La mystique d’un vigoureux courant libéral

Le prof Jacques Rouillard se mêle du débat sur la Révolution tranquille

Révolution tranquille - 50 ans!

Dans un texte publié dans le journal Le Devoir du vingt-huit septembre, Jacques Rouillard - qui sévit dans le département d’histoire de l’Université de Montréal - a écrit un texte intitulé [«La mythique Révolution tranquille»->30950]. Avant de conclure son texte, il affirme tout pompeux que «La Révolution tranquille ne représente pas l’entrée du Québec dans la modernité. La société francophone comporte depuis longtemps une structure sociale diversifiée et elle est traversée par un vigoureux courant libéral qui fait contrepoids au conservatisme clérical. Les artisans qui ont lutté pour l’avènement de la Révolution tranquille l’ignorent et ils imaginent que le Québec a toujours vécu dans la Grande Noirceur».
Pour en venir à pondre de telles mystifications, M. Trouillard s’était mis à la tâche de postillonner au préalable que: «Le Québec francophone est travaillé par le processus d’industrialisation depuis la fin du XIXe siècle et le taux d’urbanisation des francophones est comparable à celui de la moyenne canadienne. Une vision libérale du développement de la société est portée par une faction importante de la bourgeoisie canadienne-française. Elle s’exprime tant dans le milieu des affaires francophones (nombreuses chambres de commerce) qu’à travers le Parti libéral qui domine complètement la vie politique au Québec pendant la première moitié du XXe siècle. Orientant ses politiques vers le développement industriel du Québec, il appuie les institutions démocratiques et défend du mieux qu’il peut l’autonomie de l’État par rapport à l’Église. Les quotidiens à grand tirage comme au début du siècle (La Presse, La Patrie, Le Soleil) diffusent sa vision libérale de la société».
Que le taux d’urbanisation des francophones soit comparable à celui de la moyenne canadienne n’apporte pas grand chose au débat et ne change absolument rien au fait que le «Québec francophone» n’a pas été «travaillé» par le processus d’industrialisation, il en a été la main d’œuvre à très bon marché. Les Québécois – une désignation dont semble avoir horreur l’apôtre du libéralisme, M. Latrouille - ont été exploités honteusement par des intérêts étrangers avec la complicité, voire la duplicité de sa bourgeoisie collaboratrice, souvent des adeptes de la langue fourchue du bilinguisme et du soutien à la conscription pour les guerres coloniales britanniques, ces collabos bradaient nos ressources pour moins que rien pendant cette période de la première moitié du XXe siècle.
Le parti dominé par l’importante faction anglophone de Montréal a imposé un régime colonial et malgré certaines lois dites progressistes, la vie politique au Québec pendant la première moitié du XXe siècle nous a donné des gouvernements libéraux des plus corrompus, si l’on fait exception du règne du gouvernement de Crapet Charest au début du XXIe siècle. Hélas, il serait si simple pour le bon prof Trouillard de se référer au mandat de Louis-Alexandre Taschereau s’il veut un exemple parmi tant d’autres de noirceur corrompue pour relever tant soit peu son «hystériographie» libérale.
Sur la même page du journal mentionné ci-haut, [Jacques Godbout signe un texte pour éclairer la «grande noirceur»->30951], qui se veut un rappel à Éric Bédard, Lucia Ferretti et les autres «qui décrivent les années 50 sans les avoir vécues, qu’avant d’affirmer que la «grande noirceur» était au fond lumineuse, il serait avantageux de s’entendre sur ce que signifie ce vocable et de quelle noirceur nous parlons».
M. Godbout brosse ainsi le tableau de «La grande peur» qui envahissait le Québec avant et après la deuxième guerre mondiale: «De l’école primaire au cours classique, une seule philosophie imprégnait l’instruction publique. L’école était gratuite et obligatoire jusqu’à 16 ans, mais la majorité des canadiens-français ne terminaient pas neuf ans d’études… la théologie tenait lieu de science… les garçons et les filles les plus ambitieux durent se rendre en Europe ou aux États-Unis pour acquérir le minimum de compétence. Maurice Duplessis était né au XIXe siècle et s’était bien juré de nous empêcher d’accéder au XXe siècle».
Il conclut son texte dans les mots suivants: «En fait, nous pourrions évoquer «le grand silence» des années d’après-guerre, malgré les lois modernes et importantes promulguées par le gouvernement d’Adélard Godbout de 1939 à 1944. «Toé, tais-toé!» avait lancé Duplessis à un de ses ministres. Ce n’était pas seulement le «grand silence» ou la «grande noirceur», c’était aussi, dans tous les milieux intellectuels «la grande peur». L’histoire ne s’écrit pas seulement à partir de documents, il faut l’avoir vécu».
***
M. Trouillard a tout faux sur le «Québec francophone» et M. Godbout manque un peu d’équilibre dans son traitement de Duplessis. Je ne veux pas m’étendre trop longtemps sur le sujet - loin de moi de vouloir défendre l’héritage de Duplessis et son utilisation de l’église pour endormir la population, d’autant plus qu’il a su se montrer très brutal, voire excessif dans son soutien des entreprises étrangères qui exploitaient et tuaient les travailleurs québécois comme les gouvernements libéraux tout autant hypocrites qui l’avaient précédé - mais il me semble qu’un peu de gris serait de rigueur parce qu’au niveau de l’affirmation nationale, Duplessis a été un des plus dynamiques des premier ministres en ce sens qu’il a tracé la voie de l’État québécois en enlevant l’hesti d’union jack de notre drapeau provincial qui est devenu, par son initiative, notre drapeau national fleurdelysé qui flotte encore sur notre Assemblée nationale toujours aussi impotente, étant encore une vulgaire assemblée législative provinciale.
L’histoire, elle se vit et elle se fait, tout simplement. Ce n’est pas nécessaire de l’avoir vécu pour bien la comprendre. Il s’agit de garder à l’esprit que quand elle s’écrit, c’est là que ça devient compliqué. La perspective du vainqueur conditionne celle du vaincu qui a le choix de l’accepter ou de réécrire sa propre histoire.
Par sa condition d’assujetti, le colonisé n’a pas le loisir d’écrire sa propre histoire, encore moins celle du destin de son propre peuple. Il doit toujours se référer à l’interprétation et à l’évaluation d’un étranger ou de son souverain pour se définir. Le prof Trouillard illustre cette pathologie identitaire schizoïde parfois monarchique, abondamment.
Daniel Sénéchal
Montréal


