Laïcité et schizophrénie

Laïcité — débat québécois


La « loi de séparation des Eglises et de l’Etat » votée en 1905 s’ouvre ainsi :
Article 1er : La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes, sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.
Article 2 : La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. […] Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets [de l’Etat, des départements et des communes] les dépenses relatives à des exercices d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons.

Bien que le terme de laïcité ne soit jamais utilisé dans la loi de 1905, il sert depuis à désigner la manière dont sont régis les rapports de la République avec les Eglises (au sens large, en fait les religions). Ce texte, bien qu’ayant été déjà amendé au moins une dizaine de fois (sans que cela pose le moindre problème), représente pour beaucoup les tables de la loi. On oublie souvent qu’il pose des principes généraux et que les tribunaux et le Conseil d’Etat doivent, à chaque étape, en définir l’application concrète.
De ce point de vue, les décisions du Conseil d’Etat de ce mois de juillet sont importantes. Elles sont rappelées dans un article de Stéphanie Le Bars, « Avec cinq arrêts décisifs, le Conseil d’Etat valide l’approche libérale de la laïcité et de la liberté religieuse » (Le Monde daté du 21 juillet).

« Les cinq décisions rendues publiques, mardi 19 juillet, par le Conseil d’Etat figureront en bonne place dans le code de la laïcité et de la liberté religieuse promis par le gouvernement en avril ; le ministère de l’intérieur en a même retardé la publication pour les y intégrer. De fait, les réponses apportées à ces cinq contentieux liés au financement des cultes catholique et musulman actualisent et clarifient l’interprétation de la loi de 1905 sur ces sujets. »

« Tout en insistant sur l’interdiction pour les collectivités locales “d’apporter une aide à l’exercice du culte”, elles confirment aussi l’approche libérale défendue par le Conseil d’Etat sur les questions de laïcité. “Elles feront date, estime même le chercheur Philippe Portier, spécialiste de la laïcité, car elles dénotent une volonté d’harmonisation de la jurisprudence sur des sujets qui, depuis une dizaine d’années, étaient caractérisés par des tergiversations. Ces décisions illustrent une laïcité d’ouverture et de reconnaissance.” »

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« Ainsi, contredisant les arrêts rendus par les cours ou les tribunaux administratifs, le Conseil d’Etat a mis en avant “l’intérêt public local” pour autoriser des communes à financer des installations destinées à des édifices religieux et à la pratique d’un culte, ou à accorder des baux emphytéotiques pour “une somme modique” à des associations cultuelles. »
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« Intérêt public local et “ordre public” sont aussi invoqués dans une affaire plus novatrice, qui opposait un contribuable à la communauté urbaine du Mans. La collectivité avait financé l’installation d’un abattoir provisoire pour la fête musulmane de l’Aïd al-Adha ; le Conseil d’Etat a justifié cette intervention, rappelant “la nécessité que les pratiques rituelles soient exercées dans des conditions conformes aux impératifs de l’ordre public, en particulier de la salubrité et de la santé publiques”. »

« La décision du conseil d’Etat sur les baux emphytéotiques clarifie, de manière inédite, une problématique régulièrement soulevée dans les communes. Le cas de la mairie de Montreuil (Seine-Saint-Denis), qui avait accordé un tel bail pour un euro symbolique à une association musulmane, pourrait faire école. A ce sujet, M. Sauvé a rappelé que sur les 1 800 églises construites après 1905 en Ile-de-France, 450 l’ont été grâce à un tel dispositif, sans que cela ne soulève de contestation. »
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« Sans nier une situation parfois “schizophrénique”, M. Portier y voit, lui, une “convergence avec les politiques municipales, de droite ou de gauche, observées ces dernières années”. “Car, au-delà des discours pesants et agressifs envers l’islam notamment, les politiques mises en œuvre sont fondées sur des aménagements, poursuit le chercheur. Et, poursuivant son petit bonhomme de chemin, le droit installe le religieux dans un espace de mieux en mieux protégé. Sur le fond, il n’est pas sûr que l’UMP trouve grand-chose à redire à ces décisions.” »

Ces décisions s’inscrivent dans une conception de la laïcité en France qui s’est toujours voulue libérale, contrairement à ce qu’affirment les tenants d’une laïcité de combat (avant tout contre l’islam).
Comme je le rappelle dans L’Islam, la République et le monde (Hachette, Pluriel, 2006) :
« Ainsi, un des premiers conflits auxquels fut confrontée la République fut celui des processions en dehors des lieux de culte. Mettant en avant la crainte d’un trouble à l’ordre public, un certain nombre de maires voulurent les interdire : entre 1906 et 1930, 139 arrêtés municipaux en ce sens firent l’objet d’un recours ; ils furent cassés dans 136 cas, comme le furent toutes les décisions de maires visant à interdire le port de la soutane sur le territoire de leur commune. »

« Le Conseil d’Etat rejeta aussi, dans la plupart des cas, les demandes de désaffection des églises présentées par les communes, refusa de leur accorder le droit de vente des objets affectés au culte et, dans les affrontements entre maires et curés sur l’utilisation des cloches, limita à l’extrême leur usage pour des motifs non religieux. L’entorse la plus grave, qui porta à conséquence pour l’islam, mais qui relevait d’une autre logique, fut la non-application de la loi à l’Algérie. »

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Alain Gresh29 articles

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Alain Gresh est directeur adjoint du Monde diplomatique. Spécialiste du Proche-Orient, il est notamment l’auteur de L’islam, la République et le monde (Fayard, Paris, 2004) et de Les 100 clés du Proche-Orient (avec Dominique Vidal, Hachette Pluriel, Paris, 2003). Il tient le blog Nouvelles d’Orient.





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