Il y a des coïncidences qui valent toutes les démonstrations. Ainsi, le comité sénatorial permanent des langues officielles a choisi de publier son rapport sur la situation des anglophones du Québec au moment où on apprenait qu'une restructuration de Service Canada dans les provinces de l'Atlantique aura pour effet de conférer à la toute la région un statut unilingue anglais, en vertu de loi sur les langues officielles.
Cela permet de relativiser d'entrée de jeu le constat du comité, selon lequel «les réalités et les défis de la minorité anglophone ressemblent à plusieurs points de vue à ceux vécus par la minorité francophone».
On peut également dire que le cheval et le lapin sont tous les deux des mammifères, mais on conviendra sans trop de difficulté qu'un examen le moindrement attentif fait apparaître de notables différences.
Le fait de constituer une minorité face à une majorité francophone elle-même minoritaire au Canada pose certainement des problèmes particuliers à la communauté anglo-québécoise. Si besoin était, le débat qu'a déclenché la perspective que l'anglais soit enseigné de façon intensive en sixième année témoigne de la crainte qu'il inspire toujours aux francophones.
Le comité n'est pas le premier à souhaiter que la question linguistique cesse d'être perçue comme un jeu à somme nulle, dans lequel un gain de la communauté anglophone constitue nécessairement une perte pour les francophones. Comment pourrait-il en être autrement, alors que, d'un recensement à l'autre, la francophonie canadienne rétrécit comme peau de chagrin?
La communauté anglo-québécoise ne pourra sans doute jamais accepter que la souveraineté puisse être une condition essentielle à sa pleine intégration à la société québécoise, mais l'insécurité culturelle que ressentent les francophones est probablement insurmontable dans le cadre fédéral actuel.
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Le président de la société Saint-Jean-Baptiste, Mario Beaulieu, a trouvé le rapport «révoltant», lui reprochant de renforcer le «mépris» pour le français que véhiculeraient les groupes représentant la communauté anglophone qui ont témoigné devant le comité. À son habitude, M. Beaulieu verse dans la démesure, mais force est de constater que l'incompréhension entre les deux solitudes demeure entière.
«La minorité anglophone du Québec ne pourra aspirer à un plein épanouissement que si les deux paliers de gouvernement se mettent de la partie pour garantir le respect de leurs droits», peut-on lire dans le rapport. Ce qui sous-entend qu'ils ne sont pas respectés actuellement.
À moins qu'il ne s'agisse de revenir à la situation antérieure à l'adoption de la loi 101, qui a d'ailleurs été très assouplie, pour ne pas dire émasculée depuis 1977, la grande majorité des francophones se demandent sincèrement de quoi se plaignent les anglophones.
Ces derniers croient sans doute avec la même sincérité que les craintes des francophones ne sont plus fondées, même s'ils conviennent généralement que dans le contexte nord-américain, une certaine vigilance sera toujours de mise. Le débat sur les écoles passerelles leur a complètement échappé.
À la réflexion, il y a quand même eu une certaine évolution dans l'attitude des francophones. Si M. Beaulieu et ses amis grimpent encore dans les rideaux, les doléances des anglophones sont maintenant accueillies avec moins d'indignation que d'indifférence.
Le blues des anglophones est largement perçu comme une réalité qui fait partie de la réalité québécoise, au même titre que l'hiver. Il faut simplement s'y faire. Jeudi, alors que le rapport du comité sénatorial faisait la manchette de la Gazette, aucun quotidien francophone n'a jugé utile de lui consacrer ne serait-ce qu'un entrefilet. Hier, une dépêche de l'agence QMI était surtout consacrée à la réaction de la SSJB.
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Le comité se défend bien de recommander qu'Ottawa empiète sur les compétences du Québec, mais il estime que «le gouvernement fédéral doit développer des mécanismes de collaboration avec la province dans tous les secteurs qui touchent au développement des communautés anglophones, que ce soit l'éducation, la santé, l'immigration, les arts et la culture, le développement économique ou autre».
Les témoignages recueillis par le comité semblent avoir été presque unanimes sur ce point: le gouvernement du Québec ne tient pas compte des besoins des anglophones, notamment en matière de santé, même si les lois québécoises leur garantissent l'accès aux soins dans leur langue.
Dans son célèbre discours au théâtre Centaur, en mars 1996, Lucien Bouchard avait lancé qu'un anglophone qui arrive à l'hôpital n'a pas besoin d'un test linguistique, mais plutôt d'un test sanguin.
Bon nombre de francophones se demandent pourquoi il allait de soi de consacrer plus d'un milliard et demi à la construction du CUSM, alors que les Franco-Ontariens ont dû descendre dans la rue pour empêcher la fermeture du seul hôpital universitaire français dans tout le ROC.
Il est vrai que la réalité est bien différente en région, où les anglophones doivent composer avec une règle qui est le lot quotidien des francophones from coast to coast: «là ou le nombre le justifie». D'ailleurs, même le mouvement Desjardins semble vouloir l'adopter. Peu importe, a-t-on déjà vu un cheval rêver d'être un lapin?
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