construite".
DEUX DÉFIS À RELEVER
S'il se méfie "de ces gémissements sur la disparition des choses antérieures, qu'on embellit pour mieux les pleurer", Jean-Noël Jeanneney n'en est pas moins inquiet pour autant. Deux dossiers, en particulier, le préoccupent : l'avenir de l'audiovisuel public et celui de l'accès à la culture imprimée.
Homme de gauche (il fut secrétaire d'Etat au commerce extérieur puis à la communication sous François Mitterrand), l'ancien président de Radio France (1982-1986) et de la Bibliothèque nationale de France (2002-2007) craint dans les deux cas une dérive marchande.
De ce point de vue, son plaidoyer pour une "offre radiophonique" tenue à l'écart du "seul marché triomphant" fait écho à son combat contre le risque de voir Google exercer un "quasi-monopole dans le champ de la numérisation des livres". Deux défis que la France et l'Europe doivent selon lui relever si elles veulent rester fidèles à leur histoire.
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La République a besoin d'histoire. 2000-2010, de Jean-Noël Jeanneney. CNRS Editions , 232 p., 19 euros.
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Thomas Wieder


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