La Révolution tranquille en quête de paternité

attribuer la paternité de la Révolution tranquille à quelqu'un, qui que ce soit, revient à réduire d'autant sa portée, à la ramener aux seules proportions de l'individu en cause

Révolution tranquille - 50 ans!


[ Un texte paru dans les pages du Devoir de samedi, sous la plume du journaliste Christian Rioux->30635], voyait l'historienne Lucia Ferretti avancer l'hypothèse que Maurice Duplessis soit le véritable père de la Révolution tranquille. Une hypothèse osée, s'il en est. Telle était d'ailleurs la légende que l'on pouvait lire sous la photographie de Maurice Duplessis, cliché publié à la une, cliché pouvant être ici entendu dans les deux sens du terme.
Il va sans dire que Lucia Ferretti a proposé ce nom en parfaite connaissance de cause. Elle a voulu provoquer — mission accomplie d'ailleurs, en font foi les réactions acides et épidermiques sur le site Internet du Devoir — et remettre en question par le fait même le sempiternel clivage Grande Noirceur/Révolution tranquille dont on ne semble pouvoir s'extirper, malgré les années et les travaux historiens les plus récents qui revisitent la période. Force est d'admettre que ces mythes sont des plus tenaces! Il faut aussi dire que ce n'est pas la première fois que l'on avance le nom de Maurice Duplessis comme possible père de la Révolution tranquille. L'historien René Durocher a avancé cette idée dans les pages de L'Actualité, dès 1999.
Par cette proposition un brin provocatrice, pour le dire avec Christian Rioux, et fort polémique, Lucia Ferretti met en lumière un autre élément, soit celui de la paternité de la Révolution tranquille. Profitant de l'occasion qui m'est offerte par Lucia Ferretti, elle qui a lancé le débat si je puis dire ainsi, j'entre dans la danse! S'il est bien une quête qui semble persister dans les milieux historiens des dernières années, qu'ils soient professionnels ou amateurs, c'est bien celle de la paternité de la Révolution tranquille. Cette fichue paternité... Qu'on la cherche! Qu'on la désire! Qu'on la trouve, que diable! aurais-je presque envie de dire.
On ne compte plus d'ailleurs ceux qui peuvent prétendre, d'une manière ou d'une autre, à cette paternité tant désirée. De ce groupe, mentionnons-en quelques-uns pêle-mêle, dont certains ont d'ailleurs été relevés par Lucia Ferretti: Georges-Émile Lapalme, Jean Lesage, Paul Sauvé, Adélard Godbout, René Lévesque, Paul Gérin-Lajoie et Maurice Duplessis, sans aucun doute le plus controversé d'entre tous dans les circonstances.
Plus qu'une action individuelle
À cette quête de paternité se joint une autre quête, soit celle des signes précurseurs de la Révolution tranquille. Ceux-là sont légion. Que l'on pense au manifeste du Refus global, à l'émeute du Forum à la suite de la suspension de Maurice Richard, au «Désormais...» qu'aurait lancé Paul Sauvé à son arrivée au pouvoir, à ces foyers d'opposition au régime que furent Le Devoir, Cité libre et la faculté des Sciences sociales de l'Université Laval, et bien d'autres encore... Une fois de plus, on cherche avidement les signes avant-coureurs de cette Révolution tranquille du fait que l'on ne peut concevoir, ni admettre, qu'il s'agisse d'un phénomène de génération spontanée.
Pour revenir plus spécifiquement à la question de la paternité de la Révolution tranquille, je dois dire d'emblée que je comprends tout à fait les visées polémiques de René Durocher et Lucia Ferretti dans leur choix d'avancer le nom de Maurice Duplessis. J'y adhère même, jusqu'à un certain point. N'empêche, m'est avis qu'attribuer la paternité de la Révolution tranquille à quelqu'un, qui que ce soit, revient à réduire d'autant sa portée, à la ramener aux seules proportions de l'individu en cause. Un exercice qui m'apparaît vain, voire futile, puisqu'il ne peut en aucun cas rendre fidèlement compte des réalités de ce qui s'est passé, des processus à l'oeuvre qui dépassent bien largement la seule action individuelle ici magnifiée.
Tout comme Lucia Ferretti et bien d'autres historiens, dont Éric Bédard, Jocelyn Létourneau et Gérard Bouchard, pour n'en nommer que quelques-uns, j'espère que l'on pourra un jour revenir sur cette période charnière — et fascinante, au demeurant — de l'histoire du Québec, sans pour autant être pris au piège de l'éternel clivage Grande Noirceur/Révolution tranquille. Un voeu pieux? Qui sait. Selon le vieil adage, seul le temps nous le dira. Si l'on pouvait toutefois le faire sans devoir s'empêtrer des questions entourant la paternité supposée de la Révolution tranquille, ce serait déjà un gain en soi.


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