Laissez un commentaire



3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    5 octobre 2010

    M. Sénéchal, s'il vous plaît, de déformer mon nom pour me ridiculiser n'apporte rien de brillant à votre propos.
    Vos remarques sur mon texte publié dans Le Devoir montrent que vous connaissez mal les travaux historiques depuis les années 1970. Ils montrent l'existence d'un vigoureux courant libéral au Québec depuis le XIXe siècle faisant contrepoids au courant clérico-conservateur. Je vous suggère de lire le volume de Yvan Lamonde intitulé Histoire sociale des idées au Québec, 1760-1896, ou encore les deux synthèses classiques de Histoire du Québec contemporain de Durocher, Linteau Robert, qui tiennent compte des travaux sur l'histoire récente du Québec. Ils dépassent l'idée simpliste de Grande Noirceur pour décrire l'histoire du Québec depuis la Confédération.
    Dans mon cas, le texte publié dans Le Devoir se devait d'être très, très court. Je ne pouvais élaborer davantage sur le libéralisme du Québec. Je l'ai fait ailleurs : La Révolution tranquille, rupture ou tournant (texte facile à retrouver sur le web). J'ai un autre texte disponible sur le web abondant dans le même sens : il touche cette fois le sens de la devise du Québec selon son auteur (Taché).
    Je ferai remarquer que l'administration libérale d'Adélard Gobout (1936-1944)fait partie de l'histoire du Québec. Ses politiques s'inscrivent dans la modernité keynésienne (droit de vote aux femmes, nationalisation de l'Hydro, école gratuite et obligatoire, début de mise en place de l'assurance maladie, etc). Je ne comprends pas que les artisans de la Révolution tranquille dans les années 1950 ne se sentent aucun lien avec ce gouvernement.
    Quant au régime Taschereau, on doit l'évaluer à partir d'autres éléments que la critique qu'en a fait Duplessis en 1936. J'admets que presque 40 ans de pouvoir des libéraux (1897-1936) peut laisser place à des scandales. Voir la biographie de Taschereau de Bernard Vigod et le volume d'Antonin Dupont sur les rapports entre l'Église et l'État sous Taschereau (les deux pouvoirs sont à couteaux tirés). Duplessis par contre entretient des rapports très cordiaux avec le pouvoir clérical. Voir mon texte sur le crucifix à l'Assemblée nationale (Le Devoir, facile à trouver sur le web).
    J. Rouillard

  • Jeannot Duchesne Répondre

    29 septembre 2010

    M. Sénéchal, vous me renversez.
    Dire que Duplessis a été un des plus dynamiques des premier ministres parce qu'il a changé le drapeau de la Belle Province. Je trouve que vous cous fondez sur peu.
    Sous Duplessis et le clergé nous étions moins qu'une province, nous étions les plus colonisés du Canada. Le faux nationalisme qui régnait à cette époque n'était que de la xénophobie et un contre modernisme. Tout ce qui n'était pas canadien français et catholique était une menace pour la bonne exploitation des ressources naturelles de notre pays. Ils avaient les 2 outils nécessaires pour garder un peuple soumis, un faux nationalisme, xénophobe et la religion.
    Je me souviens des paroles de M. Séguin, biochimiste, chercheur de profession et vulgarisateur scientifique à la télévision de Radio-Canada: "Notre travail comme chimiste ne se résumait quasiment qu'à analyser la pureté des huiles utilisées pour la fabrication des saintes huiles".
    http://www.radio-canada.ca/emissions/decouverte/2008-2009/Reportage.asp?idDoc=79419
    Fernand Séguin
    "Entre la bombe et l'orchidée je choisirais la fleur et si on m'accordait un choix supplémentaire je prendrais le parti de l'homme."
    J'ajoute qu'entre un drapeau et un pays je choisirais le pays et si on m'accorde un choix supplémentaire je prendrai aussi le parti de l'homme.
    Le parti de l'homme ce que ni Duplessis et le Clergé n'ont jamais fait et il n'y a pas de zones grises.

  • Archives de Vigile Répondre

    29 septembre 2010

    Brillant, pertinent, intelligent, perspicace!
    Merci
    Gaëtan Dostie