Le Bureau de la traduction du gouvernement fédéral a été créé en 1934 pour remédier à la situation anarchique qui régnait alors dans les services de traduction. Chacun des sous-ministres nommait les traducteurs, personne ne coordonnait la répartition du travail, personne n’en contrôlait la qualité ni les coûts. En outre, une part non négligeable de la traduction était confiée à des fonctionnaires bilingues, souvent des secrétaires, qui n’avaient pas toujours les aptitudes ni la compétence pour exécuter cette tâche.
La Loi concernant le Bureau de la traduction vint imposer au nouvel organisme de faire et de réviser toutes les traductions de tous les ministères de l’État. Le Bureau a pu mettre un frein au développement « désordonné » de la traduction, assurer un contrôle de la qualité et s’imposer comme le service par excellence dans le domaine. Les traducteurs fédéraux en sont venus à former un groupe de spécialistes de la langue et de la traduction ; ils sont d’ailleurs à l’origine de la professionnalisation du métier de traducteur au pays.
Le Bureau, financé par des crédits parlementaires, a connu un essor spectaculaire à la suite de l’adoption de la Loi sur les langues officielles et a élargi considérablement les services linguistiques offerts aux fonctionnaires et à l’ensemble de la population canadienne. On peut affirmer qu’il a su faire preuve de dynamisme et de leadership en multipliant les innovations. Sa banque de terminologie Termium, de réputation mondiale, en est un exemple éclatant. Tout comme son « Portail linguistique » qui offre une vaste gamme d’aides à la rédaction à l’ensemble des Canadiens.
Un déclin évident
Depuis 1995, cependant, le Bureau est dans une situation bancale, source d’un profond malaise au sein du personnel. D’un point de vue administratif, il est à la fois une entreprise privée et un service public.
En tant qu’organisme de services spéciaux (OSS), il lui faut, comme une entreprise privée, recouvrer ses coûts, c’est-à-dire facturer des « clients » (les ministères faisant appel à ses services), réaliser des économies, accroître le plus possible la productivité de son personnel et tirer le meilleur parti des nouvelles technologies.
Ses services sont passés d’obligatoires à facultatifs, sauf pour le Parlement. Les ministères peuvent s’adresser au secteur privé pour répondre à leurs besoins en traduction, mais il est interdit au Bureau de soumissionner sur les marchés qu’ils offrent.
Les tarifs qui leur sont facturés sont ahurissants : ils varient de 0,24 $/mot à plus de 1,60 $/mot, selon les données rendues publiques par les ministères à la demande du député néodémocrate de Drummond à la Chambre des communes, François Choquette. Et c’est sans compter le coût de la gestion des contrats et celui du contrôle de la qualité. L’ensemble de ces coûts est supérieur à ce qu’il en coûterait si les traductions étaient faites par le Bureau. Plusieurs ministères créent soit des services de traduction fantômes, ce qui contrevient au règlement, soit des postes de conseillers linguistiques — en réalité, des postes de traducteurs — qui ne sont pas tous occupés par des personnes compétentes ou formées en traduction. Le Bureau est donc sous-utilisé et, globalement, la traduction coûte plus cher, car de 2003 à 2012, le prix moyen du mot payé par le Bureau dans ses contrats avec le secteur privé a toujours été inférieur à 0,20 $.
Logique mercantile
Mais il y a plus. En tant qu’organisme public, le Bureau a des obligations que n’ont pas les entreprises privées de traduction avec qui il est en concurrence. Ainsi, il lui faut prévoir des conditions particulières pour la traduction de textes hautement confidentiels, développer la terminologie, normaliser la langue au sein de l’administration fédérale, assurer des services d’interprétation, offrir le sous-titrage intégral des délibérations télédiffusées de la Chambre des communes et de ses comités et former la relève en offrant des stages en traduction et en interprétation.
Or, il est évident que, ces dernières années, la logique mercantile a prévalu dans les grandes décisions prises par la direction du Bureau qui a assujetti son évolution aux seules considérations d’ordre financier, au point qu’il est même permis de penser que l’on envisage le démantèlement pur et simple de cet organisme dont la « mission » de service public a été vidée de son contenu.
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