Le BAPE et Rabaska : les dés étaient donc pipés...

Rabaska

Le vendredi 2 février 2007, soit 10 jours avant la fin des audiences publiques du BAPE et près de 4 mois avant le dépôt du rapport, M. Qussaï Samak, président de la commission d'enquête et d'audience publique du BAPE sur Rabaska, confessait qu'il allait chercher avec ses deux adjoints un équilibre entre les opposants et les partisans, «quitte à ajouter dans les plateaux de la balance les notions de solidarité et d'équité» (Marc Saint-Pierre, Le Soleil, 2 février 2007 ). Or, le chapitre 6 du rapport de la commission s'intitule précisément «entre l'équité et la solidarité». Il y a là une certaine suite dans les idées, mais, en même temps, une certaine idée préconçue.
Le principe d'équité serait légitime, selon la commission, pour la communauté vivant à proximité du projet, tandis que «le principe de solidarité pourrait être invoqué en appui du projet» (p. 183). Que faut-il penser de cette façon de décrire ce dilemme, dit apparent» ?
Le biais de la commission
Pour la commission, les citoyens et les citoyennes qui vivent à l'intérieur de la zone immédiate de danger, c'est-à-dire dans un rayon de 1,5 kilomètres du projet (p. 187), seraient justifiés de s'opposer au dit projet. Les autres ne le seraient pas. Ils devraient être solidaires, en prenant en considération «l'intérêt économique du plus grand nombre» (p. 183). En d'autres mots, ils devraient être partisans de Rabaska, même s'ils vivent à Lévis, à Beaumont ou à l'Île d'Orléans, non loin des installations, à l'intérieur du périmètre de sécurité de 5 km. Ils devraient être «solidaires» de l'économie continentale.
Durant les audiences publiques, en effet, M. Qussaï Samak a posé souvent une question insidieuse, en se faisant, disait-il, «l'avocat du diable» . «Que pensez-vous de ceux qui disent que Rabaska pourrait servir à réduire les gaz à effet de serre, en remplaçant des centrales au charbon par le gaz naturel ?» Plus précisément, quoique jamais explicitement, pourquoi ne pas vous sacrifier pour sauver le continent. Caïphe avait posé le même genre de question et l'histoire a retenu son nom pour son cynisme. D'autant plus que le président Samak sait pertinemment que les États-Unis recherchent une indépendance énergétique en recourant au charbon, dont ils regorgent, et que le gaz de Lévis ne leur fera pas changer d'idée.
La bourse du carbone semble avoir hanté M. Samak
Il faut se rappeler, d'ailleurs, que, le 3 décembre 2005, Qussaï Samak participait à une table ronde sur «Les mécanismes d'échange de droits d'émission des gaz à effet de serre». Le président de cette séance, M. Jean-Pierre Revéret, expliquait que «ces droits d'émission sont distribués aux grandes industries et peuvent s'échanger sur un marché international comme la Bourse» («La pollution et la bourse», Agence Science-Presse). Les grandes industries peuvent donc acheter des certificats qui donnent le droit d'émettre des gaz polluants en toute impunité. Qussaï Samak se contente de dire, lors de cette séance : «Ce processus devra être transparent». Il était déjà membre du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement. Cette «bourse du carbone» semble avoir hanté M. Samak depuis longtemps, bien qu'elle soit proprement odieuse.
Un pouvoir d'enquête qui n'a pas été utilisé
De toute façon, la commission avait un pouvoir d'enquête et elle aurait pu solliciter l'avis d'experts sur le projet, au lieu de se faire le porte-parole de Rabaska. On était en droit d'attendre des enquêtes indépendantes, devant un projet aussi complexe et discutable, pour avoir une analyse objective des propositions de Rabaska. Il n'en fut rien. Selon M. Pierre Béland, ex-commissaire ad hoc du BAPE, qui a participé à sept commissions d'enquête, la réponse est à chercher dans «un budget qui se rétrécit comme une peau de chagrin». «Comment, dans ces conditions, ajoute-t-il, s'assurer le soutien d'experts externes, faire réaliser des études indépendantes et faire autrement qu'en assignant le personnel interne (analystes, communicateurs, coordonnateurs, agents de secrétariat) ?» (Site du BAPE, Opinion, le samedi 14 juillet 2007).
Pour ma part, j'avais posé la même question lors de la présentation de mon mémoire, le jeudi 8 février 2007. Le président Samak m'a répondu que «la commission avait bien un pouvoir d'enquête, mais qu'elle ne l'utilisait que très rarement». Il ne faut peut-être pas oublier que Jean Charest, premier ministre du Québec, avait déclaré, bien avant la création de la commission d'enquête, que «l'aménagement de ports méthaniers représente une bonne occasion d'affaires pour le Québec» (le mardi 3 mai 2005). Pas étonnant que les Chambres de commerce aient massivement adhéré à Rabaska !
Si la commission a vraiment analysé les mémoires dont elle fait état (p. 11-73), elle sait fort bien que de nombreux impacts sur le milieu, autres que «l'impact économique», ont été démontrés par des experts indépendants, recrutés par les opposants. Les impacts négatifs tant sur la navigation que sur le milieu hydrique, le milieu aquatique, le milieu floristique et la faune aviaire ont été étudiés par des ingénieurs de tout horizon. Il faudra y revenir. Mais donnons deux exemples, parmi tant d'autres.
Des problèmes pourtant réels de navigation
Les problèmes réels et nombreux de la navigation sur le fleuve ont été minutieusement étudiés par M. Denis Latrémouille, ex-directeur de la flotte de la garde côtière et ex-directeur de la sécurité maritime pour la région de Québec. Pourtant, la commission s'est contentée de reconduire les assertions de Rabaska, sans vraiment les discuter. Il n'est nullement question, entre autres, du fameux virage à 180 degrés que les méthaniers de plus de 300 mètres de longueur devront effectuer dans un chenal de 500 mètres, alors que des changements de course sont requis dans ce secteur pour tous les bateaux en partance du port de Québec.
Mme Gisèle Lamoureux, spécialiste des milieux humides, mondialement reconnue, a fait une mise en garde, pour sa part, contre la destruction d'une tourbière précieuse, parmi les plus anciennes et les plus rares au monde. La commission recommande que la tourbière soit «préservée du remblayage en soustrayant du projet la butte d'atténuation visuelle qui y est prévue (...) et que toute perte résiduelle soit compensée» (recommandation 23), comme si on pouvait trafiquer une tourbière de plusieurs milliers d'années d'existence.
Tous ces impacts négatifs ne militent-ils pas en faveur de la même éthique (justification) que celle des résidants immédiats du projet ? Les riverains du St-Laurent sont alors largement justifiés, eux aussi, de s'opposer au projet Rabaska. Il est indécent de ne pas prendre en compte cette opposition. Le rapport de la commission, qui n'en a guère souci, apparaît cynique, sardonique, impudent, insolent et méprisant. Pourtant, il est dit dans le même rapport que «la commission a été à même de mesurer l'envergure de l'opposition au projet dans la zone retenue ainsi que l'authenticité des soucis et anxiétés constatés auprès d'un grand nombre de citoyens à l'égard des risques attribuables au projet en relation avec leur sécurité, leur qualité de vie et la valeur de leurs biens» (p.183). Était-ce juste une façon de nous faire ingurgiter son médiocre rapport, complaisant et condescendant ?
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Joseph Melançon*
Professeur émérite, Université Laval
*L'auteur habite Sainte-Pétronille, I.O.


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